(Ma participation à l’atelier d’écriture qui consiste à illustrer la photo plus bas dans l’article)
L’agitation de la rue décroissait, tandis que le soleil était au zénith. La chaleur avait raison des gens, et les faisait rentrer chez eux. C’était l’heure qu’il préférait, l’heure sacrée de la sieste. A ces instants, on pouvait entendre la symphonie discrète des insectes bourdonnants. Il aimait alors écouter les adultes en cachette, observer et apprendre les choses indicibles de la vie.
Il montait à pas de loup l’escalier en bois, en s’essuyant une ultime fois ce qui lui restait d’eau de vaisselle sur les mains sur son short. Il voyait la lumière percer en un rai de lumière dans l’embrasure de la porte. Il devinait la rue en bas, baignée de soleil, mêlée de poussière, et dont la seule vision faisait perler le front. Il restait en retrait, sur le seuil, la porte seulement entrouverte. L’espace était suffisamment grand pour qu’il puisse apercevoir Manuel, son grand frère, assis sur le rebord de la fenêtre.
Un geste imprécis, et il fit grincer une latte de bois sous lui. “Ah c’est toi, dit Manuel, viens, approche. Regarde moi ça, qu’est-ce que t’en pense ?” dit-il , en désignant du menton, les jeunes filles qui rivalisaient d’artifices et de minauderies sous leur fenêtre. Le petit se voyait déjà dans une confiserie, regardant avec gourmandises, les rondeurs interdites à portée de main. Manuel le surprit et ri en lui passant la main dans les cheveux “tu verras, un jour le désir se tarit, c’est difficile à envisager aujourd’hui, mais ça viendra”. Dans tous ses mots, il lisait l’expérience de la vie, une existence partie en fumée, qui subsistait seulement dans les sillons qu’elle laissait en profondeur sur les traits de visage de son frère. La tristesse tangible, d’amours perdues, de proches disparus, et de troubles de la perception. Un autre monde qui se construisait en miroir de la réalité. Le petit ne pouvait envisager cela. Il voyait seulement miroiter les courbes et les tissus soyeux multicolores. Il valait sans doute mieux qu’il plonge dans cette drogue là, que dans toute autre.
Il l’attira contre lui “Continue toute ta vie à t’étonner, c’est mieux que tout. Le monde offre tant”. Ses paroles s’inscrivaient dans la mémoire du petit, soulignées par le bruit imperceptible de sa cigarette qui se consumait. Puis en se levant, il partit enfiler sa chemise, et prit soin de ranger son révolver personnel à l’arrière de son jean. Il serra une dernière fois son petit frère contre lui, en éprouvant à la fois la fragilité et la robustesse de son corps d’homme naissant. Le petit ne se doutait pas encore du lourd leg qui l’attendait. Dans quelques heures seulement, tous les regards se tourneraient vers lui, tels qu’il l’avait maintes fois souhaité.