Magazine Culture
Après le début des 80's et la Movida madrilène, c'est à Barcelone qu'il faut être si l'on veut goûter du neuf.
Le design et les lieux hors du commun qui l'accompagnent, surgissent d'entre les décombres d'une
dictature qui avait plongé le pays dans une autarcie culturelle, à l'abri des
villes en mouvement. Fin 80, Barcelone est la capitale espagnole du design
contemporain. Architectes et stylistes de tous poils s'y installent, dessinent
des endroits à la pointe de la déco. Aucune lampe, aucun mobilier, n'est laissé
au hasard. Tout devient unique grâce aux créations d'artistes, architectes,
designers, tels que Javier Mariscal, Eduardo Samsó, Guillem Bonet ou Alfredo
Arribas. Leur cachet insuffle une image très contemporaine à la ville. Et, des
quartiers de l'Eixample à Sant Gervasi, les espaces culturels et les clubs sont du meilleur style.
Éblouissants. Les belles architectures et le graphisme léchés sont alors le
point d'orgue de soirées débridées où la clientèle aussi soigne son look. Il
serait facile de verser dans le cliché "avant
c'était mieux" quand on compare cette Barcelone originale et authentique à celle d'aujourd'hui.
Comme un grand saut dans l'espace-temps.
D'une révolution culturelle post-franquiste en recherche d'émotions libertaires
à une "involution" vers le grand manitou. L'internationale machine à
broyer l'authenticité d'une ville. L'explosion qui fait se ressembler de plus
en plus toutes les ambiances des grandes cités européennes. Alors, les lieux à
la mode dans la Barcelone de l'avant-garde et de la contreculture sont-ils toujours
là ? A-t-elle su préserver sa singularité ou, au contraire, a-t-elle totalement
cédé à l'uniformisation Starbuck et H&M ? Que reste-t-il de ces lieux qu'on
ne trouvait nulle part ailleurs ? Petit tour "Avant/Après" les Jeux olympiques de 1992 pour revoir certaines adresses de l'époque et savoir si elles ont su résister au passage du temps.
La Cova del Drac : Tuset, 30. Métro :
Diagonal.
Avant : Situé au sous-sol du drugstore Drug-Drac-Store, c'est le temple du jazz. Dans les années 60, il a été celui des auteurs compositeurs de langue catalane, la Nova cançó en réaction au castillan imposé par Franco. Lluis Llach, célèbre auteur-compositeur, y a fait ses classes. Idéal pour boire un verre tard dans la nuit, dans une rue des beaux quartiers de Barcelone, surnommée "Tuset Street" par sa faune branchée attirée par les nombreux bars et pubs à la mode.
Après : Rien à voir. Carrer Tuset 30, on trouve
aujourd'hui le restaurant Tomato. Deux étages avec terrasse, aux airs de
multinationale propices aux déjeuners d'affaires des entreprises environnantes.
Il propose aussi des cocktails, dont le sacro-saint gin-tonic, et ouvre jusqu'à
trois heures du matin du jeudi au samedi. Il existe un autre caveau à jazz Cova
del Drac, Carrer Vallmajor, également dans le quartier de Sarrià-Sant Gervasi.
Le Moog : Arc del Teatre, 3. Métro : Drassanes.
Avant : Ouvert en 1915 sous le nom de Villa Rosa, c'était alors LE tablao flamenco de Barcelone. Dans les
années 70 et jusqu'à fin 80, il est le club undergound
de référence ouvrant ses portes à une jeunesse contestataire qui vient se
déhancher au son du pop-rock anglo-saxon et national mais aussi des premières
notes électroniques venues de Berlin et des États-Unis.
Après : Dans
les années 90, le Moog est
estampillé temple de l'électronique. Aujourd'hui encore, il demeure un bon club
électro du Raval. Mais le lieu de référence des Barcelonais de l'époque est
moins enlevé, plus enclin à une électronique internationale qui contente la
foule de la Rambla voisine. Il ouvre ses portes aux dj's internationaux en
vogue.
