Si d’aventure nous devions frapper la Syrie, nous le ferions pour les plus mauvaises raisons du monde : l’orgueil démesuré d’un homme de plus en plus seul qui tente, désespérément, de prouver au monde entier que la place qu’il occupe par hasard est bien la sienne.
Un billet d'humeur de Marc Suivre.
S’il est un élément aussi sûr que l’existence de Dieu à Djeddah, c’est que la France est une Monarchie républicaine… absolue. Je m’explique. Là où d’autres dirigeants vivent sous la férule d’électeurs uniquement préoccupés par leurs intérêts égoïstes, nos élites aussi éclairées qu’altruistes vivent entre elles et décident, pour nous, de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas. Cette « démocratie » populaire apaisée permet ainsi à notre beau pays d’être à la pointe du combat contre le mal. Là où tant d’autres sont à la traine, le petit coq peut ainsi, les deux pieds bien calés dans le fumier, donner des leçons de chant à la planète entière.
À Parlement inexistant : déséquilibre des pouvoirs assuré
Le système institutionnel français est hémiplégique. Selon la pensée himalayenne d’Alain Duhamel il n’est plus qu’une seule élection qui vaille : la Présidentielle. C’est lors de cet exercice, désormais quinquennal, que notre bon Peuple croit, à tort, se doter librement d’un souverain pour les cinq années suivantes. Or, rien n’est plus faux ! En vérité, les électeurs n’ont qu’un choix apparent entre les deux faces d’une même politique. Leur vote ne sert qu’à désigner ceux qui auront le plaisir de jouir des privilèges du pouvoir (et de vivre grassement de la bête, mais ça, c’est une autre histoire). L’affrontement idéologique n’existe plus que chez les éditorialistes et n’est qu’une façade destinée à faire croire qu’il y a débat. Toutes les questions qui se posent ayant été préalablement évacuées au titre de la « morale républicaine », le « combat des chefs » se déroule en toute quiétude, entre des gens « bien élevés ». On ne discute plus que de l’accessoire et la presse se focalise sur le superflu, tant est si bien que l’on vote contre plutôt que pour. Si, dans ces conditions, les Français pensent de plus en plus que la présidentielle leur a été volée, c’est que hélas, il s’agit de la triste vérité. Nous nous retrouvons avec un Président que nous n’avons pas souhaité, tout simplement parce qu’une majorité relative d’entre nous s’est laissée convaincre qu’elle ne voulait plus du sortant.
Cette affaire ne serait pas grave si nous vivions dans un système de pouvoir équilibré. Or en matière institutionnelle la France souffre d’un déséquilibre certain. Tout converge vers le sommet de la pyramide. En dehors du Président, il n’y a plus d’autres pouvoirs qui vaillent. Les juges sont noyautés par le bolchévisme au point d’ériger « en toute indépendance » un « mur des cons » sans qu’il ne se passe rien. La presse d’opinion (pléonasme) est à 90% de gauche et les parlementaires ne sont plus qu’une bande de godillots, inféodés à une écurie dans le but de recevoir quelques prébendes. En cela ils ne remplissent absolument pas le rôle qu’ils sont supposés tenir. Pour que l’équilibre des pouvoirs fonctionne, l’exécutif doit répondre de ses actes a minima devant le législatif. De par le vaste monde, en dehors de la Corée du Nord, aucun gouvernement n’est moins contrôlé que le nôtre. L’opposition n’a pas de moyens et passe quatre des cinq années de la législature à se bouffer la gueule, pour trouver son champion pour le coup d’après. La majorité, quant à elle, est composée de béni-oui-oui. Les plus actifs d’entre eux n’ont qu’une obsession : celle de satisfaire les différents lobbys pour se voir décerner la palme du plus politiquement correct. Ce sésame leur permettra de quitter le Marais parlementaire pour s’élever dans la lumière gouvernementale. Les autres se contentent de grenouiller afin d’assurer leur investiture pour le prochain coup.
Les électeurs sont les premiers responsables de cet état de fait. Eux qui ont été élevés dans le culte de l’État omnipotent, se comportent face à l’offre politique, comme des consommateurs avachis. Ils savent que les produits sont de plus en plus frelatés, mais il ne leur viendrait pas pour autant à l’idée de tenter l’aventure avec un producteur indépendant. Non ! Ils veulent des marques et votent pour des labels qui ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils étaient lors de leurs lancements respectifs. Puisque seule l’apparence compte pour eux, ils ont des élus qui ne les représentent pas. Nos parlementaires ont une haute opinion d’eux-mêmes, au point d’imposer au Peuple des idées qui ne lui seraient jamais venues. Ils appellent ça : « le progressisme ». Vous trouvez ça aberrant ? N’oubliez jamais que les électeurs ont les élus qu’ils méritent !
