Radicalité
J'ai toujours cru, et je le crois encore, que l'on peut être relativement flexible sur les modalités d'application d'un principe, pour peu que l'on reste inflexible sur le principe lui-même.
Pour faire simple, j'ai toujours défendu la concertation et la discussion - un peu trop au goût de certains - avec les différents acteurs, y compris ceux qui pouvaient avoir quelques motifs de ne pas partager nos options à propos des grands prédateurs. En clair j'ai prêché le maintien d'un dialogue avec les éleveurs et les bergers, aussi complexe puisse-t'il être.
Me méfiant moi-même de ma propre radicalité et de mon tempérament parfois trop latin, j'ai considéré que la concertation, jusqu'à un certain point, pouvait être maintenue. Non pas que je me sois fait trop d'illusions, mais disons que c'était ma posture de départ. Cherchons les modérés dans l'autre camp et parlons avec eux, voilà l'idée de base.
Je m'aperçois au bout de pas longtemps que c'est, comme en Syrie, mission quasi-impossible. Les éleveurs, soit par principe, soit par peur, soit par conformisme, soit par intérêt à court terme, soit par consentement tacite, restent retranchés dans un refus obstiné de toute présence des prédateurs, qui sont là NATURELLEMENT ou qui sont revenus sur le sol français.
Et voilà qu'en plus de cette compilation d’imbécilité crasse, ceux que l'on est A PRIORI en droit de considérer comme pas trop éloignés de nos positions de principe - les écologistes - non seulement nous lâchent en rase campagne (ils ne nous ont jamais vraiment aidés de toute manière), mais tirent à boulets rouges sur les grands carnivores, façon général Custer parlant des Indiens.
Le cas Bové ne m'intéresse pas en lui-même. Par contre il révèle au grand jour un point que l'on ne peut plus ignorer: les écologistes n'en sont pas ou n'en sont plus. Seul compte pour eux ce qui s'élève, se laboure, se bouffe et se vend. RIEN D'AUTRE.
Si c'est ça l'écologie, sortez-moi de là tout de suite!
D'autre part, l'idée s'est insinuée chez nos concitoyens, depuis des décennies, que Nature = campagne. Ils en viennent à penser que tout ce qui est sauvage n'est PAS naturel! Pour eux, un tracteur une monoculture à perte de vue dans les champs et des vaches qui paissent sont le summum de la Nature!
Les épais du béret des fonds de vallées ne sont que de la rigolade (quoique dangereux tout de même) face à cette mentalité de néo-ruraux aseptisés qui gagne nos concitoyens, et leur injecte la conviction profonde que le gazon de leur lotissement (traité chaque année au Bofix) est un havre de biodiversité parce que des moineaux et des mésanges picorent sur le rebord de leur fenêtre!
Je blâme les écolos pour avoir entretenu cette confusion. Je les blâme pour ce mensonge délibéré, qui prouve qu'ils ne sont pas des nôtres, qu'ils sont les ennemis les plus sournois, parce que ceux qui ont la meilleure conscience, de la vie sauvage. Même les slogans de Notre Dame des Landes ne trompent pas: " Des moutons, pas des avions ", qu'ils scandent! Des moutons, l'horizon indépassable, le symbole frelaté d'un monde sauvage que l'on veut voir disparaître sans le dire vraiment. Ce serait impensable d’écrire « Des tritons, pas des avions », le triton étant aussi repoussant et gluant que les zones humides où il se reproduit (" La mer c'est dégueulasse, les poissons baisent dedans!" chante Renaud) qu’il s’agit de drainer pour les rendre « propres » et « rentables ». Sans le dire vraiment jusqu'à ce que José la grande gueule, José le médiatique, José l'ami des gens d'en-haut, des gens de sa classe, devrais-je dire de sa caste, nous délivre un message limpide: la vie sauvage, c'est au zoo ou six pieds sous terre!
Alors là, désolé, mais j'envoie ma modération aux orties. Je redeviens radical.
Je plaide solennellement pour la sécession des vrais naturalistes de cette mouvance écolo-altermondialo-trotsko-démago. J'appelle à faire sauter le navire de l'écologie, parce que c'est un faux-nez pour un capitalisme insidieux et un anthropocentrisme dévastateur, y compris pour l'être humain.
J'appelle ceux qui pensent être avec nous à nous rejoindre, en dépit de divergences de détail qu'il serait bon de confronter une fois pour toutes, parce que je continue à croire au débat, mais pas avec ceux qui nous mentent et nous trahissent.
Je continue à croire dur comme fer à la cohabitation de l'espèce humaine et de la vie sauvage, qu'elle NE CONTRÔLE PAS! C'est précisément ce qui me différencie des écologistes, simple force d'appoint d'un gouvernement qui abrite sa lâcheté et sa pusillanimité derrière le paravent fort opportun de la crise. Comme si de tuer tous les loups, les phoques et les vautours du pays allait relancer la croissance en France, en Europe et dans le monde!
J'appelle à changer de crèmerie, de nom et de méthode! Je refuse de cautionner des gens qui m'expliquent qu'ils veulent mon bonheur en passant à la broyeuse ce que je considère comme vital. Je ne les autorise pas à décréter que leur autre monde fumeux est meilleur que celui-ci, alors qu'il suffirait juste de consentir à le laisser tranquille de temps à autre, ce monde!
Je lance un appel à une désertion de masse, à une refondation sur des bases non pas nouvelles (la Nature n'a rien de nouveau, elle était là bien avant nous) mais respectueuses de ce qui ne DOIT PAS être géré, contrôlé, nettoyé, amputé, sacrifié, ni même régulé.
