Paul Fournel n’est pas un homme d’affaires ; écrivain, président de l’Oulipo, il occupa le poste d’attaché culturel à l’ambassade de France au Caire pendant 3 ans. Ce séjour ne fut en rien un échec, à l’évidence. De son expérience, il a tiré un livre plein d’humour et de finesse, Poils de Cairote (Le Seuil, 308 pages, 7 €). Loin de se morfondre dans un monde si différent de la France ou de se replier dans sa coquille, il prit le parti d’adresser presque chaque jour à quelques amis, et par courriel, le récit de ses aventures, le fruit de ses observations. Réunis dans ce livre riche en anecdotes savoureuses, ils rendent compte de la vie de tous les jours en Egypte telle que perçue par un Européen entre novembre 2000 et juin 2003.
On rit beaucoup, par exemple des situations ubuesques issues des multiples embouteillages qui paralysent Le Caire tout au long de l’année dans un concert incessant de klaxons, ou des chauffeurs de camion qui fument le narghileh au volant. Tout peut arriver, sur les routes égyptiennes, et je me souviens d’un voyage d’affaires qui devait nous conduire, avec trois partenaires, du Caire à Ismaïlia, Port-Saïd et Alexandrie, un itinéraire que le chauffeur de la 404 qui avait été mise à notre disposition parcourut de bout en bout en troisième sans jamais changer de vitesse, même en ville…
Paul Fournel aborde tous les sujets, comme le rite du marchandage, obligatoire pour éviter de vexer les commerçants, ou le cas des passants obligeants qui, si vous leur demandez votre chemin, vous indiqueront toujours une direction, même s’ils ignorent tout de l’endroit où vous vous rendez. Si la corruption semble généralisée, les habitants font preuve d’une imagination fertile pour atteindre leur but ou détourner les interdits (ainsi, on sert la bière dans une théière et le vin passe, officiellement, pour une tisane de fleurs d’hibiscus.) Le temps n’existe pas, ou si peu dans cette culture purement polychronique que la ponctualité devient une fiction à laquelle le diplomate finit rapidement par se résigner.
L’auteur ne peut faire l’impasse sur le poids des traditions (en particulier l’excision qui toucherait 96% des filles de la campagne), la censure (les pages des magazines occidentaux sont parfois arrachées si des publicités pour des sous-vêtements féminins y figurent, et tant pis pour les articles qui étaient imprimés au verso !) et les pesanteurs de la religion. Mais, là encore, l’humour vient appuyer le propos, comme dans cette note du 7 août 2001 :
« N’étant pas fou de plage, je suis allé voir dans une boutique du centre-ville ce qu’était le “maillot de bain islamique”. Il en existe deux modèles qui ne fâchent pas la religion : le premier est une robe longue opaque qui se porte par-dessus le maillot et le second une espèce de survêtement ample taillé dans un drap épais et médiocre. Bien mouillés, les deux sont parfaitement conçus pour couler n’importe quelle nageuse de n’importe quelle religion par le fond. »
Poils de Cairote est un livre à conseiller à tous ceux qui prévoient une expatriation en Egypte, mais aussi à ceux qui voudraient connaitre ce pays loin des clichés véhiculés par les guides touristiques d’où la dimension humaine est souvent aussi absente que l’humour.