Dans le dernier volet de ma série “Made in Douala” sur mon dernier voyage au Cameroun, j’avais abordé la beauté, la mode, et les “change makers” qui agissent en ce moment. Cette fois-ci, j’ai plutôt eu un voyage orienté “Médias”.
Ce que je peux dire, c’est qu’il y a une ébullition dans les “nouveaux” médias. Il y a une libéralisation du marché à ce niveau au Cameroun depuis quelques années, et celle-ci a permis la naissance de chaînes de télévision privées mais à part 2 ou 3 d’entre elles, on est encore loin d’avoir une véritable variété avec des médias viables. Une des nombreuses raisons est qu’en principe, monter sa chaîne est autorisé… mais à condition de payer près de 150 millions de F CFA (soit environ 200.000€) pour obtenir une licence (d’après mes renseignements).
Bien sûr, il y a l’autorisation d’émettre, qui est beaucoup moins compliquée à obtenir (et bon nombre de chaînes TV s’en contentent pour l’instant), mais les barrières à l’entrée restent encore trop compliquées. Le fait d’opérer dans une forme de semi-clandestinité influence forcément sur la manière dont les dirigeants de chaînes TV conçoivent leur ligne éditoriale (quand ils en ont une). Ces derniers temps, plusieurs câbleurs ont monté des chaînes de TV locales, avec des grilles de programme (forcément) peu demandeuses en frais de production (séries, clips TV, rediffusions de vieux films piratés..)… Et cela a pour conséquence de faire basculer les téléspectateurs vers des chaînes (forcément étrangères) qui offrent du contenu original. Ca, c’est bien sûr, un des NOMBREUX paramètres du problème. Le modèle économique s’est un peu fait tout seul, mais je le trouve très court-termiste.. On ne pourra pas avoir de plateforme médiatique viable, même avec une dépendance relative aux annonceurs, si on ne repense pas le modèle. Alors bien sûr, trouver des investissements pour monter une chaîne de télévision CORRECTE, c’est un sacré labeur.. mais il y a du contenu local et de ce que j’ai pu voir, les cibles les plus intéressantes commercialement (15 – 25 ans, les familles, femmes aux foyers) sont de plus en plus exigeantes surtout avec l’accès de plus en plus large aux autres chaînes de divertissement africaines.
Monter un média, c’est savoir d’emblée qu’il s’agit d’un produit très gourmand en capitaux et en R.H., et qu’il ne rapportera qu’à partir d’un certain cap franchi. Celui-ci peut aller d’un à 10 ans selon les projets… Vous l’avez compris, on ne se lance pas dedans comme on le ferait pour un fast-food, où la rentabilité est relativement immédiate et dépendant de facteurs bien plus matériels..
(Photo: Quelques minutes avant le démarrage de l’émission matinale de la chaîne Equinoxe TV, animée par Gladys (à gauche) et Fidjil (à droite).)
Travaillant dans un média, je suis arrivée en me disant qu’il fallait que j’appuie sur “Reset” quelque part dans mon cerveau, parce que comme dans tous les domaines, il y a comment ça marche.. et comment ça marche au Cameroun. Et croyez-moi, la différence entre les deux est parfois d’une planète à l’autre sans exagérer. J’ai parfois été assez “surprise” de voir comment certains collègues sur place confondent contenu et annonceurs, mais à force de discuter avec certains (je ne leur trouve pas d’excuse, attention !), j’ai compris comment le système actuel s’est mis en place de lui-même.
Ceci dit, les amis, les choses bougent ! Parmi le florilège de petits médias (TV et Radios), certains émergent avec un accent mis sur la qualité du contenu. Et cela passe par le choix des animateurs, le format du programme ou encore, un élément trop souvent négligé: le décor. C’est le cas de l’émission “Contre-Attaque” sur la chaîne privée VIZIO TV.
( Les animatrices sur le plateau de “Contre-Attaque”, sur Vizio TV)
C’est sûrement une de mes plus belles découvertes lors de ce voyage. Il s’agit d’un talk-show en direct, avec 5 à 6 animateurs, avec au centre le charismatique Thomy Tamo en maître de cérémonie. Comme le nom de l’émission l’indique, ça envoie dans tous les sens et les piques fusent de partout. Ayant assisté en coulisses à l’une de leurs émissions, j’ai adoré l’interaction entre les chroniqueurs et la vivacité de Thomy, qui sait quand remettre la balle au centre. J’ai eu un coup de coeur notamment pour Yannick, un des chroniqueurs, qui m’a particulièrement plue par son habileté et Leïla (Leelipop) par son sens de la répartie. Je suis sortie du studio en me disant “C’est long, mais on est dans la bonne direction“.
Chez Nostalgie FM.
@Akwa Palace.
