Comprendre le drame du Darfour

Publié le 06 juin 2007 par Willy
Comprendre le drame du Darfour Par Simone DUMOULIN   Qualifiées par la commission d’enquête de l’ONU de crimes contre l’humanité, les exactions commises depuis maintenant deux ans au Darfour, une région de la taille de la France, plongent la population dans l’horreur des massacres, des exodes forcés et de la famine, et compromettent la stabilité de toute une partie de l’Afrique. La gravité de cette situation est niée par un régime politique soudanais centralisateur, violent et corrompu, alors que les preuves abondent de son implication directe dans ces massacres. Qualifiées par la commission d’enquête de l’ONU L’analyse des événements tout aussi dramatiques et même souvent encore plus meurtriers qu’au Darfour survenus dans d’autres régions du Soudan, montre que la seule réponse du régime politique soudanais aux crises internes est le massacre ; le gouvernement soudanais lui-même étant parfaitement illégitime puisque il est issu d’un coup d’Etat. Prise dans un faisceau d’intérêts contradictoires, la communauté internationale peine à faire cesser ces crimes, ce qui rendrait pourtant aux populations du Soudan un espoir érodé par les vingt ans de guerre et les 2 millions de morts du Sud-Soudan, chrétien et animiste. Massacres et exodes Tout était calme dans ce village africain rural et paisible du Darfour quand un groupe de janjawid, les diables à cheval, en uniforme de l’armée soudanaise, a attaqué dans un vacarme assourdissant, en hurlant « tuez les esclaves, tuez les Noirs ». En quelques heures, ils ont tué des hommes, parfois brûlés vifs, violé les femmes et les filles dès l’âge de 8 ans en leur criant qu’elles allaient enfin avoir un bébé arabe, pillé les troupeaux, brûlé les maisons, empoisonné les puits, percé à coup de kalachnikov les récipients susceptibles de contenir de l’eau, profané mosquées et corans, quoique attaquants et attaqués soient tous musulmans. Les survivants se retrouvent sur les pistes, sans ressources. Certains se rendront dans des camps de réfugiés au Tchad, d’autres iront grossir au Darfour les immenses camps de déplacés où ils retrouveront les janjawid qui s’y pavanent triomphalement, les harcelant, violant les femmes dès qu’elles sortent du camp pour chercher du bois pour le feu, en leur criant de revenir avec les hommes pour qu’ils puissent les tuer. Là, les forces gouvernementales ont longtemps exercé toutes sortes de pressions pour obliger les déplacés à quitter les camps du Darfour, les sommant de rentrer chez eux, les jetant au milieu de nulle part alors qu’ils ne trouveront ni à boire ni à manger, que leur village n’existe plus, que les récoltes et les semences ont été brûlées et qu’avant même de parvenir à leur village, ils se feront massacrer par les janjawid, loin de tout regard indiscret. Cela dure maintenant depuis deux ans. Les photos satellites montrent plus de 400 villages ainsi brûlés la seule première année. Les Soudanais qui s’émeuvent de ces crimes sont arrêtés par les forces de sécurité, mis au secret et souvent torturés, et en premier, les citadins issus de ces tribus massacrées du Darfour. Crimes contre l’humanité Les organisations internationales, Human Rights Watch, Amnesty International, International Crisis Group, de nombreux journalistes et hommes politiques ont recueilli par centaines les témoignages de ces atrocités. Les Nations Unies comptent 200 000 morts de maladie et de malnutrition, 50 000 tués par les armes à feu, les armes blanches, ou brûlés vifs, 2,4 millions de déplacés et 200 000 réfugiés, sans parler des innombrables viols. On attend 10 000 morts de plus par mois et 3 millions de déplacés/réfugiés, fin 2005. La présence de camps de déplacés, malgré l’insécurité qui y règne, a empêché la Commission d’enquête diligentée par les Nations Unies de conclure à un génocide. Elle a néanmoins déclaré que l’accusation de crimes contre l’humanité qu’elle lançait à l’encontre du gouvernement soudanais et les milices janjawid, n’était pas moins grave qu’un génocide et que les criminels (cinquante deux personnes identifiées dans une enveloppe scellée), devraient être jugés par la Cour Pénale Internationale. La pression de la communauté internationale n’a réussi ni à faire cesser ces massacres, ni à faire juger les janjawid par Khartoum. Elle a seulement permis que ces attaques de villages ne soient plus systématiquement précédées par des bombardements de l’aviation soudanaise, et a arrêté le rapatriement forcé des déplacés. Sur le terrain, les derniers développements sont alarmants. L’Etat harcèle le personnel humanitaire qu’il soupçonne de divulguer les exactions. Les janjawid ont récemment menacé de s’en prendre aux occidentaux parmi ce personnel. Beaucoup