Le roi c’est bien, mais tout dépend du souverain
Voici donc comment on finit par concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un seul individu. Je ne suis pas de ceux qui sont, par principe, hostiles à l’Homme providentiel. Cela a magnifiquement réussi au moins trois fois dans notre histoire : avec les deux Bonaparte et avec De Gaulle. L’alternative, mise en place par les "Républicains" après Sedan était absolument désastreuse. Elle revenait à sélectionner à coup sûr le plus idiot (et dieu sait qu’à l’Assemblée la compétition pour ce titre est féroce). De combien de Clémenceau nous sommes nous donc passés, durant cette maudite troisième république, au profit d’un nombre incommensurable de Deschanel ? Le problème ne vient pas tant du Roi que de la méthode pour le sélectionner. Du temps où l’on se passait de l’avis des gueux, la naissance pourvoyait à la question. Certes, quelques puissants, les aléas du sexe et la mortalité infantile pouvaient venir, de temps à autre, remettre un peu en cause ce bel arrangement, mais la plupart du temps, il fonctionnait… jusqu’à produire Louis XVI.
C’est justement par le sobriquet de François XVI que le désastre qui nous tient lieu de Président est souvent désigné par les plus réalistes de ses camarades. En vérité si le problème de la personnalité de notre prince se pose avec autant d’acuité, c’est que l’actuel titulaire (comme Louis XVI en son temps) n’aurait jamais dû accéder au trône. Non que celui qui y était destiné fût exemplaire, mais il avait un lustre de compétence dont le Président du Conseil général de la Corrèze ne s’était jamais donné la peine de se parer. Que ce lustre ait été fabriqué de toutes pièces par une armée de troubadours surpayés, roulant en Porsche Panamera est une autre histoire. Toujours est-il qu’avant son coup de queue fatal, DSK était nimbé d’une présomption de compétence, là où Normalito n’était que flou et loup aux dires de la grand-mère de l’autre. Les fesses de Nafissatou eurent-elles été moins girondes que le sort du monde en eut été changé… on a les tragédies et les Marc Antoine que l’on peut rue de Solférino.
Si la France pouvait s’accommoder du dernier Bourbon absolu (eut-il eu le cran de faire donner les Suisses en juillet 89), car elle était les États-Unis du moment, notre pays peut, aujourd’hui plus difficilement faire avec François II, dans la mesure où sa puissance actuelle est au mieux comparable à celle de la Saxe du XVIIIe siècle. Les Français ne sont pas contre le principe de la concentration des pouvoirs, à condition qu’ils reposent entre des mains qu’ils estiment expertes. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’en la matière, François Hollande est un parfait manchot.
L’aventure syrienne du cocu magnifique
L’Orient est compliqué, c’est un fait. Dans le même ordre d’idée, il n’y a pas plus atlantiste qu’un socialiste, toujours prompt à se fourvoyer dans la dernière connerie à la mode, pourvu qu’elle ait été planifiée à la Maison Blanche. Si vous ajoutez dans l’équation le fait que cette même bicoque est occupée depuis 2008 par un Saint et que ce Prix Nobel de la Paix s’entendait comme larron en foire avec Sarkozy... Vous comprenez pourquoi notre Président a cru bon de foncer tête baissée.
Bien sûr il y a eu le précédent Libyen. Bien sûr nous savons tous que François est un mec normal qui veut faire de la politique autrement. Il n’empêche qu’après avoir manqué son coup avec le Mali, le père des enfants de la mère de la « bravitude » s’en est senti pousser une nouvelle paire avec l’affaire syrienne. Il a pris la posture facile, du meilleur allié de l’Amérique (ce qui est savoureux concernant le personnage, mais pas inhabituel à la SFIO). Il a décrété tel Jupiter sur l’Olympe qu’il fallait punir le méchant, que la France y était prête (quia nominor leo) et a fait, sur ce, appareiller une frégate (rhoooo le grand Homme très puissant !). Ce faisant il n’a pas fait de politique, il a prêché. La morale lui tient lieu de réflexion stratégique et le contrat d’armement de plusieurs milliards, en cour de négociation avec l’Arabie Saoudite – principal demandeur de frappes anti Assad – est certainement d’une moralité à toute épreuve.
