Première scène :
Un panneau nous précise “Début du chapitre 1”.
S’ensuit un plan fixe de 2 minutes sur une branche d’arbre, puis un plan de lapin gambadant dans la forêt.
Un panneau précise “Fin du Chapitre 1”.
Deuxième scène :
Un panneau nous précise “Début du chapitre 2”.
S’ensuit une longue séquence où on voit le policier du titre rentrer chez lui (en prenant son temps), enlever ses chaussures (en prenant son temps), monter délicatement les marches de l’escalier (pour ne pas réveiller sa femme, celle du titre), cacher son arme (pour éviter que sa fille ne joue avec), se brosse les dents (en prenant son temps parce que c’est important).
Un panneau précise “Fin du Chapitre 2”.
Troisième scène :
Un panneau nous précise “Début du chapitre 3”.
S’ensuit un plan fixe sur un vieillard qui tourne le dos à la caméra, se retourne face à elle, et reprend sa position initiale.
Un panneau précise “Fin du Chapitre 3”.
Rassurez-vous, on ne va pas vous faire tous les chapitres du film de Philip Gröning. Surtout qu’il y en a 59, pour 175 minutes de métrage… Enfin, vous avez compris le principe…
Un panneau annonçant “Début du chapitre x”, un ensemble de séquences plus ou moins courtes, en plans plus ou moins fixes, sur des choses plus ou moins banales, puis un panneau annonçant “Fin du Chapitre x”.
Au début, ça passe, mais très vite, ça lasse. Déjà à cause du truc horripilant des panneaux de chapitrage. Parce que si on fait le calcul, à 5 secondes par panneau, cela fait 60 x 2 x 5 = 600 secondes, soit dix minutes de film juste dédiées à ce parti-pris lourdingue. Pas mal, non? Mais aussi et surtout parce que les chapitre en question laissent la plupart du temps perplexe : Un vieux qui épluche un oignon, une gamine qui joue avec un ver de terre, un couple qui regarde la télé… A quoi rime tout cela?
Le dispositif a l’avantage d’intriguer. On se demande forcément si ces tranches de vie banales, apparemment sans queue ni tête et concentrées essentiellement sur quatre personnages principaux – le policier, sa femme, sa fille et le mystérieux vieil homme – sont les pièces d’une sorte de puzzle cinématographique. Les cadrages, atypiques, dont notamment de nombreux plans aériens, génère une sorte de tension et nous alerte de l’imminence d’un drame terrible. Le montage participe aussi à faire monter l’angoisse, par le biais des associations d’idées. Au début, on pense tout d’abord qu’il va arriver quelque chose à la fille du couple, une gamine de quatre ans. Un accident, un enlèvement, un meurtre ou un cas d’inceste…
Des fausses pistes…
Il faudra un certain temps pour que le propos du cinéaste s’éclaircisse un peu et que l’on comprenne que le personnage masculin principal, un policier apparemment bien sous tous rapports, a la fâcheuse manie de tabasser son épouse dès qu’il rentre à la maison. Le premier indice d’un dysfonctionnement au sein du couple n’intervient qu’au chapitre 9. Le premier bleu sur le corps de la femme battue n’est visible qu’au chapitre 20 et la confirmation définitive qu’au chapitre 29, pile au milieu du film, après 1h30 de banalités.
On comprend bien la démarche du cinéaste Il s’agit de retarder au maximum la révélation du problème de ce couple apparemment modèle pour coller à une certaine réalité : Il y a des milliers de femmes qui se font rosser fréquemment par leurs conjoints sans qu’aucun de leurs proches, de leurs amis, leurs voisins ne soient au courant du drame intime qu’elles vivent au quotidien.
Simplement, à trop délayer le sujet, à enchaîner des scènes aussi inspirantes qu’un plan fixe sur une branche d’arbre, un lapin qui gambade dans les prés, une biche morte dans un fossé, une voiture de police qui nous balance ses gyrophares en pleine figure ou une famille qui mange des spaghetti, il prend le risque de faire fuir des spectateurs en cours de route.
Pire, les séquences chantées (hé oui : les adultes se mettent fréquemment à chanter des chansons pour enfants face à la caméra…) font qu’on peut se demander si le Philip Gröning ne se moque pas de nous.
Die Frau des Polizisten est un film beaucoup trop long et trop expérimental pour que le message du cinéaste soit lisible. Dommage, car il a le mérite d’aller jusqu’au bout de sa démarche artistique, anti-commerciale au possible, qu’il assume ses choix narratifs avec aplomb et nous offre une ou deux scènes époustouflantes – dont une scène curieuse dans une baignoire géante. Il offre de surcroît un très beau rôle à sa comédienne principale, Alexandra Finder, qui incarne parfaitement cette femme à la dérive, perdue entre l’amour réel qu’elle porte à son mari et la haine qu’il lui inspire.
Notre note : ●●●●○○