sont désormais regroupés laissant les déplacés seuls. Les Nations Unies n’ont plus d’argent pour le Soudan, tout ayant été dépensé pour le tsunami. Une situation niée par le gouvernement soudanais Le gouvernement soudanais minimise ou nie la gravité de la situation au Darfour, disant par exemple que les musulmans ne violent pas, qu’il est normal que les tribus arabes soient armées pour pouvoir se défendre – alors qu’aucun village arabe n’a été attaqué-, qu’il s’agit d’un conflit sur les ressources en eau, que toute cette affaire est inventée par l’ambassade américaine et les ONG et surtout que le gouvernement n’y est pour rien. Une situation organisée par le gouvernement soudanais Or ce drame du Darfour est perpétré par l’Etat soudanais qui organise, arme et commande les milices janjawid. Les preuves et témoignages abondent : la présence de l’armée soudanaise lors de l’attaque des villages, les bombardements aériens, le port d’uniformes par les janjawid jusqu’aux instructions écrites de Khartoum portant sceaux et signatures que l’organisation Human Rights Watch a pu se procurer ou aux déclarations de Musa Hilal, un chef des Rizeigat Abbala armés par le gouvernement soudanais, selon lesquelles toutes les milices sont commandées par un officier de l’armée qui reçoit ses ordres du commandement de l’Ouest du Soudan et de la capitale. Les causes Depuis au moins 1820 et la colonisation égyptienne, le centre du pays proche de la vallée du Nil jusqu’à la frontière égyptienne, a un fort sentiment de supériorité vis à vis du reste du pays et accapare pouvoir et ressources. Ce sentiment est dû à plusieurs causes. Des causes historiques d’abord. Cette partie de la vallée du Nil s’enorgueillit d’une histoire qui date de 5000 ans. Celle du Darfour, par exemple, ne remonte qu’au 16ème siècle, alors qu’il était un sultanat indépendant. La même partie de la vallée du Nil, de chrétienne qu’elle avait été du 6ème au 16ème siècle, fut arabisée puis islamisée du 12ème au 17ème siècle. C’est par elle et par ses marchands que, plus tard, le pays connut l’islam et la langue arabe. Arabisés, ses habitants ont un teint un peu plus clair. Tout cela justifie, dans leur inconscient, l’écart de traitement entre le centre et la périphérie. La publication anonyme d’un Livre Noir fit prendre conscience aux Darfouriens que leur région était en-dehors des circuits du pouvoir et de l’argent. La manne pétrolière nouvelle, dont ils ne profitèrent pas du tout, allait aggraver leurs ressentiments. De plus l’Etat ne faisait rien pour lutter contre les innombrables bandits des grands chemins. Vinrent les pourparlers de paix du Sud. Les tribus africaines du Darfour (en particulier les Four, les Zaghawa et les Massalit) comprirent qu’au prix d’une guerre de plus de 20 ans, les Sudistes obtenaient des avantages considérables et que seul le langage des armes était entendu par Khartoum. Ils se rebellèrent. Ne pouvant faire mater cette rébellion par l’armée régulière dont bon nombre de sous-officiers sont issus de ces tribus, le gouvernement soudanais appela les tribus arabes du Darfour à faire la guerre contre les tribus africaines du Darfour. Certaines, dont les Rizeigat Baggara, refusèrent. D’autres au contraire s’engagèrent fortement. Ainsi par exemple, les Rizeigat Abbala du chef Mousa Hilal qui s’est vu accorder par avance toute impunité. Ces tribus seront surnommées janjawid. Les même causes produisant les mêmes effets, la contestation contre les inégalités de traitement du gouvernement soudanais n’est pas l’apanage du Darfour puisqu’elle fut une des causes de la guerre du Sud-Soudan et que, maintenant, au Nord, les collines de la Mer Rouge connaissent une forte agitation qui se répandrait au Kordofan. Les graves exactions du Darfour ne sont ni les seules, ni les premières Débutée en 1983 la guerre contre le Sud-Soudan, dont la taille est d’une fois et demie la France, a fait dans les rangs de la population chrétienne et animiste de cette région plus de 2 millions de morts, plus de 4 millions de personnes déplacées et plus de 500 000 réfugiés. Ce même régime politique a aussi : - massacré et dispersé comme au Darfour, les Noubas, tribus montagnardes du centre du Soudan au début des années 1990 provoqué une terrible famine dans le Bahr el Ghazal, au Sud, et massacré ses populations en 1998 ; réduit ses jeunes en esclavage jusqu’en 2001 ; - massacré et dispersé comme au Darfour, les Shillouks, près de Malakal, au Sud, en 2004 ; massacré et dispersé comme au Darfour, les populations des zones pétrolières du Sud depuis 1999 : les derniers témoignages de ces exactions remontent à janvier 2005. Les survivants ne sont jamais retournés chez eux. Dans ces régions les massacres et les déplacements n’ont pas été