Mercat de les Flors : Lleida,
59. Métro : Pl. Espanya.
Avant : Théâtre municipal inauguré en 1985 et entièrement
dédié au spectacle vivant. C'est avec Peter Brook et sa célèbre mise en scène
du Mahabharata que démarre la carrière
de ce théâtre dont la grande coupole a été dessinée par l'architecte majorquin
Miquel Barceló. Sur ses planches, on peut applaudir Patrice Chéreau, Tadeusz
Kantor, Peter Stein, La Fura dels Baus, La La La Human Steps... Le meilleur de
la scène vivante.
Après : Le Mercat de les Flors poursuit sa route en forme
de laboratoire scénique. Ces dernières années, il se consacre exclusivement aux
arts du mouvement en explorant par exemple les nouvelles formes dédiées à la danse
contemporaine. Les héritiers de Pina Bausch, Josef Nadj et William Forsythe sont toujours les bienvenus
dans l'une de ses quatre salles. Le Mercat organise aussi de nombreux cycles et
accueille certains concerts du festival de musique Primavera Sound.
Nick Havanna : Roselló, 208. Métro
: Diagonal.
Avant : Le bar-club ouvre ses portes en 1986. Un décor entre
science-fiction et industriel chic, avec une coupole de lumières, un mur d'écrans
où l'on passe des extraits de Blade
Runner. On y trouve même un distributeur de livres de poche. C'est aussi le
lieu où l'on croise David Bowie, discrètement installé dans un fauteuil,
cigarette et whisky, dans les années 90. Des dj's barcelonais mixent des sons dénichés
à Londres et à Paris.
Après : Le style de la maison a délaissé son vernis chic. Le
bar nocturne mythique du centre de Barcelone a viré club commun pour une
clientèle peu exigeante. Un lieu nocturne parmi d'autres qui fait le bonheur des
plus jeunes avec des "Nuits étudiantes" chaque jeudi. En résumé, l'endroit parfait pour
prendre une cuite mémorable si l'on a moins de 24 ans.
Otto Zutz : Lincoln, 15. Métro : Fontana.
Avant : La discothèque à la mode. Créée en 1985 et managée par
Juan José Fernández, éditeur de Star,
le magazine de la contreculture des années 70 (l'alter-ego du mensuel Actuel). Situé dans une ancienne usine,
l'espace conserve sa structure industrielle en s'inspirant des clubs
new-yorkais. On y écoute de la new-wave et les anglo-saxons du moment. Des
soirées spéciales, des défilés de mode... le lieu où il faut être pour observer
la faune barcelonaise et internationale qui n'a pas froid aux yeux.
Après : Le club résiste à la tempête post-olympique.
Toujours là, même si loin de ses jeunes années new-wave. Et la fresque murale
peinte par l'artiste catalan Vicenç Viaplana a même disparu du décor. En 2013, le credo de la fiesta a des relents
de gueule de bois mondiale. Place au club trendy
où il faut arborer le parfait uniforme si l'on veut entrer dans la danse. Mais
quand on y songe... L'Otto Zutz reste dans l'air du temps.
Satanassa : Aribau, 27. Métro
: Universitat.
Avant : Ouvert en 1989, le club gay plutôt canaille
inspiré de l'univers fantasque et bariolé de Pedro Almodóvar. Cet espace kitsch
voit danser tous les Drag Queen et travestis du coin mais aussi les mannequins
du monde, Jean-Paul Gaultier dans ses meilleures années, ou Alaska, l'égérie
pop-rock de la Movida madrilène.
Après : Malgré de nombreuses tentatives pour préserver la
jeunesse et la couleur du lieu, le club ferme ses portes définitivement en
2002. Depuis 2010, il abrite un bar-restaurant de cuisine catalane et argentine
au design "de aires moderno"...
autrement dit, froid, gris, beige et grège insipides. Parfaitement sans
caractère histoire de contenter le plus grand nombre de papilles.
Sidecar : Pl. Reial, 7. Métro : Liceu.
Avant : En plein cœur du centre touristique, sur la
fameuse plaça Reial attenante à La Rambla, le Sidecar connaît ses beaux jours grâce
à son emplacement et à une programmation éclectique réunissant tous les publics.
