Avant Tocqueville, et sous un angle différent, Benjamin Constant s’intéresse aux rapports entre liberté et institutions démocratiques. Un texte de référence, court, mais une précieuse base de réflexion, qui a servi d’inspiration à de nombreux penseurs.
Par Johan Rivalland
La liberté des anciens, en effet, est caractérisée essentiellement par une forte participation à la vie publique et politique, ne laissant que peu de place à l'individu lui-même, tandis que la liberté des modernes peut être assimilée à la prééminence des droits individuels, qui étaient quasi-inexistants dans les systèmes antérieurs. Si toutefois ces libertés individuelles paraissent désormais difficiles à remettre en cause et rendent caduc un retour à la liberté des anciens, il ne faudrait pas non plus, nous dit Benjamin Constant, que ces libertés individuelles qui nous sont aujourd'hui si chères, et le risque de repli sur soi qui leur est subséquent, aboutissent à négliger les libertés politiques, ce qui risquerait de constituer une menace sérieuse envers ces mêmes libertés.
Ce faisant, partant de constats historiques, et notamment de l'avènement du commerce, qui a permis le développement de ces libertés individuelles, au détriment des conflits guerriers permanents qui ont caractérisé les époques antérieures, Benjamin Constant évoque l'erreur de Rousseau, qui confondait ces deux conceptions de la liberté, mais qu'il traite cependant avec égard, et surtout récuse les idées de l'abbé de Malby, qui détestait la liberté individuelle au plus haut point. Or, les temps ont changé et la référence aux idées du passé sont rendues inadaptées par le cadre nouveau au sein duquel on évolue désormais. La liberté des anciens, en effet, résidait dans la forte participation à la vie publique, au détriment des droits et libertés privées, aujourd'hui privilégiées plus que tout. Ce qui était possible dans des sociétés moins peuplées et reposant sur l'esclavage, mais plus dans des États unifiés et où l'homme est placé au centre des préoccupations, excluant de telles perversions. En cela, il rend hommage à la Révolution française, tout en récusant les dérives dont elle a été l'objet.
Quoi qu'il en soit, il s'agit ici d'un discours majeur, qui constitue une base de réflexion intéressante et permet, aujourd'hui encore où l'idée de liberté est sans cesse dévoyée et difficile à cerner, de mieux en comprendre les fondements contemporains et mieux asseoir nos institutions, en permettant d'expliquer comment et pourquoi les libertés politiques ont reculé et en quoi le système représentatif constitue un relais important à même de protéger les libertés individuelles au regard de la tendance au repli sur soi qui en est une conséquence constatable mais pas inéluctable.
— Benjamin Constant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, Mille et une nuits / La petite collection, mai 2010, 59 pages.