Les premiers jours de vacances sont rarement l’occasion de découvrir les merveilles que peut recéler votre terre d’accueil, surtout quand vous avez voyagé plus de 30 heures pour arriver à destination. Je n’avais donc pas beaucoup d’espoir pour notre première journée australienne et comptais plutôt les heures avant de rejoindre les bras de Morphée. En plus, on commence ce road-trip par des corvées: louer la voiture à l’aéroport de Darwin, aller faire des courses, rouler jusqu’à Batchelor pour rejoindre notre premier hôtel… Mais vu qu’on a bouclé ça en quelques heures, il nous restait toute l’après-midi pour visiter le Litchfield National Park. Alors même si on n’arrivait pas trop à ouvrir les yeux, on a quand même repris la voiture pour s’enfoncer dans le parc, à la recherche de ceci:
Non, ceci n’est pas une imposante montagne… Ceci, messieurs, mesdames, est une bien plus imposante termitière. Litchfield est en effet réputé pour être constellé de ces imposantes colonies de termites. Voilà à quoi ressemble l’édifice de plein pied:
J’utilise ma Wonderful Wife™ comme échelle – sachant qu’elle prétend mesurer 1m57 pour en réalité en mesurer 1m56. Cette termitière mesure un peu plus de 3 Wonderful Wife™ de haut (5m dans le système métrique)! Et à en croire un panneau planté non loin, la colonie de termites qui y loge est vieille de plus de 50 ans!
Ces termites, parlons-en, appartiennent à l’espèce Nasutitermes triodiae, championnes de la construction en hauteur puisque leurs termitières sont les plus hautes du monde, atteignant parfois 8m de haut! On les appelle communément les termites cathédrales, mais c’est rabaisser complètement l’exploit dont ils sont capables (on dit un termite au passage). Et oui, comme l’explique ce ranger purement australien dans la vidéo suivante…
… la moitié de l’édifice est souterrain, percé d’un réseau de galeries de 100m de long allant dans toutes les directions. Si des humains devaient construire un édifice de cette manière, ils devraient être quelques millions d’individus pour bâtir un building de 8 pâtés de maisons à la base, d’1.6 km de haut et de 800 m sous la terre, le tout réalisé les yeux-bandés car les termites sont aveugles… Ce ne sont pas des cathédrales, mais des citadelles! Pas mal pour des insectes qui ressemblent à pas grand chose:
Le détail qui manque à cette fantastique description est le matériau que nous devrions utiliser pour construire nos œuvres: au béton substituez la boue, les excréments et le vomi (c’est plus robuste). Il faut dire que votre régime alimentaire est bien plus diversifié que celui de Nasutitermes triodiae qui se nourrit quasi exclusivement d’une herbe appelée spinifex.
Remarquez d’ailleurs que les termites sont rudement efficaces pour bouloter ces végétaux: plus rien ne pousse autour de la termitière!
Le ranger de la vidéo précédente confiait d’ailleurs à son auditoire qu’une colonie de ce calibre broutait autant d’herbe qu’une vache. Ils sont un peu les ruminants de la région… Voire plus car ils contribuent à la décomposition totale des végétaux, possédant des enzymes et une flore intestinales capables de dégrader complètement la cellulose et la lignine, les constituants quasi indestructibles des plantes. Dans un lieu aussi aride, où les lombrics, les champignons et les larves de coléoptères ne sont pas légions, la présence des termites est plus que salutaire, aérant le sol de leurs galeries, transportant les nutriments dans les diverses couches de la terre et convertissant les plantes en viande… leur viande, une colonie de termites comme la précédente représentant autant de bons steaks contenus dans une vache entière!
Et qui sont ceux qui profitent de ces dodues termites? Et bien leurs principaux prédateurs sont les marsupiaux et monotrèmes à langue de compet’ (les numbats et les échidnés respectivement, dont j’ai parlé ici), divers lézards et serpents, mais surtout, les fourmis! En témoigne cet assaut de fourmis de feu prêtes à foutre la misère aux pauvres habitantes des termitières photographiées plus haut.
