Tunisie: l’Union pour la Méditerranée plaidée par Sarkozy

Publié le 30 avril 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Le président français Nicolas Sarkozy a défendu, mardi 29 avril, au deuxième jour de sa visite d'Etat en Tunisie, son Union pour la Méditerranée entre l'Europe et les pays du Sud, devant 500 patrons français et tunisiens.
Il a défendu son projet de nouveau partenariat entre les deux rives de la Méditerranée, qui doit être officiellement lancé le 13 juillet, assurant qu'il doit permettre la création d'un "pôle gagnant-gagnant qui concurrencera l'Asie".

"Vous avez une main d'oeuvre qui ne demande qu'à être formée, nous avons beaucoup d'intelligence et beaucoup de formation (...), ce n'est pas les uns contre les autres, c'est les uns avec les autres (…) C'est ça le partenariat",
 Le président français Nicolas Sarkozy avec le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie). Photo AFP.   Quelques exemple concrets ont été cités, notamment l'accord conclu dans la nuit de lundi à mardi entre la compagnie nationale Tunisair et Airbus qui prévoit, outre la livraison de 19 avions (10 A320, 3 A330 et 3 A350, ainsi que 2 A320 et 1 A350 en options) l'installation en Tunisie d'une usine aéronautique qui emploiera à terme, selon lui, "près de 2.000 personnes".
La France a signé mardi avec Tunis quatre conventions de crédits d'un montant de 138 millions d'euros pour l'agriculture, l'habitat et l'énergie.
"L'énergie nucléaire, c'est l'énergie du futur (...) la France vous dit que sa technologie, qui est une des plus sûres du monde, une des meilleures du monde, elle est décidée à la mettre au service du développement de vos économies (...), l'Europe ne connaîtra pas la stabilité si vous ne connaissez pas le développement, voilà pourquoi il faut s'unir", a-t-il plaidé.
Le texte paraphé par Paris et Tunis, identique à d'autres déjà signés avec le Maroc, l'Algérie ou la Libye, suscite les critiques des ONG écologistes et de plusieurs partenaires européens de la France, qui estiment qu'il augmente les risques de prolifération nucléaire militaire.
Cependant, dans ce climat affairiste, la défense des droits de l'Homme en Tunisie devient gênante. Mais "ces polémiques importent peu" au chef de Etat français. "L'espace des libertés progresse" en Tunisie, avait-il jugé devant son hôte, assurant ne pas vouloir s'ériger "en donneur de leçons".
Et dans la foulée, la secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme Rama Yade, qui accompagnait Nicolas Sarkozy, a reçu dans l'après-midi Me Trifi, mais a annulé un rendez-vous prévu avec l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), sa présidente Khadija Cherif.  Discours prononcé le lundi 28 avril 2008 par Nicolas Sarkozy lors du dîner d'Etat offert par Ben Ali, président de la République tunisienne.
    Monsieur le Président de la République,
  Permettez-moi d’abord de vous remercier pour la chaleur et la qualité de l’accueil que vous nous avez, une nouvelle fois, réservé, ainsi que pour les paroles si amicales que vous venez de prononcer.
J’ai souhaité faire du renouveau de la relation entre nos deux pays une priorité de mon action et c’est déjà la seconde fois que je me rends en Tunisie depuis mon élection, il y a moins d’un an.
Et pour chacun de ceux qui m’accompagnent autant que pour moi-même, c’est toujours une grande joie de retrouver la Tunisie. L’un de nos plus grands auteurs, Flaubert disait, avec une certaine justesse, qu’en Tunisie « le climat y est si doux que l'on oublie d'y mourir ». A travers l’Histoire, qui n’a succombé aux charmes de cette Tunisie ? Je pense à Ulysse et à ses aventures qui, de passage sur l’Ile des Lotophages, l’actuelle Djerba, ne parvenait plus à en faire revenir ses hommes. Vous avez noté que nous ne nous sommes pas arrêtés à Djerba. Je pense aux Phéniciens, qui se sont installés ici pour porter leur civilisation à son plus haut degré de raffinement. Je pense à Hannibal le Carthaginois qui a puisé dans ces lieux sa fougue, et pourquoi ne pas le dire, son inspiration de stratège. Je pense à Saint-Augustin et Ibn Khaldoun qui y ont enraciné, ici en Tunisie, leurs visions de la foi et de la Cité.
