Avec Joe, de David Gordon Green, nous emmène dans une Amérique profonde bien loin des clichés habituels de l’American way of life. Ici, pas de familles soudées souriant sur la pelouse impeccable de leur pavillon de banlieue immaculé, mais des familles au bord de l’explosion et des gens crevant de solitude dans des bicoques crasseuses ou des caravanes.
En fait, on est plutôt dans le cliché inverse : un univers déprimant, peuplé de travailleurs usés par la vie, de prostituées fatiguées et de marginaux, tous ou presque alcooliques et violents. On ne met pas en doute la sincérité du cinéaste quant aux situations et aux personnages qu’il dépeint. On sait que le manque de travail et de ressources, l’isolement, la détresse sociale sont un terrain propice pour l’alcoolisme et les comportements violents, et pas seulement dans l’Amérique profonde. Seulement, il arrive un peu après la bataille. Cette Amérique-là, celle des laissés pour compte, le cinéma US indépendant la montre sous toutes ses coutures depuis plusieurs années, de Frozen River à Winter’s bone, en passant par Wendy & Lucy. Et la différence, c’est que la plupart de ces films développaient une vraie critique sociale, ce qui n’est pas le cas de David Gordon Green.
Le cinéaste préfère s’attarder sur la relation que nouent Gary (Tye Sheridan), un adolescent qui essaie de se soustraire à l’emprise d’un père alcoolique et violent, et Joe (Nicolas Cage), un quinquagénaire fatigué, moins alcoolique et surtout nettement moins violent, qui va prendre naturellement une place de père spirituel pour le jeune homme.
Gary est obligé de travailler pour subvenir aux besoin de sa famille. Son père est trop saoul pour faire quoi que ce soit d’utile. Sa mère, certainement battue quotidiennement reste la plupart du temps prostrée sur le porche de leur cabane, et sa soeur est subitement devenue muette suite à un trauma dont on n’ose deviner la nature. Il va donc voir Joe, qui dirige une unité chargé d’abattre les arbres malades dans les forêts avoisinantes et est l’un des rares à offrir du travail dans ce coin paumé de l’Amérique. Il se fait engager et s’impose grâce à son implication, sa volonté d’apprendre. Joe le prend sous son aile, lui apprend tout ce qu’il doit savoir et lui promet de lui céder sa vieille camionnette s’il continue à travailler avec autant d’énergie.
Les deux y trouvent leur compte. Gary commence à entrevoir la promesse d’un avenir meilleur, tandis que Joe réussit à oublier son lourd passé pour se projeter vers le futur. Mais c’est compter sans le père de Gary, qui devient de plus en plus dépendant à l’alcool et se montre toujours plus violent et plus menaçant, et un petit caïd local, tout aussi imbibé et belliqueux, qui cherche à se venger de Joe…
Le scénario évolue ainsi vers le pur mélodrame, flirtant avec le pathos, le misérabilisme et la symbolique lourdingue. Et il s’y vautre parfois.
Le résultat final n’est pas honteux, loin de là. Le jeune comédien est impeccable et Nicolas Cage, un peu plus sobre que lors de ses dernières apparitions à l’écran, livre une prestation plus qu’honorable. La photo est élégante, les cadrages corrects, la mise en scène très propre… Le problème, c’est que, non content d’exploiter des thèmes et des situations déjà déclinées des dizaines de fois dans les films indie américains, David Gordon Green leur emprunte également la même esthétique grise/bleutée, le même tempo lancinant, les mêmes effets de mise en scène. Il n’y a aucune surprise, aucune originalité et surtout aucun style de mise en scène. Rien qui ne distingue Joe de la moyenne. Rien qui soit susceptible de laisser une trace dans nos mémoires de cinéphiles.
Et si, à l’instar de son jeune personnage, le cinéaste se débarrassait de ces arbres malades qui peuplent son univers cinématographique pour y planter de jeunes arbustes plus sains, plus forts? Ses propres idées, son propre univers, sa propre patte de mise en scène… On sait qu’il est capable de bien mieux que ce film tellement stéréotypé et formaté qu’il en devient prévisible et fatalement, ennuyeux.
Notre note : ●●●○○○