Voir apparaître Laurent Terzieff sur une scène de théâtre, c’est approcher du regard un monstre sacré, un personnage magnétique et fascinant. Je ne l’avais pas vu depuis plusieurs années mais j’ai pu constater que, alors que les années défilent, son talent reste intact. Il a 72, un physique d’une maigreur étrange, une voix claire et une prestance infinie. Terzieff joue actuellement au Lucernaire dans une pièce d’Eugène O’Neill intitulée Hughie. Allez le voir, il est étonnant.
Il interprète un certain Erié Smith, vieux pensionnaire d’un hôtel déclassé de Manhattan, joueur et hâbleur impénitent. Toute sa vie, Erié l’a bâtie sur les paris, les courses, l’argent. Riche un jour, pauvre le lendemain, sa faconde lui permettait de se tirer de toutes les situations et chaque nuit, il racontait ses aventures à Hughie, le gardien de nuit. Tous deux étaient gagnants : le premier était fasciné par le vie de luxe que lui inventait Erié et l’autre vivait ses rêves par le truchement de cet auditeur exceptionnel. Or Hughie vient de mourir. Après cinq jours de beuverie, Erié réapparaît à l’hôtel et tombe sur le nouveau gardien, interprété par un Claude Aufaure à la mesure de Terzieff.
Le nouveau gardien va-t-il remplacer le défunt Hughie ? L’un vivant par procuration les affabulations de l’autre, l’autre finissant par se voir lui-même tel que le voit son interlocuteur, chacun est le miroir des illusions de l’autre.
Excellente pièce, vive, drôle et tendre, tragique évidemment. Une fois encore, courez.