Tous ont aimé votre terre qui allie beauté et ouverture sur le monde.
La Tunisie est le cœur de la Méditerranée. Et c’est ici que se rejoignent les côtes orientales et occidentales de notre mer commune. Tunis est aussi proche de Nice que Nice ne l'est de Dunkerque !
La Tunisie, méditerranéenne au nord, saharienne au sud, terre natale de plusieurs papes tout en abritant l’une des premières villes saintes de l'Islam et, de surcroît, l’une des plus anciennes synagogues, bâtie sur une pierre du temple de Salomon, la Tunisie est donc un carrefour, le carrefour de l’Histoire et le carrefour des civilisations. La Tunisie, c’est d’abord l’œuvre de la volonté des hommes et, pourquoi ne pas le dire, Monsieur le Président de la République, j’aime votre proverbe, ce proverbe tunisien : « la différence entre un désert et un jardin n’est pas l’eau mais l’homme ». C’est cet héritage historique assumé dans sa diversité qui fait l’identité de la Tunisie et qui explique son ouverture et son esprit de tolérance.
Je sais, Monsieur le Président, le prix que vous attachez au dialogue des civilisations. Une chaire de l’Université de Tunis porte votre nom pour permettre à de grands esprits arabes et européens de se rencontrer, d'échanger et de bâtir dans ce respect mutuel sans lequel il n'y aurait ni paix, ni harmonie, ce dialogue indispensable, et Dieu sait que l’Orient et l’Occident ont besoin de dialoguer et que nous autres, nous avons besoin de trouver les voies de l’ouverture de la rencontre et de l’échange avec le monde arabe.
Vous avez été, Monsieur le Président, parmi les premiers à apporter votre appui au projet d'Union pour la Méditerranée. Cela ne m’a pas surpris. Après tout, pionnière dans ses relations avec l'Europe, la Tunisie a été le premier pays à avoir signé, dès 1995, un accord d'association avec l’Union européenne et la Tunisie est le seul pays aujourd'hui, au sud de la Méditerranée, à avoir mis en place une zone de libre échange avec l'Europe pour les produits industriels ? La Tunisie a bien compris que l'initiative de la France, vise à associer sur un pied d'égalité, -et j’insiste sur ce mot- et à travers des projets concrets et -j’insiste sur les projets concrets-, l'ensemble des Etats et des peuples, qui partagent une communauté de destin autour de notre mer commune. Je sais pouvoir trouver ici, dans cette Carthage, qui symbolise ce que la Méditerranée a apporté de plus beau et de plus riche aux échanges entre les hommes, l’inspiration et le soutien qui feront de l’Union pour la Méditerranée le plus beau des cadeaux que nous puissions faire à nos enfants.
Entre nos deux pays, entre nos deux peuples, la géographie et l’histoire ont tissé des liens exceptionnels. Ah quand même Monsieur le Président de la République, les Tunisiens ne peuvent pas oublier que c’est dès 1577 que la France fut le premier pays à nouer des relations diplomatiques avec la Tunisie ! Je veux dire le premier pays d’Europe. Alors, nous avons en partage une histoire faite de quelques ombres mais il y a aussi beaucoup de lumière. Aujourd'hui, sans oublier le passé, nous voulons, vous et moi, regarder résolument vers l'avenir !
Que de choses rapprochent et lient indéfectiblement nos deux peuples ! Paradoxalement, il nous faut veiller à ce que ces liens si étroits, si denses, si naturels et parfois si complexes ne tombent pas dans la routine car rien n'est jamais acquis pour toujours. Nous devons sans cesse revitaliser cette relation pour qu'elle réponde aux aspirations nouvelles de nos sociétés.
