Invités par le bureau des étudiants (BDE) de Sciences-Po Strasbourg, les quatre intervenants n'ont pu répondre qu'aux questions du BDE, préparées à l'avance. Les journalistes dont j'étais n'ont pas pu poser la moindre question, le point-presse prévu avant la conférence-débat ayant été annulé pour cause de retard des intervenants. Quant aux autres étudiants et tout simplement aux citoyens curieux, ils n'ont pas pu non plus intervenir, le BDE monopolisant les questions. Des questions forcément teintées d'idéologie. Si l'on peut discuter pour savoir si les médias sont de gauche ou de droite, comme je le faisais dans mon précédent billet, on ne peut en revanche guère nier que les étudiants en sciences politiques sont très majoritairement de gauche, tout comme leurs enseignants.
Je suis bien placé pour le savoir, ayant étudié un an à l'IEP de Lyon avant de bifurquer de mon propre chef en fac d'histoire, puis de continuer en journalisme. Mais c'était une autre époque, où j'étais adhérent du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) - que de chemin parcouru ! - et me disais « chevènementiste ». Pour ce dernier aspect de mon identité politique, j'en ai conservé un fort attachement à la Nation. Si Chevènement s'était présenté en 2007, j'aurais sans doute voté pour lui.
Le principal reproche adressé à la CLCF par les apprentis-politistes strasbourgeois, explicitement ou implicitement, était son « libéralisme » supposé. Un qualificatif que n'a logiquement pas récusé Claude Bébéar, mais qu'a rejeté François Villeroy de Galhau, catholique de gauche. Sans succès, celui-ci a tenté de faire comprendre à ces étudiants qui reprenaient des arguments proches de ceux employés par les mouvements altermondialistes comme ATTAC, que réduire les dépenses publiques et par conséquent le déficit et la dette de l'État relève moins du libéralisme que du pragmatisme. Dans un pays où les dépenses publiques représentent 53% du PIB, il ne paraît pas déraisonnable ni même libéral de les ramener au niveau de la moyenne des pays européens, qui s'élève tout de même à 48%. Par comparaison, celui des États-Unis se situe à 30%. Il y a donc du chemin avant que l'on ne rejoigne les États-Unis, qui ne sont d'ailleurs pas un pays libéral. À part Singapour, on se demande bien quel pays l'est vraiment.
Sans être un libéral - ce que, personnellement, je ne suis pas -, on peut donc arguer qu'il est plus que nécessaire et urgent de réduire les prélèvements obligatoires, de revenir à l'équilibre budgétaire et d'apurer à terme la dette de l'État (66% du PIB).
Eh bien, pour les politologues en herbe strasbourgeois, il faut croire que non ! L'un d'eux, le plus virulent, a repris à son compte l'argument d'Olivier Besancenot selon lequel l'État français possède un patrimoine tel que la dette publique est, somme toute, négligeable. Et que cette dette étant financée par les obligations d'État, cautionnées par celui-ci, il va couler de l'eau sous les ponts avant qu'il ne se retrouve en situation de banqueroute. François Villeroy de Galhau a tout de même rappelé que le remboursement des intérêts de la dette, qui engloutit chaque année la recette de l'impôt sur le revenu, est en passe de devenir le premier poste budgétaire de l'État ! Mais après tout, si ces enfants de la bourgeoisie prennent modèle sur la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), c'est en tout logique : la dernière fois que l'État s'est retrouvé en situation de faillite, c'était en 1789. Différence de taille toutefois : en 1789, les représentants des États-Généraux voulaient faire de la France une nation moderne. Les « révolutionnaires » d'aujourd'hui veulent abolir la nation et s'opposent de toutes leurs maigres forces au progrès, fauchant des champs d'OGM, occupant des sites nucléaires, soutenant les représentants de communautés religieuses obscurantistes.
Dans de telles conditions, ce « débat » ne pouvait tourner qu'au dialogue de sourds, d'autant que, comme au théâtre, les étudiants interrogateurs étaient soutenus par une bruyante « claque » dispersée dans les rangs du grand amphithéâtre. Dès lors, les appels des intervenants au pragmatisme et au refus de l'idéologie étaient inaudibles.
Seul l'humour a permis à Claude Bébéar et à François Villeroy de Galhau de sortir par le haut de ce guet-apens estudantin. Le premier, au sujet de la recherche fondamentale française, a par exemple lancé que « la France compte beaucoup de chercheurs, mais peu de trouveurs », déclenchant l'hilarité générale. Le second, déclarant que la croissance n'est pas un « Veau d'Or » mais le seul moyen de résoudre les problèmes sociaux et environnementaux, a eu moins de succès. Ses appels à la raison, avançant notamment l'idée que les « jeunes » seraient les perdants du statu quo, n'ont pas semblé toucher les premiers intéressés, à part votre serviteur, bien évidemment.
