Dans la peau.. d’un photographe de concerts (accréditation, matériel et réglages)

Par Rgs_ @regismatthey

Vous savez que j’aime prendre des photos de nuits. Que ce soit en lightpainting, chasser les aurores boréales, en strobism ou en photographe de soirée, j’aime quand l’astre du jour s’éclipse en faveur de sources de lumières moins conventionnelles. Mais s’il y avait un domaine qui me tardait encore d’essayer, c’était bien la photographie de concerts – quand les musiciens vibrent devant un public en transe et que les spots light baignent la pénombre de la scène.

Cette année, je me suis retrouvé à couvrir les concerts de l’Amalgame, la salle de concert d’Yverdon-les-Bains (où j’officie également au bar pendant mes temps libres), ainsi que certains festivals comme le Bad Bonn de Kilbi ou le Paléo festival de Nyon – plus grand Open Air de Suisse avec ses 230’000 visiteurs et 296 concerts et spectacles sur 6 jours.
Comme vous le verrez, les conditions changent entre les petites salles de 300 personnes et une Grande Scène de plein air.

Vue depuis la Grande Scène du Paléo Festival – Waoh !

Comment se faire accréditer

Première étape, avoir l’autorisation de photographier des concerts. Pour ma part, en tant que bénévole de l’Amalgame, j’ai naturellement demandé aux organisateurs s’ils avaient besoin d’un photographe pour couvrir certaines soirées, or c’était également un besoin qu’ils avaient. Pour les festivals, je me suis affilié avec le blog Lords of Rock qui m’a envoyé sur divers festivals et qui a mené les démarches d’accréditation.
Pour ces événements, et pour toute manifestation culturelle il est important de faire partie d’un réseau, que ce soit connaitre les organisateurs, faire partie d’un média reconnu (ça peut être un magazine, un média internet ou une agence de presse) ou de directement connaitre les artistes que vous voulez shooter.
Un photographe amateur aura plus de peine à faire valoir une plus value pour le festival s’il ne photographie que pour son bénéfice personnel. Une dernière solution est d’aller au culot, où il m’est déjà arrivé d’entrer en club avec le flash cobra sur le boitier mis en évidence et prétendre appartenir à toolate. 

L’accréditation pour le paléo et le bracelet pour l’accès à la fosse

Le matériel

Maintenant que vous êtes autorisé à venir au concert avec votre matériel, il vous faut savoir quoi amener.
Deux choses essentielles : un reflex et une optique lumineuse.
Ca semble évident, mais un reflex est nécessaire pour garantir une qualité d’image en basse lumière où la sensibilité ISO du boitier sera élevée ainsi qu’assurer la mise au point sur des bougres de musiciens qui ne tiennent pas en place. Aujourd’hui, les boitiers sont capable de délivrer des images propres à 1600 iso easy voire jusqu’à 6400 iso (merci aussi à Lightroom)

Une photo à 6400iso avec le D600 sans réduction de bruit en post-traitement. Pas dégueu’ hein !

L’autre élément qui s’emboite à ce duo de choc est un objectif à grande ouverture, c’est-à-dire une optique lumineuse qui ouvre à f/2.8 ou plus. Cette condition remplie, n’importe quelle focale peut faire l’affaire et rendra un service différent, entre le grand angle pour une photo du groupe entier ou un télézoom pour un gros plan du batteur.

Pour les petits budgets, je vous conseille de partir sur une focale fixe. Un 50mm f/1.8 ne coûte qu’une centaine de franc sur toutes les marques. Bienvenue sur APS-C, je trouve cette focale un peu bâtarde en plein format : les sujets ne sont jamais à la bonne distance pour une image qui déchire.
L’optimal serait pour moi binôme entre un grand angle, de type Nikon AF-S 14-24mm f/2.8G ED chez Nikon, Canon EF 16-35 f/2.8L II ou Tokina 11-16mm f/2.8 sur APS-C, couplé avec un 70-200mm f/2.8 et en bonus, une ou deux focales fixe ou un fisheye pour le fun. Les plus fortunés ou les professionnels auront deux boitiers pour ne pas devoir changer d’optique en cours de route et louper le solo du contre-bassiste.

Le flash, usuellement interdit, est surtout inutile et ne ferait que gâcher le travail des techniciens lumières, jamais assez remerciés.

Mon matériel

Premier reflex plein format destiné aux amateurs, je possède un Nikon D600. Bête féroce en basse lumière, je ne regrette que le placement du bouton de réglage des ISO qui est mal situé et nécessite les deux mains ainsi que les collimateurs parfois imprécis dans la pénombre et leur placement exiguë dans le viseur.