Mais les termites ont des ressources, notamment une caste entière de termites soldats prêtes à défendre mandibule et chitine contre l’envahisseur! Le look et les méthodes de combat des soldats varient en fonction des espèces de termites. En ce qui concerne Nasutitermes triodiae, nous avons à faire à des termites soldats au casque profilé et prolongé d’une excroissance, le nasus (d’où le nom de la caste, nasutes, et le nom de l’espèce par extension).
Le nasus est en réalité un tube relié à des glandes internes et permettant de faire gicler de la glue toxique sur des adversaires.
Vous vous demandez peut-être ce que c’est que cette caste spécialisée à castagner. Et bien les termites, comme d’autres insectes tels les fourmis, les abeilles ou les guêpes, vivent en communauté qui s’organisent selon des castes très spécifiques, avec des soldats, des ouvriers et un couple royal dont l’imposante reine:
De manière saisonnière, la colonie se voit envahie par des termites adultes (imagos) ailés destinés à s’envoler et se reproduire loin de leurs colonies d’origine pour former de nouvelles colonies. C’est l’essaimage.
Vous pouvez remarquer que, outre leur big-ass ailes de crâneurs, l’apparence des imagos est assez différente de celle des ouvriers et soldats, notamment avec la présence d’antennes et d’yeux composés. C’est qu’en réalité, les ouvriers et les soldats sont des larves immatures, arrêtées dans leur développement. Et oui, la réalité est atroce: les termites exploitent leurs bambins pour réaliser leurs titanesques constructions! C’est de l’esclavage juvénile!
Mais du coup, les termites, avec leurs monumentales colonies et leur détestable distribution du travail, c’est pas un peu comme des fourmis? Ca n’explique pas qu’on les appelle les fourmis blanches en Australie? Que nenni nigaud! C’est un cas typique de convergence évolutive! Si la confusion est compréhensible au premier coup d’œil, une comparaison minutieuse nous permet de trouver de nombreuses différences morphologiques, développementales et comportementales entre ces deux groupes d’insectes eusociaux. Et pour clarifier le tout, rien ne vaut d’utiliser des méthodes de phylogénie, c’est à dire des méthodes pour retracer les relations de parentés entre les espèces. De manière grossière, rien qu’en étudiant le développement de ces deux groupes, on peut les attribuer à deux lignées différentes au sein des insectes. Les fourmis sont en effet holométaboles, ce qui signifie qu’elles effectuent, au cours de leur cycle de vie, une métamorphose drastique qui les font passer de larve à adulte en changeant radicalement d’apparence. Les termites, eux, sont hétérométaboles ce qui signifie que toutes les mues mènent progressivement au stade adulte, mais sans métamorphose cataclysmique (pour tout comprendre sur ces différences, RV ici).
Pour être encore plus précis, les fourmis appartiennent à l’ordre des hyménoptères dans lequel on trouve leurs copines (ou pas) les guêpes et les abeilles. Les termites viennent se nicher par contre dans le groupe des Blattariens… en compagnie des cafards. Tu parles d’un cousinage lourd à porter!
Du coup, pour info, confondre une fourmi avec un termite, ça nous donne un joli Taxonomy Fail Index de 59! Une belle grosse gaffe taxonomique!
Mais bon, on s’égare alors revenons à nos termites et notamment à la vidéo de notre ranger à l’accent improbable. Celui-ci confiait à son auditoire que toutes les espèces de termites du Territoire du nord ne réalisent pas de titanesques termitières. Certaines nichent dans les arbres, dans leurs racines ou leurs branches (ce qui donne notamment des branches ou troncs creux qu’utilisent les aborigènes pour confectionner des didgeridoo) ou encore profondément dans le sol. Dans le parc de Litchfield, nous avions l’opportunité de découvrir un autre type de termitière, les fameuses Termitières Magnétiques!