Le club est un incontournable pour les Barcelonais en goguette. Un bar au
rez-de-chaussée et un club en sous-sol où il fait très chaud, toujours bondé.
Après : Le Sidecar est l'un des heureux rescapés de la
vague post-olympique. Il offre encore une programmation variée, clubbing et
concerts. Toujours aussi bondé les week-end à partir de minuit. La clientèle
autochtones se mêle aux touristes.
Velvet : Balmes, 161. Métro :
Diagonal.
Avant : Le bar-discothèque dont le nom évoque David Lynch.
Ouvert en 1987, un must en forme de sommet du design barcelonais aux faux airs
baroques (Miguel Morte et Alfredo Arribas). On y programme toute la musique à
la mode et la clientèle est ultra-lookée, tendance extravagante. Les célébrités
y sirotent des cocktails aux couleurs insensées.
Après : Le Velvet accueille une clientèle aisée et formatée.
On est loin de l'originalité débridée d'antan. Les consommations sont hors de
prix par rapport aux autres club du centre-ville. La plupart des soirées
rendent hommage aux 70's, 80's et 90's... Un brin nostalgique. Rien à voir.
Zeleste : Platería (aujourd'hui
appelée Argenteria). Métro : Jaume
1.
Avant : Salle
de concert démarrée en mai 1973, elle accueille la Música Laietana, ou Rock Laietano,
avec des groupes locaux tels que Secta Sònica, Orquesta Mirasol, Barcelona
Traction, Iceberg... mais aussi des musiciens internationaux. Le Zeleste est une
petite salle inspirée du Marquee, à Londres. On y entend aussi bien de la pop
et du rock que du flamenco, du jazz ou de la rumba catalane.
Après : En
1986, le Zeleste se déplace loin du centre historique pour s'installer dans une
ancienne fabrique de tapis située dans le populaire quartier de Poble Nou,
carrer Almogavers. Il programme Bjork, Tricky, Yoko Ono, McCartney et d'autres grandes
pointures aussi bien que des artistes locaux tels que Gato Pérez, l'un des rois
de la rumba catalane. Endetté, le Zeleste s'éteint en 2000 et cède sa place au Razzmatazz. Le Razzmatazz et ses cinq
salles n'ont plus grand chose à voir avec le "petit" Zeleste né dans
le quartier de la Ribera. Il est le grand complexe où l'on danse sur de
l'électronique et de l'indie. Sa grande scène voit passer la crème musicale, de
Bauhaus à David Byrne en passant par Coldplay, Fischerspooner, Smashing
Pumpkins ou Pulp (le lieu tient son nom d'un des titres phares du combo de
Jarvis Cocker). En 2013, il demeure l'espace, avec la salle Apolo du
centre-ville, où se réunissent les amateurs de son international. Avec des dj's
résidents aussi influents que Miss Kittin, un incontournable fréquenté par les puristes
barcelonais.
Zig Zag : Plató, 13. Métro : Lesseps.
Avant : Depuis 1977, le bar musical des noctambules de
tous poils. C'est aussi le lieu de référence en matière de déco à partir des
années 80 lorsqu'il se voit couronné du Grand prix FAD (prix de l'architecture
et du design de Barcelone). Avec ses lignes inspirées du Constructivisme, son
zinc années 20 et ses tables chromée portant le logo serpentin, pas de doute,
boire un verre entre amis au Zig Zag devient une expérience
Après : Le petit bar musical s'est agrandi pour devenir le
Zic Zac New. 220 m2 avec bar, salle
de spectacles et événementiels. Exit les tables chromées estampillées du fameux
logo en zigzag, exit aussi les lignes aux réminiscences années 20. Car le
"new" d'aujourd'hui est
synonyme de leds multicolores pour cacher la tristesse de l'uniforme, écrans géants,
canapés, tabourets-poufs et petites tables rondes au design Ikéen (!). La
singularité n'est plus vraiment le crédo de la nuit. Il faudra bien s'y
faire...
© Corinne Bernard.