En dépit de l’optimisme du Président de la République, tout le monde s’accorde pour dire que le chômage va continuer à progresser en France.
Par Jean Yves Naudet.
Un article de l'aleps.
Inexorablement, au-delà des fluctuations mensuelles, le chômage continue sa progression. La barre des 10% de chômeurs a été allègrement franchie. Mais l’indicateur le plus significatif et le plus inquiétant est celui de la destruction nette d’emplois : le nombre d’emplois salariés diminue.
L’explication dominante est qu’il s’agit d’un mauvais moment à passer, lié au ralentissement économique, mais que, dès que la reprise sera assez forte, le chômage diminuera. La réalité est assez différente.
Hausse du chômage et destructions d’emplois
Commençons par rappeler ce que nous indique le nombre de chômeurs. Ce nombre varie suivant la définition, de la catégorie A (personnes n’ayant même pas travaillé une heure dans le mois) jusqu’aux catégories B et C (personnes ayant travaillé plus ou moins longtemps, mais étant sans emploi en fin de mois). Il se situe désormais entre un peu moins de 3,5 millions (définition restrictive) et un peu moins de 5 millions, et même plus de 5 millions si on y ajoute les chômeurs d’outre-mer.
En dépit de l’optimisme du Président de la République, tout le monde s’accorde pour dire que le chômage va continuer à progresser en France. Peu suspect de partialité anti-française, le FMI annonce que la hausse du taux va se poursuivre, atteignant 11,2% fin 2013 et se poursuivra l’an prochain pour culminer à 11,6%.
Mais encore plus inquiétante est la réduction du nombre d’emplois salariés. En effet, le chômage peut augmenter si la population active progresse plus vite que la création d’emplois. Mais là c’est pire, ce sont les destructions d’emplois qui l’emportent sur les créations et le nombre d’emplois salariés diminue, le chômage progressant alors encore plus vite. Au second trimestre 2012, dans le secteur marchand (en données corrigées des variations saisonnières) le nombre d’emplois salariés diminuait de 18 600. La chute était de 40 900 et 41 500 pour les 3ème et 4ème trimestres 2012. Les choses semblaient s’améliorer au premier trimestre 2013, avec une perte de 8 300 emplois, mais la dégradation reprenait pour le second trimestre 2013 : 27 800 emplois salariés marchands de moins.
« Il n’y a qu’à » relancer la croissance !
Pour expliquer cette dégradation, on a en général une explication simple : l’emploi dépend de la production, donc de la croissance. L’emploi se dégrade parce que l’on est en récession ou en faible croissance ; beaucoup « d’experts » expliquent doctement qu’il y a un rythme de croissance à partir duquel le chômage se réduit nécessairement. Pour les keynésiens, il y aurait un lien mécanique entre croissance et emploi. Il suffirait donc d’une bonne relance par la demande (grâce aux dépenses publiques et à une politique monétaire accommodante) pour que la croissance redémarre et que recule le chômage. Cette vue « mécanique » va dans certains pays (les États-Unis, et tout récemment le Royaume-Uni) jusqu’à assigner à la politique monétaire un objectif précis : le loyer de l’argent restera faible en Angleterre tant que le taux de chômage sera supérieur à 7%.
Or, d’une part le stimulus par la demande ne relance rien du tout et on a pu observer l’échec de toutes les politiques de relance depuis le début de « la crise », d’autre part, même en cas de reprise de la croissance cela ne veut pas dire que les entreprises vont se précipiter pour créer des emplois : il y a une inertie dans la « machine » économique : il faut non seulement de la confiance et des incitations pour embaucher, mais aussi des moyens en hommes, en crédits. Est-ce le cas en France ?
L’inertie de la main d’œuvre employée
On peut atteindre le même niveau de production avec plus de main d’œuvre et moins de machines ou l’inverse, avec une main d’œuvre plus ou moins qualifiée, ou avec une productivité plus ou moins élevée. La préférence des entrepreneurs est de faire l’ajustement de la production non pas sur le nombre de personnes employées mais sur leur productivité. Avec les mêmes effectifs on peut faire face aux mauvaises conjonctures (le licenciement sera une ultime mesure, car l’entreprise a investi en formation, en qualification, sur son « capital humain») comme aux bonnes conjonctures (envisager de nouveaux emplois implique des coûts d’embauche immédiats).
Le facteur travail n’est pas un élément comme les autres : il n’est jamais parfaitement mobile. La rapidité d’adaptation du capital financier est plus rapide que celle du facteur travail. Sauf à rendre l’affectation à l’emploi obligatoire, comme dans une caserne ou une prison, ce qui se paierait en perte de liberté et de productivité, il existera toujours un taux de chômage naturel encore appelé « frictionnel », que l’on peut évaluer à 2 ou 3% de la population active.
En fait, on oublie un élément essentiel dont nous avons souvent parlé ici : le marché du travail est un marché. Sur un marché, la situation dépend de l’offre, de la demande et du prix. Mais pourquoi ce marché fonctionne-t-il si mal ?
Mobilité et flexibilité
L’explication est le manque de flexibilité. Les rigidités « normales » du marché de l’emploi sont amplifiées par toutes les règles administratives et sociales.
Voyons le côté de l’offre de travail. Lorsque les entreprises ont du mal à licencier, elles hésitent à embaucher ; lorsque la formation est inadaptée, les travailleurs ont du mal à se reconvertir. Lorsque la concurrence est artificiellement réduite (professions fermées, protectionnisme, services publics…), les opportunités d’emplois sont plus faibles.
Voyons maintenant le côté de la demande de travail par les chômeurs. Lorsque les coûts de la mobilité sont exorbitants (par exemple lors de la vente et de l’achat d’un logement), la mobilité est réduite d’autant. La flexibilité fait peur, alors qu’elle est une des conditions d’un bon fonctionnement du marché du travail. La recherche d’un emploi est également ralentie par le niveau d’indemnisation du chômage. S’il bénéficie d’une indemnisation suffisante, un chômeur peut retarder sa décision en espérant avoir une occasion de retrouver un emploi qui lui convienne mieux (localisation, métier, confiance dans la durée de l’emploi)
Voyons enfin le prix : la rigidité du coût du travail est un facteur déterminant du chômage. L’existence du SMIC, surtout à un niveau élevé, est un facteur de chômage pour les moins qualifiés, dont les jeunes et les femmes (de ce côté les choses ont tout de même évolué !). Le poids des charges fiscales et sociales est également déterminant. Il double pratiquement le coût du travail. Au total, si le salaire était flexible et moins élevé, les entreprises continueraient à embaucher et l’emploi se porterait mieux. La fiscalité et parafiscalité et la rigidité du salaire sont des éléments explicatifs essentiels du chômage.
Il n’est pas vrai que la hausse du chômage soit inéluctable « parce que » la croissance n’est pas au rendez-vous. Une telle erreur conduit tout le monde à attendre la croissance les bras croisés, en attendant que « ça change ». La vérité, c’est qu’il y a chômage parce que l’on a détruit le marché du travail, la mobilité du travail comme la flexibilité de son coût. Libérons le marché du travail, réduisons les prélèvements obligatoires et on verra que c’est bon non seulement pour l’emploi, mais aussi pour la croissance. Ici comme ailleurs, c’est la liberté qui est créatrice et les rigidités qui sont destructrices.
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