La termitière magnétique se trouve au premier plan et on peut voir que les oiseaux semblent participer à la construction de l’édifice en fientant gaiement dessus… A moins qu’il ne s’agisse d’un travers de la gent aviaire, poussé compulsivement à souiller toute construction monumentale…
Bref, toujours est-il que les champs de termitières magnétiques sont particulièrement impressionnant. Une séance diapo s’impose:
(Pour cette dernière image, cliquez dessus pour la voir en format panoramique)
Ces termitières, plus plates et moins hautes, sont les œuvres d’une autre espèce de termites, Amitermes meridionalis, ou termite boussole (ou encore méridien).
Pourquoi les appelle-t-on termite boussole? C’est une explication fascinante que je ne peux que céder à l’incroyable Sir David Attenborough qui nous la délivre dans la vidéo suivante:
Traduction:
Pour ce qui est de construire une habitation permanente pour une colonie, les champions sont, de loin, ces petites créatures: les termites. A la différence des fourmis, tous les termites sont végétariens. Ils ne sont pas apparentés aux guêpes, mais aux cafards. Leurs énormes nids ne constituent pas seulement des forteresses, mais également leur réserves de nourritures. Ils ne construisent qu’à partir de boue et d’excréments et pourtant leurs nids sont gigantesques. Si les termites étaient de notre taille, certaines de leurs habitations seraient 4 fois plus haut que les gratte-ciels new yorkais et mesureraient 8 km de long à la base. Celles montrées ici ne sont pas si hautes, mais elles sont remarquables pour une autre raison.
Toutes ces termitières sont orientées dans la même direction: du nord au sud. C’est comme s’ils s’agissaient d’aiguilles de boussoles. Et en effet, elles sont appelées Termitières Magnétiques. D’ailleurs, les termites utilisent le champ magnétique terrestre pour construire ces édifices. Mais le bénéfice à construire ainsi ne vient pas du champ magnétique, mais du mouvement quotidien du soleil.
Le matin, les rayons du soleil tapent la façade orientale de la termitière. Et les termites, refroidies par la nuit, ont besoin de chaleur et se trouve donc dans des galeries immédiatement adjacentes à la façade. Mais au fur et à mesure de la journée, la température augmente. Cependant, les termite ne surchauffent pas car les rayons deviennent de plus en plus obliques et à midi, les rayons les plus forts viennent frapper uniquement la pointe de la termitière. Alors que le soleil se déplace vers l’ouest, la façade occidentale devient brulante. Mais la face à l’est se trouve à l’ombre et devient relativement fraiche. Les termites restent donc à la température qui leur convient le mieux.
D’autres espèces de termites échappent à la chaleur en allant se loger dans des chambres enfouies profondément sous la terre. Mais les termites boussoles colonisent des territoires qui sont inondées lors de la saison des pluies, et le sol sous les termitières se retrouve alors souvent rempli d’eau. La forme de leurs termitières est donc une adaptation non seulement des mouvements du soleil, mais aussi du fait de se trouver dans des sites inondables.
Et voilà, c’est tout pour les termites. Et c’est d’ailleurs à peu près les seules choses que nous avons vu ce jour là avant d’aller s’écrabouiller dans nos lits pour récupérer de nos innombrables heures de vol. Ah si, j’ai quand même pris la photo suivante:
Et il s’agira d’ailleurs d’un prochain article de cette catégorie Strange and Funky Australia. Alors, qui a deviné ce dont on causera?
Liens:
Article Bug of the week
Article It’s Nature
Article Experience the Wild
Article EnviroNorth
Références:
Bignell DE, Roisin Y, Lo N: Biology of termites: A modern synthesis: Springer; 2011.
Ohkuma M: Termite symbiotic systems: efficient bio-recycling of lignocellulose. Appl Microbiol Biotechnol 2003, 61(1):1-9.
Miura T, Matsumoto T: Soldier morphogenesis in a nasute termite: discovery of a disc-like structure forming a soldier nasus. Proc Biol Sci 2000, 267(1449):1185-1189.
Inward D, Beccaloni G, Eggleton P: Death of an order: a comprehensive molecular phylogenetic study confirms that termites are eusocial cockroaches. Biol Lett 2007, 3(3):331-335.
Korb J: The shape of compass termite mounds and its biological significance. Insect Soc 2003, 50(3):218-221.