Autre chose que j’ai remarqué: le petit impact du Web. Je dis “Petit” parce que, soyons honnêtes, internet n’est pas encore ce que l’on peut appeler un média de masse (est-ce même un média dans l’absolu ? la question peut se poser). Mais toutefois, certains ont à coeur de commencer à “éduquer” la population à ce niveau, à commencer par les journalistes radios qui de plus en plus, encouragent les auditeurs à commenter leurs émissions via les réseaux sociaux. Ou encore, les programmes télévisés où l’on lit en direct les messages des téléspectateurs postés sur les pages Facebook des émissions diffusées. Autre fait, la blogosphère devient de plus en plus importante (même s’il reste encore un gros problème de cohérence dans le contenu pour beaucoup). Preuve de ce que j’avance, c’est qu’en arpentant les couloirs d’une chaîne TV avec le blogueur camerounais Frank William B., on est tombé sur l’humoriste Coulibaly (celui qui est à l’origine du sketch hilarant “J’aime le Cameroun à mort“).
Alors que je m’éclipse discrètement pour les laisser s’entretenir, j’entends l’humoriste remercier Frank en lui disant “Tu as été le 1er à parler de mon travail, bien avant les autres médias. Ton article sur internet m’a beaucoup aidé et tu l’as fait sans demander d’argent ! Vraiment mon frère, merci !“. Ravie d’avoir accidentellement assisté à la rencontre, j’ai fini par demander à Frank ce qu’il pensait de l’éventuelle influence qu’il aurait en tant que Blogueur. Bien sûr, sa modestie aidant, je n’ai pas obtenu une réponse très claire lol. Maintenant, pour les blogueurs, se pose la question de la rentabilité. On ne peut pas dire que les annonceurs se bousculent au portillon, accusant souvent le manque d’intérêt pour eux de communiquer en-dessous d’un certain trafic mensuel ou leur incapacité à trouver des blogs au contenu pertinent (ou qualitatif). Ca a été un des sujets abordés lors de ma rencontre avec la fondatrice du blog Leelipop, Leïla (oui, la même que j’ai mentionné plus haut en tant qu’animatrice chez Vizio TV).
Toujours au chapitre Web, j’ai assisté à la 1ère édition de “Ma Pause Digitale”, organisé au Café de France, un bar-restaurant ouvert dans le centre-ville de Douala.
Globalement, la soirée a réuni des entrepreneurs qui évoluent dans les nouvelles technologies pensées par et pour les consommateurs camerounais. J’ai aimé l’initiative, et la session Networking était des plus intéressantes même si j’ai trouvé les présentations très voire trop courtes. Mais c’était une première, il y en aura d’autres tous les mois, de ce que j’ai compris. Comme je l’avais déjà dit à la fin de CET article, les jeunes qui entreprennent au Cameroun manquent vraiment de lieux ou plateformes pour se rencontrer alors qu’ils ont souvent besoin des compétences des uns et des autres. Ma Pause Digitale se positionne comme une des solutions, du moins dans le domaine du web et de la communauté Tech’ de Douala, c’est déjà un bon début.
Sinon, bien sûr, je ne peux pas être à Douala sans faire un arrêt (voire deux ou trois) au CARM STORE.
La boutique a accueilli de nouveaux designers camerounais depuis ma dernière visite, et j’ai littéralement eu un coup de coeur pour la créatrice NAKUIN. Ses pièces sont contemporaines, féminines mais avec une touche assez pointue voire edgy (du moins, comparé à ce qui se fait habituellement).
A Yaoundé, les choses bougent aussi sur le plan créatif. Sans pouvoir vraiment rentrer dans les détails, j’ai eu vent de plusieurs projets en cours… dont des bureaux de design/presse, agences de communication visuelle 2.0 avec studio-photo et ateliers inclus ou encore des conciergeries. Je passe bien sûr sur le boom des marques de vêtements urbaines/streetwear qui sont basées localement. La distribution reste une des principales problématiques à aborder, mais je n’ai pas eu le temps de plus me renseigner sur le sujet.
De manière globale, le divertissement de masse commence à prendre des formes de plus en plus… éloignées du classique. Bien sûr, les bars poussent toujours autant, mais comment dire.. je sens une certaine “sophistication” dans l’air, même en dehors de quartiers considérés comme “huppés”.
@ Espresso Café, Yaoundé.Sinon. Je vous en dirais plus progressivement, mais des projets plus grands (comprenez avec de très gros investissements) sont en préparation pour l’horizon 2014 – 2016. Et comme l’a dit C., “Douala actuellement est un peu le Lagos d’il y a 10 ans“. Comprenez par là qu’on est encore aux balbutiements d’une industrie de l’Entertainment qui serait compétitive sur le plan régional, avec la Côte d’Ivoire par exemple. Ce qui signifie que nous avons encore énormément de boulot devant, notamment pour ce qui est de vulgariser certaines pratiques et niveau d’exigences. On ne verra sûrement pas les résultats de l’ébullition dont je parle à grande échelle avant quelques temps, donc restons lucides.
Prochain “Made in Douala” (et “Made in Yaoundé” !) début octobre 2013 si tout se passe bien, puisque je dois y retourner d’ici là