Éric Bonnargent
Edward Hopper, The City
C’est sans doute parce que les tableaux d’Edward Hopper racontent des histoires qu’ils ont tant inspiré les écrivains et les réalisateurs. Les admirateurs du peintre américain reconnaitront remarqueront que la première séquence des Tueurs de Robert Siodmak reproduit la mise en scène de Nighthawks. L’influence d’Edward Hopper dans le domaine littéraire a donné naissance au pire et au meilleur. Du côté du pire, il y a l’insipide roman de Philippe Besson, L’Arrière-saison, et, du côté du meilleur, les petits poèmes en prose de Soleil dans une pièce vide de Claude Esteban. La démarche de Thomas Vinau est différente puisqu’il s’intéresse plus au peintre lui-même qu’à son œuvre. Cette biographie décalée entrecoupée de petits poèmes commence par la formation du peintre. Hopper aurait pu être un homme comme les autres, un anonyme, l’un de ceux dont le René de Chateaubriand dit qu’ils « sont passés du silence de la vie au silence de la mort. » N’en déplaise à ses parents et à bien d’autres, son génie n’est pas un don divin, il est le fruit de sa mélancolie :« Ed part à New York, les portraits de Degas / trottent avec insistance dans sa tête. Il / dit à ses parents qu’il va apprendre le / commerce. L’ennuie et l’envie l’amèneront / à peindre. Mais ils préfèrent croire que / c’est Dieu qui en a décidé ainsi. »
Hopper apprend d’abord le dessin publicitaire et l’illustration, mais il se lasse vite. Thomas Vinau cite alors une lettre adressée au directeur de la Correspondance School of Illustrating :
« Grâce à vous, j’excelle à présent dans l’art de dessiner les pin-up et les boîtes de pickles. Pourtant, je crois pouvoir affirmer que je préfère dessiner une chambre d’hôtel vide ou un réverbère bien que le marché des chambres d’hôtel vides et des réverbères soit restreint. »
Vinau s’attarde sur les séjours en Europe, au nombre de trois, que le peintre effectuera pour compléter sa formation entre 1906 et 1910. Edward Hopper y découvre des œuvres et une ambiance poétique qui l’influenceront : « Ce qui l’intéresse, / C’est de peindre les ombres / Comme des gens » et « Lorsque Ed regarde quelque chose, il cherche à voir ce qui le remplit et ce qui le vide. » La solitude et l’isolement caractérisent l’œuvre du peintre qui, avant d’influencer des écrivains, a lui-même été influencé par ses lectures. Francophile, Edward Hopper vénère Rimbaud et Verlaine, mais aussi quelques-uns de ses contemporains auxquels il écrit parfois pour leur confier son admiration. Thomas Vinau cite des lettres à Ernst Hemingway, Tennessee Williams ou Henry Miller. À ce dernier, il écrit : « Nous racontons tous les deux la même histoire. Une histoire de solitude et de consommation. » Cette solitude fondamentale à laquelle nous tentons d’échapper par tous les moyens se retrouve aussi bien à la campagne qu’à la ville :
« Dans les prairies du Maine, l’espace est entre les choses. / Dans les villes de l’Est, il est entre les gens. / Infranchissable. »
Le bruissement urbain rend la solitude encore plus pensante, on y est seul au milieu des autres. La ville ne réunit pas, elle isole : « On dirait que New York / Sépare chaque personne. » Bien entendu, Thomas Vinau n’oublie pas Joséphine, la compagne du peintre. Il reproduit des lettres écrites d’Europe et montre combien sa présence fut décisive. Et lorsqu’il clôt sa biographie poétique, Vinau résume ainsi cette longue histoire d’amour :
« Ed et Jo vécurent 37 ans ensemble. / Si l’on excepte leurs 3500 tableaux, / Ils n’avaient pas d’enfants. »
Edward Hopper, Excursion into philosophy
L’écriture de Thomas Vinau est aussi simple que les tableaux d’Edward Hopper. Son minimalisme poétique lui permet de saisir ce qu’il y a de plus essentiel dans l’art du peintre. Ses mots, à l’image des personnages de Hopper, sont seuls, condamnés par son art de la césure et son emploi de la syntaxe à être isolés les uns des autres. Grâce à cela, le poète invente (car il s’agit bien d’une fiction) des éléments biographiques qui font naître un Edward Hopper plus vrai que nature. La naissance de cet Hopper onirique est facilitée par les illustrations de Jean-Claude Gotting. En utilisant le noir et blanc, celui qui avait déjà illustré Le Procès de Kafka, Le Double de Dostoïevski ou encore Bartleby le scribe de Melville, montre à quel point la lumière joue un rôle essentiel dans l’œuvre d’Edward Hopper. Le poète s’est occupé de la solitude, le dessinateur de la lumière. Grâce à cette alliance, le Bric à Brac hopperien révèle la quintessence de l’art de Hopper que Thomas Vinau résume ainsi :
« La lumière / Est un vêtement. / La solitude / Une peau. »
Thomas Vinau, Bric à brac hopperien. Illustré par Jean-Claude Götting. Alma éditeur. 13 €