On a dit qu'un seul battement de l'aile d'un papillon pouvait soulever des tempêtes et faire trembler des mondes.
Peut-être qu'un seul battement de l'aile du quotidien peut suffire à faire se lever dans nos vies tout un monde tremblant de beauté. Et si nous poursuivons notre route, croyant l'oublier, qu'importe ? De même que l'infime mouvement du papillon, engendrant d'autres mouvements de plus en plus vastes, devient finalement le levier d'événements immenses, de même, ces rencontres minuscules que chaque jour nous faisons avec l'enchantement nous mènent vers d'autres chemins enchantés, qui eux-mêmes nous conduisent encore vers des chemins plus vastes et plus lumineux, si bien qu'elles sont le vrai ferment de notre capacité à nous émerveiller face à ce qu'on appelle l'art.
Carole CHOLLET-BUISSON
11 janvier 2013
Nul doute que vous vous souveniez, amis visiteurs, du mythe de La Lointaine, un des plus célèbres de l'Égypte du dernier millénaire, que je vous ai narré la semaine dernière et des différentes manifestations de la déesse Hathor - vache, femme aux oreilles de vache, femme à tête de lionne et serpent à tête de femme - que présentait un monument (E 26023) exposé en salle 12 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Aux fins d'illustrer cet épisode mythologique, j'avais, dans un premier temps, choisi de vous faire découvrir un des sistres hathoriques qu'à la demande de l'égyptologue Arnaud Quertinmont, un collectionneur privé avait accepté d'à nouveau prêter à Mariemont pour accompagner cette fois l'exposition itinérante Du Nil à Alexandrie. Histoires d'eaux qui, jusqu'au 29 septembre prochain, y est présentée.
Et en terminant mon intervention, j'avais annoncé qu'aujourd'hui, nous rencontrerions un autre des avatars de la déesse lointaine sous son aspect de la fougueuse lionne Sekhmet.
Pour l'évoquer, parmi les objets "invités" par A. Quertinmont, plutôt que la traditionnelle statuette à corps de femme et tête de lionne debout à proximité et dont vous croiserez nombre d'exemplaires un peu partout dans les sections de musées à l'égyptologie consacrées, j'ai préféré épingler une superbe égide provenant du MAS (Museum aan de Stroom) d'Anvers.
Telle qu'elle, ma photo
ne me permet pas de vraiment la détailler, partant, de vous en faire remarquer toute la beauté.
Qu'à cela ne tienne : il existe au premier étage de l'aile Sully du Louvre, dans la vitrine 3 de la salle 29 de la collection égyptienne, un pectoral quasiment identique, quelques différences fort minimes mises à part, qui, vraisemblablement, fut réalisé à la même époque, par le même artiste, pour le même souverain.
Rencontre avec l'enchantement, - comme l'exprime si bellement dans l'exergue que j'ai choisi ce matin, Madame Chollet-Buisson, une de mes lectrices qui accorde harmonieusement sur son blog photographie et poésie -, ces deux pièces en électrum de quelque 8 centimètres de hauteur, 9 de largeur et 2,4 d'épaisseur conservées l'une à Anvers (AV. 1921.023.002) et l'autre à Paris (E 7167) datent de la Troisième Période Intermédiaire, plus précisément du temps d'Osorkon IV, ultime souverain de la XXIIIème dynastie régnant à Tanis (730-722 avant notre ère, selon la liste des rois revue par l'égyptologue français Olivier Perdu dans le catalogue d'une remarquable exposition dédiée l'année dernière à cette période, Le Crépuscule des Pharaons, au Musée Jacquemart-André, à Paris).
Gravés au revers des égides, le nom de fils de Rê d'Osorkon apparaît dans le cartouche de gauche et celui de sa mère, Tadibastet, à sa droite.
Vous n'ignorez certainement pas, amis visiteurs, que, dans la mythologie grecque, l'égide désigna le bouclier de Zeus. Mais savez-vous que dans le vocabulaire de l'histoire de l'art en général et égyptien en particulier, ce terme fait référence à une parure combinant tête et collier d'une divinité ?
Le plus souvent en bronze, elle se développa considérablementen Égypte dès la fin du Nouvel Empire.
Sur l'égide du Louvre que je vous propose, - celle de Mariemont lui étant identique, je l'ai souligné, à l'un ou l'autre détail près -, vous remarquerez d'emblée l'effigie en ronde-bosse de la déesse léontocéphale Sekhmet. Prenez le temps de vous attarder à son magnifique travail au repoussé : rencontre avec l'enchantement.
De part et d'autre, symétriquement, se répondent deux têtes de faucon Horus vues de profil, constituant les attaches d'un collier-ousekh qu'elles dominent et dont vous apprécierez là aussi l'exceptionnelle qualité d'exécution : cette dernière mais également le précieux alliage dans lequel l'objet fut façonné, corroborent le fait, si nécessité m'imposait encore de le répéter, que son commanditaire ne pouvait qu'être un personnage de rang royal.