La France ahurie s'est réveillée un matin en découvrant qu'elle avait de nouveau une vraie faune sauvage, et apparemment la France a un GROS problème avec ça, c'est comme une gueule de bois. J'appelle tous ceux qui le veulent à expliquer aux gens qu'ils n'ont pas à avoir peur, qu'il y a des règles de base à respecter, qu'elles ne sont pas compliquées ni même très contraignantes (à part pour les éleveurs, dont la contrainte, assez nouvelle pour certains il est vrai, va être de tout simplement faire leur métier).
J'appelle les associations, de par leur expertise technique et leur expérience depuis des années, à jouer un rôle pédagogique majeur, à servir de relais et de banque de données, à aller au devant des gens. Certains leur reprochent bien des choses, moi je leur reconnais au moins une vertu: elles existent et sont structurées. Elles sont une fondation. Pas de murs sans fondation, c'est un truisme.
J'appelle les gens à arrêter de se défouler sur Facebook en traitant nos adversaires de tous les noms. Ca ne sert à rien à part à se masturber en se prenant pour un Che Guevara des réseaux sociaux. Je les appelle à nous rejoindre, à nous aider à trouver des solutions et des idées.
Faire sauter le navire est la première des choses...
La deuxième, qui vient juste derrière -en fait elle est concomitante- est d'en rebâtir un autre, adapté à ce qu'on veut en faire. Et là, il est nécessaire...de se parler.
Alors on commence quand? Parce que la Sécession, ça ne s'improvise pas.
Frédéric Vigne
Free-lance photographer
par Baudouin de Menten
" La sécession est l'acte politique consistant, pour la population d'un territoire ou de plusieurs territoires déterminés, à se séparer officiellement et volontairement du reste de l'État ou de la fédération à laquelle elle appartenait jusqu'alors. " (Wikipédia)
«Nous ne voulons pas du loup dans nos campagnes, point barre. Nous serons intransigeants, il n'y a rien à négocier, nous ne voulons pas rentrer dans le jeu des mesures de protection et des indemnisations. Le loup est un danger et nuisible pour l'élevage, contrairement à ce que certains veulent bien laisser croire. Nous ne nous laisserons pas dicter notre conduite par quelques hurluberlus qui ne connaissent rien à la réalité quotidienne de notre métier mais qui osent venir nous expliquer comment gérer nos exploitations et nos troupeaux pour laisser s'installer et proliférer ce prédateur ! En Haute-Loire, nous avons la chance qu'il ne soit pas encore officiellement reconnu présent. Et bien, c'est simple, nous ne le laisserons pas arriver : tout animal qui ressemble à un gros chien errant sera abattu».» (Yannick Fialip, Président de la FDSEA de Haute-Loire, à Langogne le 23 août 2013 - source)
Et me voilà ballotté à nouveau entre cette rage et cette impuissance qui nous me pousse à relire «La peur de la nature», le premier livre de François Terrasson et les propos de Nicole Huybens qui considère que:
« Si la controverse environnementale (Note: de la forêt boréale au Québec) est longue, ce n’est pas parce que les acteurs sont cyniques, machiavéliques ou de mauvaise foi. Aucun d’entre eux! Mais plutôt sur le caractère non expliqué de quelques éléments de la controverse sur la place publique. Si des sujets restent mots, ils ne peuvent pas être pris en compte explicitement dans les décisions. Les débats sont des combats parce que les acteurs utilisent des arguments que l’on pourrait presque qualifier de “de surface”, sans aller au fond des choses, comme on dit au Québec “sans parler des vraies affaires.“ »
et aussi:
« Je vois que la polarisation n’est pas propre à la controverse sur la forêt boréale! Tous les acteurs sont ”calculateurs, cyniques, machiavéliques” dit Callon. Chaque groupe d’acteurs met en place des actions pour informer, éduquer, faire pression, convaincre, influencer, obliger. Il n'est pas besoin de comprendre le point de vue des autres puisqu’il s’agit de les faire changer d’avis en utilisant influences et pressions. Mais l’argumentation se heurte à la crédibilté des sources : si la source est discréditée, elle est considérée comme “de mauvaise foi” et tous ses messages ne sont que mensonges et manipulations. Il s’agit d’un cercle vicieux dans lequel la controverse s’alimente. Plus les acteurs argumentent, plus ils renforcent les autres dans leurs convictions. A chaque argument une réponse, une réponse à la réponse, etc. C’est sans fin et cela alimente les forums pendant des années.»
"Ce n'est pas simple mon bon Monsieur". Nicole Huybens fait l’éloge de la complexité : «Trouver une solution simple n’est simplement pas une solution ». Beauchamp de son côté expliquait que le fait «d’identifier des bons et des méchants en changeant les étiquettes selon le camp auquel on appartient» contribue à faire perdurer la controverse...
Et pourtant, la loi Giran a mis le souc dans les Parcs Nationaux. La concertation quand elle est détournée comme dans le cas de l'IPHB, n'est que de la manipulation.
Lire aussi
- Trois livres indispensables de François Terrasson
- Vincent Albouy : Plaidoyer pour les herbes folles - Laissez faire la nature – Le plaisir de la friche
- Jean-Claude Génot : Que la montagne est belle!
- La forêt boréale au Québec et l’ours en France, deux controverses socio-environnementales comparables.
- Des élus contre nature
- Démocrates, rigides, stratèges, légalistes, traducteurs : les élus et la concertation
* Le 1er intertitre est de La Buvette des Alpages