La Syrie aux Syriens
Si l’utilisation de gaz ne semble faire aucun doute, bien malin celui qui, en l’état actuel des choses, peut nous dire avec certitude qui est coupable de les avoir utilisés. Ce que vit ce malheureux pays à l’heure actuelle, n’est pas une guerre civile, mais une guerre de religion. Les Sunnites tentent de reprendre la main sur les Alaouites qui s’étaient saisis des commandes à l’occasion de l’effondrement de l’Empire ottoman (et du mandat français, mais bon, l’Histoire n’est plus enseignée, elle est dangereusement subversive). De là les soutiens de l’Arabie Saoudite et de la Turquie aux rebelles et de l’Iran et du Hezbolla à Assad. En dehors d’être l’allié historique du pays (et de la famille), les Russes partagent avec Assad la même aversion pour le wahhabisme et toute autre forme de « revival » islamique. Quant aux Chinois ils sont payés pour savoir ce que produit l’interventionnisme occidental et ne sont pas non plus contre le fait de pouvoir continuer de traiter le Ouïghour comme le premier Tibétain venu.
On peut toujours le déplorer, mais au siècle de BHL, plus de 200 ans après Voltaire et Diderot, dans les terres baignées depuis des siècles par la prodigieuse tolérance de l’islam, le plus sûr moyen de tuer son prochain consiste toujours à vouloir sauver son âme en lui révélant la vraie foi. Dans ces conditions chacun des deux camps est bien capable d’avoir eu recours à l’arme chimique. Le camp Assad pour montrer qu’il fait ce qu’il veut chez lui et qu’il détient la toute-puissance (une posture jupitérienne en quelque sorte). Les rebelles eux, toujours prompts au martyr – qui est des plus télégénique en période estivale – y avait également tout intérêt dans la mesure où l’on ne manquerait pas de mettre ça sur le dos de leur adversaire (et par un hasard comique ça n’a précisément pas manqué).
Alors l’Amérique du Prix Nobel de la Paix nous dit avoir des preuves « irréfutables » de l’implication du clan Assad. Ces preuves ne viendraient pas après celles, toutes aussi massives que les armes de destruction de Saddam Hussein, il y a de cela à peine dix ans, que nous pourrions y croire. Après un tel précédent, il peut être légitime de douter. Notre Président lui n’a aucun doute. Les preuves, son nouvel ami Barack les lui a sans doute montrées, comme W avait dû tenter de le faire avec Jacques Chirac pour l’affaire irakienne. Notre "leader charismatique" a même rendu publique une note de nos services que l’on s’échine à qualifier de "renseignement" là où les Anglo-saxons parlent "d’intelligence" (allez donc savoir pourquoi). Ce document n’est pas une preuve, mais une série d’affirmations que l’on est prié de croire étayées. Un peu court jeune homme ! Nous voyons bien, dans le cas présent que, sauf à finir anosognosique, François Hollande n’est pas Jacques Chirac, tout comme Laurent Fabius n’est pas Dominique de Villepin (ça doit venir des cheveux). Certes, ce coup ci, les "frenchs fries" ne seront pas débaptisées et nous voilà parés du titre de « plus vieil alliés de l’Amérique » (ce qui est historiquement exact). Pour autant François semble le seul à ne pas vouloir consulter son Parlement sur une chose aussi insignifiante que la guerre ou la paix. Et dans le cas, pas improbable, où le Congrès Américain décide, à l’instar de la Chambre de Communes, de doucher les velléités guerrières de son « leader maximo », le bon François se retrouvera seul comme un con, à poil avec sa frégate au large des côtes syriennes…
La France socialiste n’a pas plus la mesure des choses en politique étrangère qu’elle ne l’a en matière de politique pénale, de lutte contre l’insécurité, de relance économique ou de liberté publique. Les socialistes ne font plus de politique, ils font de la morale, ils ne gouvernent plus, ils éduquent, ils ne prévoient plus, ils prêchent. Dans ces conditions il ne faut pas s’étonner du ridicule qui secoue une fois de plus notre vieux pays. Si d’aventure nous devions frapper la Syrie à la remorque des Américains, ou pire, à leur place, nous le ferions pour les plus mauvaises raisons du monde : l’orgueil démesuré d’un homme de plus en plus seul qui tente, désespérément, de prouver au monde entier que la place qu’il occupe par le hasard d’une étreinte furtive est bien la sienne. Pauvre France !