Fleur noire de Begique (tragédie sans issue)

Par Borokoff

A propos d’Alabama Monroe de Felix van Groeningen 

Johan Heldebergh et Veerle Baetens

Dans un coin de campagne, en Belgique flamande, Didier (Johan Heldebergh) et Elise (Veerle Baetens) s’aiment passionnément et vivent heureux depuis plusieurs années. Inspiré par de grands noms américains et une musique dont il est fan, Didier chante et joue du banjo dans un groupe de Bluegrass Country tandis qu’Elise tient une boutique de tatouages. Ensemble, ils connaîtront un bonheur fou. Une communion absolue, aussi bien artistique qu’amoureuse. De leur rencontre à leur collaboration musicale et au duo de chanteurs qu’ils vont bientôt former, de la rénovation de leur maison à la naissance de leur fille Maybelle, tout roule dans le meilleur des mondes pour les deux tourtereaux. Mais lorsque Maybelle (émouvante et parfaitement dirigée Nell Cattryssse) se fait diagnostiquer une leucémie à l’âge de six ans, le ciel s’effondre soudain sur Didier et Elise, comme les Tours jumelles à New-York. Frappé de plein fouet par la foudre et une tragédie aussi injuste qu’inattendue, le couple tente de faire front et de rester uni jusqu’au bout. Et toujours par le biais la musique…

Difficile d’imaginer qu’à l’origine du quatrième long métrage de Félix Van Groeningen (La merditude des choses, 2010), il y a une pièce de théâtre : The Broken circle breakdown featuring the Cover-Ups of Alabama, écrite par Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels, qui a remporté depuis sa création un énorme succès en Belgique flamande. Difficile d’imaginer aussi que The Broken Circle Breakdown, le groupe de musique qui s’est formé à l’occasion du film autour de Johan Heldebergh et Veerle Baetens, joue depuis à guichets fermés en Belgique.

Mais passons les potins. Car Alabama Monroe est un film sur lequel il y beaucoup de choses à dire, trop pour s’égarer en chemin. Renouant avec la fibre sociale teintée de « trash » qui était la sienne dans La merditude des choses, Van Groeningen livre cette fois une chronique sentimentale d’une noirceur et d’une âpreté telles qu’elle fait longtemps froid dans le dos après la séance. Sans raconter tout le film, qui évoque tantôt Blue Valentine de Derek Cianfrance (2010), tantôt La guerre est déclarée de et avec Valérie Donzelli (2011), on peut dire qu’il s’agit d’une romance pour le moins sombre et jusqu’au-boutiste, construite en flash-backs ou plutôt en allers-retours sur sept ans de la vie d’un couple uni par la musique et fous amoureux l’un de l’autre jusqu’à l’arrivée brutale d’un drame dans leur vie.

Le film commence quand la fille de Didier et Elise est déjà malade. La suite constituera en des va-et-vient constants entre passé et présent, avant que le scénario et l’histoire ne décident de reprendre un cours plus chronologique et de suivre le couple dans leur tentative désespérée de survivre (et de rester ensemble) après l’annonce tragique de la nouvelle.

S’il y a des moments très forts, des instants d’émotion pure dans Alabama Monroe, le film souffre incontestablement de certaines longueurs et de certaines faiblesses. Ces longueurs, ces faiblesses, ce sont les répétitions de scènes de concert ou de sexes comme les pétages de plombs outranciers de Didier sur scène ou après avoir écouté l’ex-président Bush Junior à la télévision. Certes, on comprend qu’il a de quoi devenir dingue avec ce qu’il vit, mais on se demande ce que ces scènes apportent à l’histoire sinon une surenchère un peu grotesque, vaine et indécente… Quant aux discours télévisés du même George W. Bush Junior sur la politique des U.S.A. en matière de (non) recherche médicale ou après les attentats du 11 Septembre 2001, ils paraissent peu convaincants ou peu justifiés. L’image télévisée, en fond d’écran, des Tours jumelles s’écroulant, ne suffisait-elle pas comme métaphore du destin de ce couple ?

Nell Cattrysse

Van Groeningen tombe ainsi parfois dans certains écueils visuels un brin tapageurs ou tape-à-l’oeil. Une provocation un peu facile et immature parfois. Ce n’est pas tellement le côté un brin spectaculaire voire théâtral de la mise en scène (ce n’était pas un grave défaut déjà dans La merditude des choses) qui gêne mais plutôt son manque de finesse et de pudeur, de recul et d’élégance. C’est visible dans la manière avec laquelle le réalisateur flamand s’attarde, dans certaines scènes, sur des descriptions et sur les aspects les plus sordides de la maladie de Maybelle. La dégradation physique (gros plans sur le visage de l’enfant après la chimio) est vue dans ses moindres détails. Ce n’est pas faire le « saint-ni-touche » ni jouer au spectateur « effarouché » que de dire que ces scènes auraient pu sans doute nous être épargnées, du moins évoquées plus subtilement. En un mot, davantage suggérées. Non pas qu’elles poussent trop loin dans l’intimité du couple et la maladie de leur enfant, mais qu’elles ne disent pas grand chose finalement, ne constituant pas l’aspect le plus pertinent des raisons qui permettraient de comprendre la descente aux enfers de ce couple.

On aurait aimé que le réalisateur fouille davantage pour comprendre comment, malgré le pacte qu’ils ont scellé, malgré la musique, ce lien incoercible, indestructible qui les unit, les relations entre Didier et Elise exploseront. Une contradiction à la fois fondamentale et incompréhensible entre un amour fou et les ravages psychologiques incontrôlables (fameux dommages collatéraux) que provoqueront la maladie de Maybelle et qui dévasteront ce couple. Van Groeningen opte, non pas pour une certaine complaisance mais pour un film fermé, noir, sans issue. Avec du coup, le sentiment pour le spectateur d’avoir très peu d’espace pour la pensée et pour imaginer une autre fin peut-être, moins glauque et moins morbide. Comme si Van  Groeningen  l’avait décidé ou plutôt décrété ainsi, comme s’il ne faisait pas assez confiance à son spectateur, condamnant dans l’oeuf et à notre place toute velléité, tout espoir, non pas de guérison ni de renaissance ou de régénérescence de ce couple, mais de reconstruction personnelle tout simplement. Si les compostions de Johan Heldebergh et Veerle Baeten sont formidables, ce qu’on aurait aimé, c’est une autre fin sans doute…

http://www.youtube.com/watch?v=vVymOPOJBbQ

Film belge de Felix van Groeningen avec Carl Joos, Johan Heldenbergh, Veerle Baetens, Nell Cattrysse, Bjorn Eriksson… (01 h 52). 

Scénario de Felix van Groeningen et Carl Joos d’après la pièce de Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels : 

Mise en scène : 

Acteurs : 

Compositions de Bjorn Eriksson :