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Hervé Kempf : "Adieu Le Monde, vive Reporterre"

Publié le 03 septembre 2013 par Bioaddict @bioaddict

Le journaliste Hervé Kempf, spécialiste des questions d'environnement pour le journal Le Monde, vient de quitter le célèbre quotidien. Dans un long texte publié sur le site Reporterre, il explique qu'il a été victime de censure et raconte pourquoi le journalisme environnemental dérange. Hervé Kempf

"Ce 2 septembre, quinze ans et un jour après y être entré, je quitte Le Monde : en ce lundi, le dernier lien juridique entre ce journal et moi est défait, par le " solde de tout compte ". Que je quitte volontairement un titre prestigieux étonnera peut-être. Mais certes moins que la raison qui m'y pousse : la censure mise en oeuvre par sa direction, qui m'a empêché de poursuivre dans ce journal enquêtes et reportages sur le dossier de Notre Dame des Landes. Au terme de l'histoire que je vais ici retracer, il ne me restait qu'une issue, si je voulais conserver la liberté sans laquelle le journalisme n'a pas de sens : abandonner le confort d'un salaire assuré et de moyens de travail avant que soit étouffée la dernière marge d'expression qui me restait, la chronique Ecologie. Abandonner le journal fondé par Hubert Beuve-Méry et vendu en 2010 est une libération. Je me lance dans l'aventure du site Reporterre, parce que plus que jamais, une information indépendante est nécessaire pour rendre compte du phénomène le plus crucial de l'époque, la crise écologique."

Notre Dame des Landes : il est interdit d'enquêter

Hervé Kempf a publié de nombreux articles en 2012 dans Le Monde au sujet de l'aéroport de Notre Dames des Landes. Mais il s'étonnait cependant "de la réticence du journal à suivre cette affaire, alors même que le service Planète aurait dû plonger sur ces événements qui étaient alors le principal sujet de l'actualité environnementale". Le directeur de la Rédaction du quotidien lui a finalement demandé de ne plus traiter le sujet car il le jugeait "trop engagé".

"Contre tous les usages, j'étais dessaisi sans raison valable d'un dossier que j'avais couvert et fait mûrir depuis le début. On me bloquait les reportages, mais aussi les enquêtes sur une affaire où les intérêts économiques paraissaient singulièrement tortueux. En m'interdisant de traiter ce sujet, en refusant de donner écho à ce que je pourrais voir ou trouver dans mes enquêtes, on assumait le fait que Le Monde ne creuserait pas le dossier de Notre Dame des Landes. C'était, de fait, une censure."

Pour Hervé Kempf, le quotidien Le Monde a subi des pressions. Il explique ainsi : "Plus tard, des indices concourrant me firent penser que l'hypothèse de pressions d'un propriétaire sur le journal à propos de Notre Dame des Landes était pensable. Ce sont des indices, pas des preuves. Je les publierai si cela parait nécessaire au public."

Le journalisme environnemental relégué à la position de cinquième roue de la charrette

En mars 2013, une nouvelle directrice du Monde a été désignée par les actionnaires. Une de ses premières réformes fut de rétrograder le service Planète, pourtant bien peu remuant, en un pôle subordonné au service International.

"Le Débat national sur la transition énergétique, peu traité par le journal, trouva soudain une vive expression, le 17 mai, sous la forme de quatre pages axées sur " la compétitivité des entreprises " et majoritairement rédigées par des journalistes économiques extérieurs à la rédaction. On expliquait que l'enjeu essentiel d'une nouvelle politique énergétique était la compétitivité des entreprises, que le gaz de schiste réveillait l'industrie américaine, que la politique énergétique allemande produisait maints effets pervers. (...) Le Monde accompagnait cet exercice de communication, qui remerciait Alstom, Areva, GDF-Suez, Arkema, Lafarge, etc. Ces partenaires avaient-ils apporté 35 000 euros au journal pour prix de ces quatre pages, comme me l'indiqua un collègue bien placé pour le savoir ?"

"L'environnement gênait. Plus que jamais, la chronique Ecologie divergeait des éditoriaux et des autres chroniques. Cela restait un espace de liberté, mais dans une atmosphère de plus en plus pesante. (...)Dans le secteur économique dévasté qu'est devenue la presse, et largement dominé par les intérêts capitalistes, le journalisme environnemental est relégué, de nouveau, à la position de cinquième roue du carosse, voire de gêneur. Ce qui compte, dans l'atmosphère délétère d'un système qui ne proclame la démocratie que pour mieux renforcer les logiques oligarchiques, c'est la croissance, l'économie, la production."

Aujourd'hui, Hervé Kempf est chômeur mais se sent libre. Il a décidé de s'engager pleinement dans son site Reporterre, le "site de l'écologie", un site indépendant où il a la liberté de parole, un site qui dit la vérité, qui raconte comment les citoyens se mobilisent pour un monde plus juste et plus écologique, un site qui ne relate pas que les aventures des entreprises du CAC 40...

"La crise écologique mondiale est le phénomène actuel essentiel, sur les plans historique, économique et géopolitique. C'est autour de ce phénomène, c'est autour de cette question centrale que peut et doit s'orienter la hiérarchie de l'information.(...) Faiblesse de nos moyens face aux millions des oligarques qui contrôlent les médias. Nous ne sommes rien, ils sont tout. Mais nous avons ce que l'argent ne peut pas acheter : la conviction, l'enthousiasme, la liberté."

Monsieur Kempf, toute l'équipe du journal indépendant Bioaddict.fr, qui se bat pour un monde plus beau et plus bio depuis maintenant plus de 4 ans, vous félicite pour votre combat et votre courage.

Retrouvez l'intégralité du texte d'Hervé Kempf sur le site Reporterre.

Christina Vieira


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