On est dessaisi de soi-même, on se croyait roseau pensant, il n’en est rien.
L’animal est tapi dans cela même qui n’est pas descriptible.
« et
retroussée
comme babines
(et crocs) »
« et chaque reflet poussé
par l’eau
me bouleverse»
Il y a dialogue mais l’on ne sait pas très bien qui est le tu.
« elle se hâte
de te dépêcher
en hâte »
Qui appelle ? écrit Pierre Drogi
avec animale douceur et l’on sait bien que nous sommes tous, en poésie et
ailleurs, nous-même et un autre que nous appelons… On rentre très vite « dedans » le livre, parole à dire à haute voix.
Un chant animal au corps sacré jamais saisi, toujours en fuite.
« rapporte mon chien rapporte »
« animales
avec éloge pentu du temps »
Quelque chose de sublime (soudain) survient dans la faune de repli de ce monde
en campagne profonde. Déjà on dépiaute (halali) les reliefs d’étranges animaux
presque mutants à la limite d’homme. On ne sait plus, au mitant des halliers ils
s’affairent sans objet s’effacent des vivants. Quelque chose de très angoissant
circule dans ce texte indistinct ?
Qui sont-ils ?
« Hi hi hi c’est moi
Qui toi ?
C’est justement ce que je m’demande »
Alors ces sauvages-là, poésie à l’épreuve, ressassement dégingandé et
hautain. Poésie fracassante, nostalgie effarée de silence.
Ce sont des vers d’impossible blancheur pris dans une neige absente où il gèle
à pierre fendre au risque du sang caché.
« poésie fracassante »
« ai-je manqué à la joie ? »
« j’ai dit dix fois
le sentiment
j’en dois d’être entièrement
libre
j’ai dit patience
et gratuité »
Qui est je ?
Celui-là habité jusqu’à l’habitude de la puissance des verbes de recours à tout
jamais pourra-t-il advenir à la terre autrement que caché, sauvage ?
« j’ai perdu l’esprit des mots
les
vêtements
les regards »
Dylan Thomas n’avait pas tort…
Il y a ici poésie de vérité en ce qu’elle déroute.
« le balai fait œuvre de chiendent sur le parquet qui grogne
et mord »
On est nulle part assis à ne rien faire ou courir pour s’échapper dans une
fuite éperdue le corps giflé, griffé par les ronces et les branches qui
accélèrent la course puis, soudain, cet écrivain lutteur et immobile,
silencieux,
« grelottant
à la sortie des baleines »
Drogi arpente le monde en animal illuminé
« ce mal dont on fait corps de lune
règle ses comptes
….
mais il y a trop de vent ce soir
pour rire »
On a l’impression d’être là, animales
nous aussi, que c’est écrit pour nous sans nous effaroucher car ce n’est rien
qu’un souffle d’interstices. On est accueilli.
Le poète à la limite nous demande d’avoir écrit avec lui mais
« amour du sans parole
qui retourne au silence
ils ou elles
entreront quand je ne saurai
pas »
Dans la résurgence de la lumière
Il y a dans ce texte un désespoir et d’une richesse jamais au grand jamais
rassasiée.
Le sens se cherche, tourne un moment
se perd à nouveau comme l’enfant qui avec son coquillage cherchait à vider la
mer à lui tout seul.
« le vent bleu
joue à l’automne »
Plaques articulées pivotant les unes par rapport aux autres
On peut lire Animales en tous sens,
se le dire dans la tête, le proférer en chuchotant de silence. C’est mieux.
Cela donne à respirer l’odeur de vérité qui touche et fait mouche. Car « le crocodile ne rêve pas ».
[Paul de Brancion]
Pierre Drogi , Animales, Le Clou
dans le fer, 2013, 20€