Dans l’article précédent, je vous ai expliqué comment se préparer à photographier un concert, avec la demande d’accréditation, le matériel à posséder et quelques bases techniques. Aujourd’hui on part sur le terrain.
Photographier en salle contre photographier en festival
Le premier concert que j’ai officiellement couvert fut le concert de Swans à l’Amalgame, des dinosaures du rock expérimental industriel qui furent les premiers à faire vomir leur public sous les assauts de décibels (jusqu’à 130dB, il parait !). Je servais aussi au bar ce soir-là et perso il fut plus ardu de servir des bières en langage des singes que de photographier Michael Gira. Basiquement dans une petite salle, le plus compliqué est de dealer avec le manque de luminosité et des effets de lumière parfois limités ainsi qu’éventuellement se frayer un chemin dans le public. Photographiquement, payez particulièrement attention à bien faire le point, exposer convenablement pour le visage dess musiciens et guetter l’instant décisif. L’avantage est que vous aurez souvent loisir de photographier pendant tout le concert, donc ne vous stressez pas si les premières images sont mauvaises ou simplement inintéressantes. Ces contraintes seront de manière générale les même dans les petits festivals, la météo en plus. Partons à présent sur du gros, du grand, du lourd. Le plus magistral pour moi fut bien sûr de couvrir le Paléo festival : 6 soirs, 296 spectacles et 99 photographes accrédités. Allez, je tiens à tout vous raconter : On est mardi, la canicule dure depuis déjà quelques jours et j’ai fait le trajet dans le train déjà surbondé de festivaliers transpirants. Une fois sur place, je me rends au service de presse chercher mon accréditation ainsi que le bracelet me donnant accès à la fosse (l’espace entre la scène et le public, spécialement réservé aux photographes, aux cameramen et au service de sécurité). Anthony était déjà là, c’est lui qui s’occupera des chroniques Lords of Rock avec Julie. On m’explique le premier soir que je n’ai pas accès à la Grande Scène ni à la nouvelle scène des Arches, dommage, mais je garde espoir pour les lendemains. Mes premiers concerts débutent par deux groupes suisses sur des petites scènes, parfait pour paufiner les réglages. S’ensuivront les points d’orgues de la soirée : le concert léché de Alt-J où le contrôle de sécurité me laisse accéder à la fosse des Arches sur un coup de bluff (toujours essayer), mais surtout le déluge (le vrai, l’humide) s’abattant sur Neil Young lorsqu’il interprète Like a Hurricane et qui restera un moment d’anthologie pour la plaine de l’Asse. Pour cette photo du concert avec l’éclair en toile de fond, j’ai passé une demi-heure à attendre de combiner patience et chance jusqu’à avoir LE cliché. Et pour l’astuce : pause de 3 secondes, miroir verrouillé et boitier stabilisé à une rambarde sur cet incroyable accessoire magique qui sert normalement à fixer des flashs. Le mercredi, bonne nouvelle : j’ai le droit d’accéder à toutes les scènes. Je commence par Mass Hystéria où le public est chauffé à blanc sous une fournaise frôlant les 40°C : le groupe se fond dans la foule avant de la faire tourbillonner autours d’eux, le chanteur pose volontiers pour les photographes et fait monter ses « furies » sur la scène. Un beau moment de partage pour tout le monde. Asaf Avidan fait ensuite monter les aigus avant -Youpi- mon baptême de la grande scène ! Pour accéder à la fosse, il faut emprunter un long couloir qui chemine sous le plancher de la scène jusqu’à un rideau noir. Une fois tiré, on se prend 30’000 spectateurs en contre-jour et c’est juste Wow! Putain ça doit être le kiff d’être une rock star ! (mais ça doit foutre une de ces trouille) A 21h et un peu de retard, ce sont donc les Arctic Monkeys qui m’offrent l’ultime consécration mais également beaucoup de frustration : sur les 3 morceaux autorisés, les deux premiers se noyaient sous les effets stroboscopiques empêchant toute maitrise de prise de vue. J’ai également dû signer une décharge m’autorisant la publication d’une seule image pour mon bénéfice personnel, mais j’y reviendrais dans le chapitre suivant. Même si c’était un rêve de shooter la Grande Scène de Paléo, je crois que les meilleurs concerts se passent quand même dans des espaces à taille humaine, comme la scène du Détour ou le Club Tent où j’ai vécu mes meilleurs moments, avec des artistes qui jouent avec les tripes et le public qui vibre avec. Très bonnes prestations donc de Crystal Fighters et Kadebostany le jeudi ou Jonathan Wilson et School is Cool la veille. Après la mésaventure Santana (à lire dans le chapitre suivant), j’ai le plaisir d’être dans les 15 photographes sélectionnés pour la prestation des Islandais de Sigur Ròs. Super! me dis-je, pas besoin de jouer les coudes à coudes ! – Tu parles, on nous a parqué sur un espace de 6m2 en bas de la fosse. Impossible de se mouvoir et autorisation sur les deux premiers morceaux. C’est donc photographiquement dubitatif mais musicalement envoûté que j’ai terminé le jeudi soir. Le vendredi étant moins rock, et ayant cumulé job et festival, je fais l’impasse. C’est le samedi que je retourne assister à la prestation énergique des Animens, au trio féminin de Théodore, Paul & Gabriel avant le démoralisant Damien Saez. C’est sur son 3ème rhum-coca que je le laisse pour voir la Femme en concert. Lorsque j’arrive, le guitariste tente de se maintenir en équilibre sur une une planche de surf qu’il a mis sur le public, énorme ! Finalement vient le moment tant attendu du festival : les Britanniques de Blur ! Dans la fosse, des rumeurs circulent sur la propension de Damon Albarn à jeter des bouteilles d’eau sur le public. Les photographes ronchonnent et cherchent des solutions pour couvrir leur coûteux matos, mais moi je frétille d’impatience. Ca y est, Blur arrive et commence avec Girls & Boys. Ce sera 1h30 de tubes brit-pop et c’est dommage que tu puisses rester aux premières loges que pour les 3 premières chansons tellement c’était trop bien… Entre temps, Albarn aura posé l’ambiance et balancé quelques litres de flotte sur le public et les pauvres photographes. Ca ne restera peut-être pas mes meilleurs clichés mais j’aurais vécu le rêve de photographier un groupe culte..