Il y a pourtant des choses intéressantes dans les propositions de la CLCF. L'idée de rendre les études payantes car, selon Claude Bébéar, « payer ses études, ça fait travailler », me semble tout à fait judicieuse. À ce sujet, la CLCF imagine d'adopter le même système que pour l'École polytechnique, l'École normale supérieure ou l'École nationale d'administration : soit l'on travaille pour l'État à la fin de ses études, soit l'on rend l'argent qu'elles ont coûté à l'État. Ce serait à mon sens une bonne manière d'apprendre à une jeunesse volontiers ingrate et inconsciente de la valeur des choses, et notamment de son éducation, qu'elle a « une dette à l'égard de la France », comme l'estimait le même Claude Bébéar, rencontrant ici la désapprobation de l'assistance.
Les intervenants ont quand même eu l'accord silencieux de leur auditoire lorsqu'ils ont justifié le refus de l'instauration de la sélection à l'entrée de l'Université. Étonnant, quand lesdits intervenants sont d'anciens polytechniciens et/ou énarques et qu'ils s'adressent à des étudiants inscrits à Sciences-Po, une formation sélective. Cela m'a rappelé un aphorisme de Napoléon Bonaparte : « Les Français ont deux passions contraires, qui dérivent pourtant du même sentiment : l'amour de l'égalité et celui des distinctions. »
D'une manière générale toutefois, les étudiants présents ont semblé rétifs à l'argumentaire des conférenciers. Lorsque Claude Bébéar a exprimé ses réserves sur le scénario-catastrophe envisagé par le GIEC au sujet du réchauffement climatique, il a essuyé les dénégations dodelinantes des questionneurs, même lorsqu'il a affirmé avec raison que le seul moyen d'en sortir par le haut était le développement du nucléaire, avec la mise au point de réacteurs de plus en plus performants et la maîtrise, avant la fin de ce siècle, de la fusion de l'hydrogène, projet fascinant de la communauté scientifique internationale.
Mais il est vrai qu'on ne peut pas en attendre beaucoup plus de la part d'étudiants a-scientifiques qui confondent allègrement le réchauffement climatique - réel - avec la théorie de l'effet de serre - non prouvée - et les conséquences envisagées - sur lesquelles les climatologues les plus éminents ne s'accordent pas. Et qui, non contents de ne rien connaître aux changements climatiques, osent avancer que le nucléaire ne constitue pas une solution ! Mais alors, quelle est la solution selon eux, à part la « décroissance », projet réactionnaire au sens étymologique du terme ?
Il est dommageable que le conservatisme intellectuel et idéologique qui prévaut dans certains milieux étudiants empêche une évolution des mentalités sur des enjeux capitaux. Passablement excédé par le conformisme culturel de ces futurs bureaucrates du public ou du privé, j'en suis presque venu à me demander si la priorité, plutôt que la libération de la croissance, n'était pas celle des mentalités. Certes, la première est conçue par Jacques Attali et la CLCF comme la condition de la seconde, mais je me suis interrogé pour savoir s'il ne fallait pas plutôt inverser le lien de causalité.
Car le rapport de la CLCF, pour que ses 316 propositions soient effectives, aura besoin d'un large consensus, notamment de la part de la jeunesse actuelle qui aura demain la charge de présider aux destinées de la France. Tant que les mentalités n'auront pas évolué, comment faire comprendre, comme l'ont tenté en vain les intervenants, que faciliter le licenciement permettra de favoriser l'embauche, que repousser l'âge de départ à la retraite est une nécessité pour sauver le régime de retraites par répartition et ne pas être contraint de passer à des retraites par capitalisation, ou encore que les financements privés dans les universités que permet la loi sur l'autonomie votée l'été dernier permettront d'octroyer davantage de bourses plus conséquentes, et de rémunérer davantage des enseignants venant du monde entier ?
Roman Bernard
À lire aussi, au sujet du rapport de la CLCF, mes articles sur la relance de l'immigration, que j'approuve, mais à certaines conditions, et la suppression du département, que je réprouve, estimant que c'est surtout à des fusions imposées de petites communes qu'il faudrait procéder, plutôt que de supprimer cette véritable transcription du principe d'égalité dans le maillage administratif français.