Finement incisés, quatre ensembles de franges de fleurs (lotus et ombelles de papyrus) et de perles (les unes lancéolées, les autres en forme de gouttelettes d'eau), à courbures semi-circulaires et concentriques, séparés par un motif récurrent de petites perles rondes, prennent naissance sous la frise du bord supérieur dans laquelle s'avance une théorie d'uraei - serpents cobras femelles vigilamment dressés en vue de protéger Pharaon - qui, partant de chacun des pans latéraux de la perruque, sont alignés de manière antithétique.
Dans le pendentif central qui apparaît en dessous des retombées de la coiffe, un peu d'attention vous permettra de distinguer une déesse agenouillée, ailes éployées, que surmonte le disque solaire.
Consubtantiellement à cette froide description, décryptons, voulez-vous, la symbolique que cèlent nos superbes égides : la présence de la déesse léonine Sekhmet, "oeil de Rê" veillant sur celui qui les possédait - en l'occurrence ici, Osorkon IV -, et si nécessaire détruisant ses ennemis potentiels, était garante de la protection accordée au souverain. Quant aux deux têtes d'Horus, elles étaient censées lui assurer la transmission du pouvoir régalien.
Sempiternel principe égyptien de la puissance magique de l'image ...
Est-il encore obligatoire, amis visiteurs, de vous rappeler que la terre égyptienne était fertilisée par les alluvions que déposait le Nil lors de ses crues ? En revanche, je me dois d'insister sur la qualité des débordements tant espérés : parfois trop impétueux, parfois négligeables, voire inexistants, ils ne répondaient pas toujours à l'attente des hommes.
Souvenez-vous de la célèbre parabole biblique des sept vaches grasses - vaches qui, j'aime à le préciser, figurent déjà, accompagnées de leur nom, dans le texte et la vignette du chapitre 148 du Livre pour sortir au Jour (Livre des Morts) -, et des sept vaches maigres : cet épisode de la Genèse ne traduit rien d'autre que ces années pendant lesquelles le fleuve jouait son rôle bienfaiteur opposées à celles qui connurent une inondation tragiquement insuffisante ; rien d'autre que ces années de pénurie alimentaire succédant à celles d'abondance.
Le récit littéraire de La Lointaine constitue, vous l'aurez compris, une transposition, une interprétation au niveau d'un mythe, de ces inconstances propres à la nature. Si Hathor, nous l'avons vu mardi dernier, personnifie de prime abord l'opulence, la prospérité, Sekhmet,une de ses manifestations, tout à la fois irascible, funeste et nuisible, représente pour sa part la détresse, l'indigence, la famine.
Il était donc indispensable d'apaiser, de conjurer cette intraitable et dangereuse déesse lionne. C'est manifestement ce que souhaita le pharaon Amenhotep III quand il fit ériger des centaines de statues de granit la représentant : assurément, si je m'en réfère à feu l'égyptologue français Jean Yoyotte, au moins deux séries de 365 - une pour chacun des jours de l'année.
Colossales, qu'elles soient assises ou debout, elles mesurent plus de deux mètres de hauteur.
Retrouvées en nombre considérable lors des fouilles jadis effectuées par Belzoni dans les ruines du temple de Mout, à Karnak, plus de deux cents sont encore actuellement in situ, (selon l'égyptologue suisse Philippe Germond, il en restait plus de sept cents au XIXème siècle!), quand d'autres, beaucoup d'autres, sont définitivement disséminées dans maints musées du monde.
Ainsi le Louvre en possède onze
que vous ne manquerez pas de rencontrer, à tout le moins neuf d'entre elles, de part et d'autre de l'entrée de la première des trois parties de l'immense salle 12.
Si certaines des Sekhmet exhumées sont anépigraphes et même inachevées, d'autres en revanche portent un texte gravé - une litanie trois cent soixante-cinq fois différente -, conjuration permanente invoquant La Puissante (traduction littérale de son nom) en tous ses noms et en toutes ses places, afin, notamment, qu'elle se mue, nouvel avatar, en chatte Bastet, - animal sacré par excellence -, adorable et douce, - telles ces trois statuettes d'une dizaine de centimètres de hauteur, provenant également du MAS d'Anvers (Inv. AV. 1879.001.087 - AV.1879.001.088 et AV.1879.001.089), présentes elles aussi à Mariemont le temps de l'exposition -,
de manière qu'Hathor, puisse, magnanime, revenir au pays d'Égypte.
Le Retour de La Lointaine ...
Le retour, en principe chaque année, de l'inondation ...
Le retour du flot bienfaiteur, héraut d'une nouvelle prospérité ...
Les festivités pourront alors commencer !
Je vous y invite, amis visiteurs, mardi prochain, 10 septembre.
Serez-vous des nôtres ?
(Barguet : 1967, 206-7 ; Berlandini : 1979, 98-100 ; Desroches Noblecourt : 1997, 113-4 ; Germond : 1981, 179 ; Gubel : 1991, 185 ; Kozloff ² : 1993, 187 ; Perdu : 2012, 32-3 ; Quertinmont : 2013, 16 ; Yoyotte : 1980, 47-75)
(Merci à vous, Carole, d'avoir accepté que j'importe ici ce matin en guise d'exergue, un extrait de votre texteLa feuille et l'arc-en-ciel du 11 janvier dernier.)