chiffrés. La communauté internationale ne s’y est pas intéressée, l’accès est très difficile et de plus interdit. Un gouvernement soudanais illégitime En 1989, le gouvernement et le parlement démocratiquement élus s’apprêtent à faire la paix avec le Sud-Soudan et, pour ce, à supprimer la charia, loi islamique qui fait des non musulmans que sont les habitants de cette région, des citoyens de seconde classe. Pour sauver la charia, le mouvement des Frères Musulmans, qui avait été largement battu aux élections avec moins de 10% des voix, perpètre alors un coup d’Etat, attend, pour s’annoncer comme Frères Musulmans, d’avoir les rouages de l’Etat bien en main, met en place un régime totalitaire avec des services de sécurité qui enlèvent, torturent, voire tuent tout opposant supposé dans tout le pays, poursuit 16 années supplémentaires de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Sud-Soudan, et accumule une richesse colossale. De fragiles pourparlers de paix Si l’on ne tient pas compte de prétendus pourparlers de paix par le gouvernement soudanais avec des non rebelles, des chefs tribaux non impliqués voire des janjawid, des pourparlers ont eu lieu à l’instigation d’abord du Tchad puis de l’Union Africaine. Le Tchad est très impliqué dans la guerre du Darfour puisque le territoire des tribus africaines Massalit et Zaghawa s’étend du Darfour jusqu’au Tchad, tandis que des tribus arabes du Tchad participent au pillage des tribus africaines du Darfour. Le président du Tchad est lui-même un Zaghawa mais il est très redevable au président soudanais qui l’a aidé à prendre le pouvoir. Ces pourparlers ont abouti à un cessez-le-feu qui n’a jamais été respecté : ce non respect étant scrupuleusement noté par une force envoyée au Darfour par l’Union Africaine, avec, comme seul mandat de noter les non-respects du cessez le feu, sans autorisation d’intervenir, ni entre les combattants, ni pour protéger les populations. Il a été plus récemment décidé de conduire les pourparlers en suivant le plan qui avait été utilisé pour les pourparlers de paix avec le Sud-Soudan, en commençant par la question du partage du pouvoir. Si le gouvernement soudanais semble vouloir accepter un peu plus de démocratie pour le Darfour, il paraît beaucoup plus réticent à l’idée de le laisser participer au gouvernement central. Toutefois, selon l’accord de paix avec le Sud, il y aura des élections libres dans trois ans dans tout le Soudan. Qui vivra, verra. Mais les organisations rebelles, principalement le grand Mouvement pour la Libération du Soudan (MLS) et le petit Mouvement pour la Justice et l’Egalité (MJE) bien financé par une faction non autorisée des Frères Musulmans (cheik El Tourabi), repoussent les pourparlers jusqu’à ce que les criminels accusés par les Nations Unies soient jugés par la Cour Pénale Internationale (CPI). La Commission d’Enquête de l’ONU a noté contre les forces rebelles quelques exactions, qui ne peuvent en aucun cas être comparées à celles du gouvernement. Une communauté internationale longtemps divisée Malgré la faiblesse que la France a montrée envers le gouvernement soudanais pour la guerre du Sud-Soudan et pour ses violations des droits de l’homme, elle se trouve parmi les plus actives à appuyer le Conseil de Sécurité sur le Darfour, à cause de la déstabilisation causée au Tchad. Après une décision menaçante contre le gouvernement soudanais, le Conseil de Sécurité a craint, en irritant le Soudan, de risquer son accord de paix avec le Sud. D’autre part, la Chine est très impliquée dans l’exploitation pétrolière au Sud-Soudan, la Russie grande pourvoyeuse d’armes du Soudan : ces Etats sont opposés à l’embargo l’un, sur l’exportation du pétrole, l’autre sur l’importation des armes, les seules sanctions efficaces. Le Conseil de Sécurité a donc limité le flot d’armes arrivant au Darfour et édicté des sanctions personnelles, interdictions de voyage et sanctions financières, contre des personnes à être identifiées. Il était très important d’arrêter l’impunité qui encourage les exactions. La pression internationale et quelques concessions ont permis au Conseil de Sécurité, avec l’abstention américaine, de déférer devant la Cour Pénale Internationale les criminels identifiés par la Commission d’Enquête de l’ONU. Le gouvernement soudanais affiche déjà sa mauvaise volonté évidente d’y collaborer. L’urgence est maintenant à la protection des populations civiles et à leur retour sécurisé chez elles, comme pour toutes celles qui ont été déplacées de force au Soudan. Elle est aussi à la reprise des pourparlers de paix. Par Vigilance Soudan Collectif Urgence Darfour - http://www.urgencedarfour.info http://www.planete-elea.com/article-10711874.html http://www.planete-elea.com/article-10683666.html