Hydroélectricité : premiers renouvellements de concessions avec mise en concurrence dès 2014 ?

Publié le 03 septembre 2013 par Arnaudgossement

Le Gouvernement pourrait avoir changé de position s’agissant de l’ouverture à la concurrence du renouvellement des concessions d’installations hydroélectriques. En réponse à un référé du Premier Président de la Cour des comptes, trois ministres viennent en effet d’annoncer la reprise du processus suspendu en début d’année 2014. Il est cependant trop tôt pour savoir de quelle manière s'opèrera l'ouverture de ce marché à la concurrence.


Le référé du Premier président de la Cour des comptes et la réponse ministérielle à ce référé peuvent être téléchargés ici.
La page du site du ministère de l’écologie consacrée à ce dossier peut être consultée ici.
De manière générale, il faut saluer les termes de la lettre par laquelle les ministres de l’écologie, de l’économie et du budget annoncent une reprise du processus d’ouverture à la concurrence. Cette ouverture n’est plus présentée comme contraire mais, à l’inverse, comme contribuant à la valorisation du « patrimoine national » hydroélectrique. Précisons que ledit patrimoine restera bien national dès l’instant où il ne s’agit que d’en concéder l’exploitation et non la propriété. Par ailleurs, il est étonnant que cette décision puisse être conçue comme menaçant les intérêts de l’opérateur historique, ce dernier profitant au contraire de l’ouverture à la concurrence, notamment des marchés étrangers.

La tradition française de confusion des notions de "service public" et de "monopole" a encore la vie dure.
Le référé du Premier Président de la Cour des Comptes
Le référé n°67194 du 21 juin 2013 fait état des différents motifs qui appellent la France à ne plus retarder cette mise en concurrence. Il précise :

« La mise en  concurrence permet de valoriser au mieux l’actif que représentent les grandes installations hydroélectriques, propriété de l’Etat ».

Premier motif de cette intervention de la Cour des comptes : le manque à gagner pour les finances publiques :

« Par ailleurs, la redevance prévue par la LFR pour 2006 n'a jamais  été appliquée aux nombreuses concessions arrivées à échéance depuis cette date. »

« En 2012, la perte directe résultant de la non-application de la redevance pour les collectivités publiques peut être estimée à 3 M€5. En 2013, elle sera d'environ  50 M€  pour atteindre près de 100 M€ par an en 2020. Dans la mesure où le renouvellement n'aura lieu au mieux qu'en 2016, au vu de la longueur de la procédure type, la perte cumulée sur la période pourrait atteindre plus de 250 M€ et, le cas échéant, 600 M€ d'ici à 2020. »

Deuxième motif : la mise en péril des objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements définie par arrêté du 15 décembre 2009 :
« Enfin, dans la mesure où la programmation pluriannuelle des investissements (PPI) assigne à l'hydroélectricité des objectifs de développement très ambitieux (+ 3 TWh et + 3 GW en 2020 par rapport à 2006), les retards de la procédure de renouvellement avec mise en concurrence constituent aussi un obstacle pour les investissements d'augmentation des capacités de production ou de puissance. »

Troisième motif : le respect des engagements européens de la France :

« La mise en concurrence est également conforme aux engagements européens de la France, résultant de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relative aux contrats de concession de services et, dans un avenir proche, du projet de directive « sur l'attribution de contrats de concession » adopté par la commission le 20 décembre 2011. »

La lettre du Premier président de la Cour des comptes s’achève en ces termes :

« Elle [la Cour des comptes] ne peut que constater que ces retards et hésitations dans la procédure de mise en concurrence, en dépit  des textes législatifs  et réglementaires adoptés  en 1993, 2000, 2004, 2006 et 2008, génèrent un manque à gagner croissant pour les finances publiques. Ils désorganisent et démotivent les candidats potentiels aux nouvelles concessions qui déplorent l'absence de stratégie claire de l'État. Ils risquent aussi d'accréditer, de la part de la Commission européenne, le sentiment que la France s'oppose à l'ouverture de son marché de la production d'électricité. »
Vers une ouverture à la concurrence ?

Il est encore trop tôt pour juger de la sincérité et des conditions de l’ouverture à la concurrence des concessions d’hydroélectricité. La lecture de la lettre adressée par les trois ministres de l’écologie, de l’économie et du budget semble démontrer un changement de doctrine.

Ladite lettre précise en effet :

« Sans préjuger des conclusions de la mission parlementaire, il semble qu’à ce stade la mise en concurrence constitue la solution juridique la plus robuste pour optimiser le patrimoine national de l’hydroélectricité ».

Cette phrase est à mettre en regard des propos de la précédente ministre de l’écologie. Lors d’une audition par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, le mercredi 24 octobre, Delphine Batho s’était en effet montrée opposée à cette ouverture à la concurrence :

« C’est un sujet que je suis en train d’examiner, puisque vous le savez les concessions arrivent à leur fin dans les années à venir. il y a le problème de délai de licence sur le renouvellement qui semble devoir passer par une mise à la concurrence qui était décidée à la fois par le cadre européen et la loi sapin. Il y a un enjeu de valorisation du patrimoine français en matière d’hydroélectricité, de valorisation environnementale. Moi je ne souhaite pas une nouvelle libéralisation. On me dit que les choses sont tellement engagées qu’elles doivent être suivies dans la même logique, donc j’ai demandé l’étude de scénarios alternatifs. La Commission européenne est aussi très allante pour le fait que la trajectoire qui était prévue soit poursuivie.»

La demande de scénarios alternatifs a eu pour effet immédiat de geler le calendrier d’ouverture des concessions qui n’en finissait déjà pas de glisser depuis 2010.

Il est cependant encore trop tôt pour savoir si le renouvellement des concessions permettra une véritable ouverture à la concurrence. Si le principe est acté, ses modalités précises de mise en œuvre ne sont pas encore connues. Pour l’heure, le Gouvernement étudie « Une modification des modalités de regroupement des vallées ».

En fonction de leur rédaction, les nouvelles conditions de l’ouverture à la concurrence peuvent permettre ou non l’entrée de nouveaux opérateurs sur ce marché. A titre d’exemple, la taille de la concession dont le renouvellement est mis en concurrence peut avoir ainsi une incidence : il pourra être plus difficile de candidater si les montants à investir sont très importants. De même pour le calendrier. Son accélération peut poser des difficultés aux sociétés qui devront éventuellement se positionner et remonter un dossier de candidature à bref délai.

Reste que la lettre des ministres fait état du souci d’identifier et d’éliminer d’éventuelles barrières de ce type, s’agissant notamment du montant de l’indemnité d’éviction qui pourraient être due au concessionnaire sortant. Au contraire, les ministres justifient le délai pris pour la définition des termes de la consultation par le souci de prévenir le risque de formation de telles barrières.

Pour démontrer la fermeté de leur engagement, les ministres avancent également un calendrier et une première échéance : le premier semestre 2014 :

« Dans ce contexte, le lancement, de manière échelonnée, du renouvellement des premières vallées pourrait intervenir dès le premier semestre de l'année 2014 ».

Arnaud Gossement
Selarl Gossement avocats