J'ai voulu que la délégation française incarne cette large communauté d'hommes et de femmes qui partage un même attachement à nos deux pays. Ces Françaises et ces Français dont les racines sont en Tunisie et qui restent liés au pays de leurs parents et de leurs ancêtres ; mais aussi, Monsieur le
Président de la République, ces Tunisiens qui se sont installés en France et y ont fait souche sans oublier la terre d'où ils viennent. Les hautes responsabilités qu’ils occupent dans toutes les sphères de l’Etat et de la société témoignent de leurs qualités. 600.000 Tunisiens ou Franco-tunisiens vivent dans l'harmonie en France, et 25.000 compatriotes résident heureux ici, en Tunisie. Je veux saluer l'accord exemplaire qui vient d'être signé entre nos Ministres qui va faciliter la circulation des personnes, des familles et des professionnels. La France est un pays ouvert et accueillant pour ceux qui veulent y venir régulièrement.
Au premier rang des échanges, et c’est peut-être le plus important pour l'avenir, est la question du partage du savoir. 10.000 étudiants tunisiens fréquentent nos grandes écoles et nos universités. C’est une tradition bien ancienne. Déjà, au XVIIème siècle, on trouvait ce que l'on appellerait aujourd'hui un ''accord d'équivalence'' permettant aux lycéens tunisiens d'accéder librement à la Sorbonne ?
Il est remarquable que les Tunisiens constituent le premier contingent étranger à l’Ecole polytechnique. A l'Université de Dauphine, le vice-président a été consacré en 2005 meilleur jeune économiste de France, il est franco-tunisien.
Aujourd'hui, il nous revient de mettre en place des formes nouvelles d'échanges culturels et éducatifs.
Je soutiens la création tout-à-fait originale de l'Université Dauphine-Tunis. Voici un établissement
tuniso-français de grande qualité. Inséré de manière harmonieuse dans le tissu éducatif tunisien, ce pôle universitaire d'excellence a vocation à rayonner en Méditerranée et en Afrique.
Face à une compétition internationale de plus en plus féroce, nos cadres doivent s’allier, nos chercheurs doivent s’allier, nos entreprises doivent s’allier. C’est cette alliance qui fera notre force, pour améliorer notre compétitivité et notre attractivité.
Pour que les civilisations se rencontrent, pour que les hommes se parlent, il faut la confiance. A ceux qui pensent que l'humanisme est une invention occidentale et qui regardent donc les autres avec un peu de suffisance, je veux rappeler que Tunis a aboli l'esclavage en 1846, deux ans avant Paris, et que la Tunisie fut, en 1861, le premier pays arabe à se doter d’une constitution. Plus tard, le Président
Bourguiba a fait, le jour même de l'indépendance de votre pays, un double choix fondamental : celui de la modernité pour les Tunisiens, femmes et hommes, et celui de l'amitié avec la France. L'année même de l'expédition de Suez, alors que la guerre en Algérie déployait ses drames, ce choix n'était pas un choix évident. Il a été courageux et visionnaire pour l’amélioration et la modernisation de la société, je pense notamment à la condition de la femme tunisienne, avec l'adoption du Code du Statut Personnel. Je veux dire qu’un tel statut était en avance non seulement sur les pays de la région mais aussi sur des pays européens où le principe d'égalité ne s'appliquait pas alors totalement à la femme.
Monsieur le Président, vous avez repris cet héritage et cette vision. La situation juridique et matérielle de la femme tunisienne s'est encore améliorée grâce à votre souci de veiller à ce que le droit de la femme soit une réalité vécue et non de simples textes juridiques. Des femmes occupent des postes de responsabilité à la fois dans le public et dans le privé. Et je veux noter que l’UNESCO a récemment honoré deux physiciennes tunisiennes de très haut niveau.
La scolarisation dans le primaire et dans le secondaire des femmes, des jeunes filles est comparable en Tunisie à celle des pays de l'OCDE. Et ce sera bientôt le cas pour l'enseignement supérieur, comme nous souhaiterions qu’il en soit ainsi dans tous les pays arabes. Et, en terme de revenus, la Tunisie va rejoindre d'ici la fin de la prochaine décennie des pays européens comme le Portugal ou la Grèce.
Signataire des grandes conventions des Nations unies, votre pays s'est engagé dans la promotion des droits universels et des libertés fondamentales, en respectant -et Monsieur le Président de la
République, j’y suis très sensible, parce que c’est une question qui m’a toujours passionné- un moratoire strict sur la peine capitale à laquelle naturellement j’ai toujours été opposé à titre personnel.
Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants, que je veux saluer, et qui font écho à ce que disait déjà feu le Président Bourguiba lorsqu’il confiait : « Je suis réaliste. Etre réaliste, c’est préférer une réforme modeste, qui en permet une autre, à un miracle impossible ». Je sais d’où vous venez Monsieur le Président de la République, d’où vient la Tunisie et la Tunisie peut se comparer sans rougir à tant d’autres pays.
Ces signaux, ces réformes s’inscrivent sur un chemin, étroit et difficile, mais essentiel, celui de la liberté et du respect des individus sans lesquels un pays n’est pas un grand pays. Ce chemin, aucun pays ne peut prétendre l’avoir entièrement parcouru et personne ne peut se poser en censeur. Je viens d’un continent dont l’histoire, y compris l’histoire récente, recèle des tragédies abominables et je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais, dans un pays où je suis venu en ami et qui me reçoit en ami, de m’ériger en donneur de leçons. J’ai pleinement confiance dans votre volonté de voir continuer à élargir l’espace des libertés en Tunisie. Nous en avons parlé vous et moi.
Je veux dire pour terminer ma conviction que sur la base de la relation de confiance qui existe entre la Tunisie et la France à laquelle je suis très attaché, nous pouvons bâtir ensemble un avenir meilleur.
C’est l’enseignement que nous devons conserver d’un Tunisien illustre, le poète latin d’origine berbère Terence, qui avait coutume de dire : « Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».
Un avenir meilleur pour nos enfants, qui passe par le règlement des conflits au Proche-Orient. Il ne faut pas que l’espoir retombe. Je l’ai dit à mes amis israéliens. La sécurité d'Israël passe par l’arrêt complet de la colonisation. Etre un ami, c’est dire ce que l’on pense. Cela passe aussi par la création d'un Etat palestinien moderne et viable. Cela passe également par la sécurité garantie à l’Etat d’Israël.
Je n’ai pas deux discours, un discours à Paris et un autre discours dans d’autres capitales.
Je veux aussi et enfin rendre hommage, Monsieur le Président de la République, à votre lutte déterminée contre le terrorisme, qui est le véritable ennemi de la démocratie. Et croyez bien que pour la France, la lutte contre le terrorisme engagée ici, c’est important. Car qui peut croire que si demain, après-demain, un régime de type taliban s’installait dans l’un de vos pays, au nord de l’Afrique, l’Europe et la France pourraient considérer qu’ils sont en sécurité ? Et j’appelle chacun à réfléchir à cela. Et c’est bien la raison pour laquelle je souhaite que l’énergie du futur, le nucléaire, des pays comme le vôtre puissiez y accéder. Parce que, grâce à l’énergie du futur, on aura le développement et la croissance et donc la misère qui reculera. Et vous savez parfaitement que les terroristes se nourrissent de la misère et de l’exploitation des peuples. Et c’est par le savoir et par la croissance qu’on luttera contre les terroristes. Et je sais aussi qu’on ne combat pas les terroristes -j’ai été ministre de l’Intérieur- avec les méthodes des terroristes. Et c’est pourquoi je suis si attaché à la coopération entre nos services.
La France est fière d'être le premier partenaire de la Tunisie dans tous les domaines. Soyez convaincu, Monsieur le Président de la République, qu'elle entend rester résolument aux côtés de la Tunisie pour vous aider à poursuivre l'œuvre de modernisation et de développement qui est la vôtre. Et je mesure bien ce que cela peut représenter comme effort dans un pays comme le vôtre que de tirer toute la société vers le développement, vers le savoir et vers le respect des individus.
La relation entre nos deux pays est faite de confiance, de respect, d'estime et d'amitié. Elle est tournée vers l'avenir.
C'est fort de cette conviction Monsieur le Président de la République que je veux lever mon verre à votre bonheur personnel, au bonheur de votre famille si cruellement endeuillée, il y a peu de temps, lever mon verre au bonheur de votre peuple et de la Tunisie et vous dire, Monsieur le Président de la
République, au nom de la délégation que je conduis et, si elle le permet, au nom de mon épouse, combien nous avons été sensibles à la chaleur de votre accueil.
  Mesdames et Messieurs, Vive la Tunisie ! Vive la France !
Vive l’amitié entre les peuples tunisien et français !