“The King Playing with the Queen” (plâtre, 1944), “L’habillement de l’épousée” (1940) et “The King Playing with the Queen” (bronze, 1944/2001)
Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Collection Beyeler; Peggy Guggenheim Collection, Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York), collection privée
© 2013, ProLitteris, Zurich
Photo: Serge Hasenböhler
Dans le cadre de l’exposition « Max Ernst. Rétrospective » que la
Fondation Beyeler présente jusqu’au 8 septembre 2013 en collaboration avec l’Albertina de Vienne, on peut découvrir pour la première fois la sculpture en plâtre de Max Ernst The King Playing with the Queen, 1944 , en compagnie d’une de ses versions en bronze. Cette juxtaposition exceptionnelle vient couronner les recherches de grande ampleur que l’équipe de restauration de la Fondation Beyeler dirigée par Markus Gross et Julia Winkler a menée sur cette sculpture dans le cadre du projet réalisé avec la BNP Paribas Suisse au printemps 2013.
La sculpture The King Playing with the Queen est l’une des inventions plastiques les plus marquantes de Max Ernst et constitue un sommet de la collection de sculptures de la Fondation Beyeler. Max Ernst a réalisé cette précieuse version en plâtre de The King Playing with the Queen pendant son exil aux États-Unis, en 1944, année très féconde, et en a fait couler plus tard plusieurs exemplaires en bronze. Cette oeuvre représente une figure cornue, assise devant un échiquier, en train de jouer.
Max Ernst
L’habillement de l’épousée / de la mariée, 1940
Huile sur toile, 129,6 × 96,3 cm
Peggy Guggenheim Collection, Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
© 2013, ProLitteris, Zurich
Photo: Peggy Guggenheim Collection, Venise (Solomon R. Guggenheim Foundation, New York)
Le personnage principal — le roi du jeu — évoque le minotaure de la mythologie grecque, un monstre mi-homme mi-taureau. Max Ernst a ainsi sorti la « figure » de l’échiquier pour la transformer elle-même en joueur. Quant à la reine, elle est protégée par la main droite du roi, à moins qu’il ne l’empêche d’avancer pendant qu’il dissimule une autre figure dans sa main gauche. Le roi démoniaque joue manifestement avec ses sujets en appliquant ses propres règles — le jeu se joue lui-même. Max Ernst avait réalisé dès 1934 une série de sculptures figuratives, qui se présentent comme des oeuvres surréalistes « dotées d’une fonction symbolique ».
Les peintres, les sculpteurs et les créateurs d’objets du mouvement surréaliste avaient pour but de créer librement des images et des objets à partir d’un fonds de mythes et de visions.
L’état de l’oeuvre
Depuis l’ouverture de la Fondation Beyeler en 1997, cette sculpture n’a été déplacée et présentée dans le bâtiment du musée qu’avec la plus extrême prudence. On a par ailleurs totalement renoncé à la prêter à l’extérieur. Le motif essentiel de cette prudence était la fragilité du matériau utilisé, le plâtre, qui présente déjà une trace de brisure ancienne et des fêlures. Par ailleurs, cette oeuvre de Max Ernst présente une particularité structurelle. D’anciens clichés d’atelier révèlent qu’Ernst composait ses sculptures à partir d’éléments distincts. Aussi peut-on se demander si la même méthode a été appliquée à la présente sculpture. La surface de l’oeuvre présente un aspect coloré dont le manque d’homogénéité est flagrant. Cette version reflète différentes couches colorées historiques, qui portent atteinte à la blancheur du plâtre.
Les objectifs du projet de restauration
Un premier objectif était de pouvoir reconstituer la structure complexe du travail plastique de Max Ernst en plâtre. Une étude différenciée de la structure par couches de la version en couleur devait également permettre de mieux appréhender l’apparence esthétique de l’oeuvre et sa genèse. Il s’agissait par ailleurs de mieux évaluer la fragilité de l’oeuvre afin d’établir ses possibilités de déplacement dans la collection et à l’extérieur, et d’assurer une présentation stable et appropriée. La consultation d’archives et l’observation d’oeuvres comparables doivent livrer de précieuses informations sur la technique et le processus de réalisation de la sculpture de plâtre et plus particulièrement de sa version colorée. Ces recherches fondamentales permettront d’établir s’il est nécessaire d’entreprendre des mesures de conservation ou de restauration plus importantes.