Conseils généraux
- Préparez votre matériel en avance : nettoyage des objectifs, batteries chargées et cartes déchargées (et non l’inverse)
- Prévoyez juste, et ne vous trimballez pas avec plein de matos inutile, lourd, encombrant et cher.
- Arrivez assez en avance pour chercher votre accréditation, repérer les lieux, les raccourcis (le Paléo a prévu des couloirs forts utiles pour le staff) et les meilleurs place pour photographier comme les estrades et bars en hauteur
- En festival, regardez les horaires et planifier quand vous pouvez manger entre deux concerts, de préférence tôt. C’est pénible de rester l’estomac sur les talons à cause des 30 minutes de queues à chaque stand bouffe
- Picolez, c’est un événement festif, mais gardez maitrise de vous et de votre matériel
- Quand vous êtes limité aux 3 premiers morceaux, arrivez en avance
- Faites gaffe à ne pas gêner les autres photographes. Vous avez peut-être déniché LE spot pour une compo terrible, mais ne le défendez pas au détriment des autres professionnels.
- Dans le même registre, ne venez pas avec un énorme sombrero, un 400mm dans le champs de visée des autres ou bloquez le passage avec un énorme sac à dos
- Vérifiez l’histogramme, la netteté et les zones cramées entre deux morceaux. Rien de pire que de se rendre compte qu’on avait débrayé l’objectif en manuel ou oublié la correction d’exposition sur +2IL
- Socialisez avec vos confrères et le staff. On m’a déjà dit « reste pour la suivante, ils vont faire venir les filles sur scène «
Clauses spéciales d’artistes
A photographier des stars, on se heurte forcément à quelques restrictions. Je vous ai déjà expliqué comment être accrédité et que l’utilisation du flash était interdit mais ce chapitre est là pour vous raconter une mésaventure qui m’est arrivée. C’était le mercredi soir à Paléo pendant le concert de Santana. Ce jour-là je n’avais pas l’accès à la Grande Scène, alors je me positionne au bar des accrédités qui a un balcon avec vue plongeante. J’étais arrivé 20 minutes avant le début du concert et m’étais accoudé à la balustrade avec mon modeste 85mm. J’étais un peu loin pour avoir des photos vraiment percutantes avec ce mini-zoom, mais je suis bien resté une demi-heure à photographier le concert de Santana et son équipe en attendant un moment spécial et faire passer le temps en attendant le spectacle suivant. Soudain, tel un diable surgi de sa boite, un mec du staff déboule et me cingle d’un : C’est quoi les clauses exclusives de Santana ? - Euh.. ?! Je sais pas ?! - Justement ! Suis-moi ! et il m’entraine hors de la foule. Là je lui montre mon badge de photographe et le responsable Presse & Média vire encore plus au rouge et vocifère : « en tant que photographe, il y a trois règles impératives à respecter, tu as déjà brisé la première ! Autorisation de photographier que pendant les trois premières chansons.. » Et il enchaine sur mon « infraction », que ça fait une demi-heure que je suis en train de shooter Santana, que les clauses étaient pourtant affichées au service de presse, que j’étais sensé m’être informé, que je ne respecte rien, qu’en cas de problèmes avec le représentant de l’artiste les répercussions seront contre le Paléo et contre moi et contre le média que je représente, qu’il pensait avoir affaire à des professionnels de l’image, que c’est intolérable et bla-bla-bla. Moi, restant comme deux ronds de flanc, je lui rétorque en toute bonne fois que ne pensais pas à mal et que je pensais que les restrictions des trois premiers morceaux se limitaient à l’accès à la fosse ! Personne ne m’avait rien expliqué et que je n’avais reçu aucune info. Bref, j’ai tenté de calmé le jeu, clamé ma naïveté et assuré de ne pas publier d’images hors-cadre… J’en ai été quitte pour un blâme que j’ai tempéré et terminé par une poignée de mains. Et heureusement car j’avais surtout peur d’être éjecté des 15 photographes autorisés pour le concert de Sigur Rós ! (une autre restriction d’artiste : 15 photographes only sur 6m2, les deux premières chansons et ouste) La veille, j’avais bien reçu un sms du Service de Presse demandant aux photographes de passer signer une décharge pour le concert d’Arctic Monkeys. En substance, il était stipulé que le photographe s’engageait à ne photographier que pour son média, qu’il avait le droit de shooter que les trois premières chansons depuis le pit exclusivement et que le photographe n’avait pas le droit d’utiliser qu’une unique image pour son portfolio personnel, excluant toute autre exploitation que son auto-promotion. J’ai un soir échangé deux mots avec Anne Colliard, une passionnée de scène qui avait une expo consacrée à son oeuvre à et sur Paléo, qui m’expliquait que certains artistes demandaient à ne pas être photographié sous certain angle ou qui faisaient réviser par son crew toutes les images prises après la prestation. Alors tant qu’à faire, j’ai le plaisir de vous partager cette unique image autorisée d’Alex Turner. Et vous, vous êtes vous déjà heurté à des limitations ou interdictions de photographier certains lieux ou certaines personnes ?
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