Intervenir ou pas en Syrie ? La question semble être passée au second plan par l'un de ses tour de passe-passe médiatique dont nos démocraties malades et incertaines ont le secret.
En France, oppositions de droite et de gauche ont multiplié les appels à un vote de l'Assemblée nationale lors de sa consultation, mercredi, par le gouvernement sur une éventuelle intervention en Syrie.
Comme toujours, tout est venu des Etats-Unis. Pire, c'est tombé un dimanche, le premier du mois. Barack Obama déboule sur son pupitre. Et montre qu'il savait avoir la trouille de passer à l'acte ou le respect de son Congrès en décidant... de ne pas décider d'une intervention avant le vote de ce dernier. On attendra donc le 9 septembre ou même plus tard, que le Congrès américain fasse sa rentrée.
Trouille des sondages ou respect du parlement... choisissez l'option qui vous convient. Les plus bellicistes trouveront qu'Obama a manqué de courage. Il est vrai que son propre secrétaire d'Etat John Kerry lâchait la veille combien son gouvernement était sûr de ces preuves.
En France, évidemment, cela change pas mal de plan. Assez vite, nos éditocrates se sont succédé pour résumer le nouveau drame: Hollande aurait été piégé par Obama !
Damned !
Jean-Marc Ayrault prend donc son batton de pèlerin. Le voici qui reçoit un à un les responsables des différents partis et, en fin d'après midi, une cohorte de parlementaires pour les convaincre de l'arsenal chimique détenues par les autorités syriennes.
Lundi vers 19h, les preuves du danger avéré sont déclassifiées. On les connaît un peu. On sait leur insuffisance sur cette question prétendument centrale - mais qui a donné l'ordre de gazer 1400 personnes le 21 août dernier ? Cela reste une démarche inédite sous la Vème République.
A Damas, l'envoyé spécial du Figaro, Georges Malbrunot, décroche une interview de Bachar El-Assad. Mi-moqueur, mi-sérieux, un confrère de Mediapart, sur Twitter, rappelle à juste titre qu'en mars 2011, le colonel Kadhafi affirmait de façon similaire, dans le même Figaro, "je vais gagner car le peuple est avec moi."
Cette fois-ci, c'est Assad qui nous menace. Primo, il ne conteste pas détenir des armements chimiques ("Je ne dis nullement que l'armée syrienne possède ou non de telles armes"). Secundo, il affirme que c'est à la France et aux Etats-Unis de fournir les preuves. Tertio, il dit qu'utiliser des armes de destruction
massive à cet endroit-là et à ce moment là aurait été "illogique" : "est-il possible qu'elle le fasse dans une zone où elle se
trouve elle-même et où des soldats ont été blessés par ces armes comme
l'ont constaté les inspecteurs des Nations unies en leur rendant visite à
l'hôpital où ils sont soignés? Où est la logique?" Lire ce dictateur suggérer qu'il a en tête des lieux et des occasions où gazer des civils serait plus efficace avait quelque chose de glaçant.
Enfin, l'homme de Damas menace: "Dans la mesure où la politique de l'État français est hostile au peuple
syrien, cet État sera son ennemi. Cette hostilité prendra fin lorsque
l'État français changera de politique. Il y aura des répercussions,
négatives bien entendu, sur les intérêts de la France."
Mais nos ténors nationaux, tous ceux qui ne sont pas aux commandes, ont purement et simplement déplacé le débat sur la question du vote, plutôt que sur le fond lui-même.
Pour certains, c'est une parade assez basse pour masquer un désarroi stratégique ou une nécessité politicienne. On pense à François Fillon (UMP), Gérard Longuet (UMP), ou à Jean-Louis Borloo (UDI). L'UMP est traversée de courants contraires. Jean-François Copé ou Christian Estrosi se la jouaient "gaullistes". Alain Juppé, attendu comme le Messie par des ouailles désemparées, n'a rien trouvé de mieux à dire que de tirer un trait sur l'héritage de l'ancien monarque ("ce serait la première fois, par rapport à ce qui s'est passé en Côte
d'Ivoire, en Libye ou au Mali, que la France interviendrait sans un feu
vert des Nations unies. C'est donc une sorte de rupture avec la ligne
diplomatique qui est la nôtre traditionnellement et je pense que ceci
justifierait un vote au Parlement"). Bref, c'est le bordel le plus complet...
Pour d'autres, - François Bayrou (Modem), Jean-Luc Mélenchon (PG), André Chassaigne (PC) - comme souvent en pareil cas, l'éventualité d'un conflit armé est l'occasion de rappeler l'urgence à revenir à davantage de parlementarisme dans notre gouvernance politique. Au PS même, cette affaire de vote parlementaire agite.
Toute la journée de lundi, l'attention médiatique fut donc concentrée sur cette dramatique question. Il ne s'agit plus de savoir s'il fallait punir, attaquer, stopper un boucher en action, une escalade désormais chimique, mais si nos députés et sénateurs auraient l'occasion de ... voter.
Et bien votez.