L’analyse de l’oeuvre
Des radiographies à haute résolution ont livré des informations instructives sur la composition structurelle du plâtre. L’intérieur de la sculpture est constitué d’une armature formée de plusieurs fils métalliques solides. Ernst a également utilisé un fin grillage métallique pour renforcer les zones planes. Cette sculpture de plâtre est composée d’un assemblage d’éléments distincts ; pour ce faire, Ernst a réalisé différentes formes, qu’il a coulées en plâtre et armées, avant de les assembler. L’étude radiographique a également fourni des renseignements concrets sur la réalisation de multiples fontes en bronze de la sculpture en plâtre. On observe ainsi à l’intérieur de la sculpture des tiges filetées, des clous et des vis qui n’ont pas été utilisés par l’artiste lui-même. Les agrandissements de détails de la radiographie révèlent que l’armature d’origine a été partiellement découpée. Associées à la découverte de documents d’archives, ces constatations ont permis de reconstituer l’importante intervention du fondeur sur cette sculpture. Pour réaliser le processus complexe de moulage, le fondeur a été obligé de redécouper la sculpture en différents fragments qu’il a réassemblés plus tard pour lui rendre sa forme d’origine. Il s’agit d’une méthode couramment utilisée par les fondeurs. Une illustration historique en témoigne. En effet, les zones claires de la sculpture dépourvues de peinture et où le plâtre
apparaît (par exemple le cou, les épaules, les poignets, etc.) ont été complétées par le fondeur après le processus de coulage. Les surfaces originelles perdues au moment du démontage ont également été reconstituées en plâtre par le fondeur.
L’aspect esthétique et sa réalisation
L’analyse de la couche de couleur a permis d’établir que la sculpture a été recouverte de deux couches de peinture bleue. La couche bleue est d’origine et a été appliquée par l’artiste lui-même peu après la réalisation de la sculpture. Les pigments et les liants retrouvés coïncident avec les matériaux typiques de Max Ernst qui les utilisait également pour ses oeuvres sur toile. Ces constatations ont été confirmées grâce à une ancienne photographie de mode datant de 1945. On y voit la sculpture de plâtre avec une couverture de peinture colorée homogène, peu après sa création. La couleur bleue d’origine est aujourd’hui difficile à distinguer à l’oeil nu. Différentes couches provenant du processus de fonte ainsi que d’interventions ultérieures sur la sculpture ont été appliquées sur cette couche bleue encore visible. Cette multitude de fragments de couches présente un grand intérêt, car elle révèle au spectateur toute l’histoire de cette sculpture. Elles font partie d’une surface devenue historique. La restitution d’un état authentique n’est plus guère envisageable d’un point de vue technique aussi bien qu’éthique. Les recherches ont confirmé la fragilité de cette sculpture de plâtre. Les zones sensibles (points de découpage du fondeur, reprises) représentent par ailleurs un risque en cas de manipulation et de prêt.
Les projets de restauration soutenus par la Fondation BNP Paribas Suisse Décidée à participer activement à la préservation des fonds des musées afin de permettre leur transmission aux générations futures, la Fondation BNP Paribas s’est engagée depuis plus de 20 ans en faveur de la restauration d’oeuvres d’art en Europe, en Asie et aux États-Unis. En Suisse, la Fondation BNP Paribas Suisse a déjà financé plus d’une douzaine de projets portant sur la conservation d’oeuvres majeures de Max Ernst, Mattia Preti, Auguste Rodin, Bram van Velde et Paolo Véronèse.
La Fondation Beyeler est heureuse d’être en mesure de restaurer trois chefs-d’oeuvre de sa Collection avec le soutien de la Fondation BNP Paribas Suisse. Sur une période de trois ans, l’équipe de restaurateurs et de conservateurs se consacrera aux oeuvres suivantes : Fernand Léger Le passage à niveau (1912), Max Ernst The King playing with the Queen (1944) et Henri Rousseau Le lion, ayant faim, se jette sur l’antilope (1898/1905).