Niveau optique, je possède un Nikkor AF-S VR 16-35mm f/4 et un 85mm f/1.8 G.
Le 16-35 est bien pour ses extrêmes entre Ultra Grand Angle et Focale de reportage et sa stabilisation. Par contre, l’objectif perd un stop face au 14-24mm f/2.8.
Le 85mm est un bonheur de luminosité et de piqué. Les photos dont je suis le plus satisfait proviennent de cette optique qui me convient bien niveau distance au sujet sur les concerts de proximités (un 50mm sur APS-C donnera quasiment le même rendu). Cependant je me suis retrouvé bridé (pas de blague sur mes origines asiatiques svp) face à la grande scène du Paléo festival : comment tout shooter sur 150m2 quand t’es rivé dans la fosse. Pour me débrider, j’ai emprunté un Nikkor 70-200mm f/2.8g ED VR II : une bête de course mais qui pèse sur les trapèzes en fin de reportage.

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Ici les rendus à : 16mm / 35mm / 85mm / 200mm

Les réglages

Plus la scène est grande, plus les conditions d’éclairage, donc de prise de vue seront bonnes. Bah ouais, j’affirme, c’est mieux de shooter des rock stars à Wembley que le groupe de ton frangin au bar du coin.

Voici les réglages que je préconise :

Ouverture : de f/1.4 à f/4 (attention à la profondeur de champs à ces ouvertures !)
Temps d’obturation : dès 1/80s pour figer le mouvement
Sensibilité : généralement de 1200 à 3200 iso

Mode Tv, Av ou M ?

Généralement, je paramètre mes réglages en mode priorité à l’ouverture (Av) afin de déterminer le couple vitesse/iso avant de reporter ces paramètres en mode Manuel. Si les conditions de lumières changent peu, ça permet de se concentrer uniquement sur la prise de vue.

Rafale ou vue par vue ?

Ayant fait mes armes en mode vue par vue afin d’aiguiser l’oeil et l’index, c’est tout naturellement que j’ai commencé ainsi dans les concerts. Mais parfois les conditions de lumières changent à une telle cadence stroboscopique que la rétine et les phalanges ne suivront pas. Pour cela, je conseille quelques rafales par-ci par-là afin d’assurer une bonne photo où les détails de lumière et d’attitude font tout le cliché.

Quelques millisecondes séparent ces 3 clichés : des conditions de lumière complètement différentes

Mode autofocus ponctuel ou continu ?

Ici tout dépend de la mobilité des acteurs, de la focale et de la distance au sujet. Un concert punchy ou virevoltant nécessitera de suivre le sujet dans son collimateur quand une photo au grand angle ou prise de loin permettra même de débrayer la mise au point en manuel pour éviter du patinage d’AF.

Mesure spot, matricielle ou pondérée centrale ?

On entend ici le mode de mesure de la luminosité qui va influencer sur le trio ouverture/vitesse/sensibilité. Comme je shoot la plupart du temps en mode Manuel, je m’en bat le steak de la mesure. Mais attention, on me souffle dans l’oreillette que certains photographes font la mesure sur le visage en mode spot. L’essentiel surtout, c’est de vérifier régulièrement l’histogramme afin de vous assurer qu’il n’y ait pas de zone cramée sur le visage !

Collimateur central ou décalage du point AF ?

A l’époque, seul mon collimateur central étant en croix et garantissait une mise au point infaillible (ou presque). Ainsi j’étais adepte de la méthode du recadrage après mise au point. Si votre visée comporte une multitude de point AF couvrant l’ensemble du capteur, n’hésitez pas à décaler la mise au point directement sur votre sujet, c’est toujours ça de gagné. Parfois, il m’arrive de prendre des photos à bout de bras au grand angle et dans ce cas j’opte même pour une mise au point automatique.

RAW ou jpeg ?

Si tu ne shoot pas encore en RAW, je ne dirais pas que tu as rien compris à ton boitier mais que c’est comme acheter une ferrari pour faire l’autoroute : c’est brider tout le potentiel du bestiaux.

Numérique ou argentique ?

Vous êtes adepte de l’argentique ? Je vous tiens en immense estime et je n’ai probablement aucun conseil à vous donner.

En résumé, il vous suffit de quelques contacts, d’un reflex et d’une optique lumineuse pour commencer la photo de concerts. Ensuite, l’important est surtout d’expérimenter et d’opter pour les réglages qui vous conviennent le mieux jusqu’à ce que cela devienne des automatismes. L’idéal est que vous arriviez au stade où vous savez pouvoir faire confiance au matériel et à votre instinct pour vous concentrer essentiellement sur le cadrage et l’instant décisif.

Dans un prochain épisode, je vous ferais un retour terrain en vous expliquant les différences et pièges entre une salle de concert et un festival, les conditions de prise de vue, l’editing des images ainsi que certaines clauses spéciales édictées par ces capricieux d’artistes.