L’acrodynie a été une maladie relativement fréquente chez les enfants. Elle était due au mercure présent dans des produits administrés pour soulager les troubles liés à la dentition. Elle est apparue avec l’utilisation de mercure au début du 20ème siècle et a disparu un demi-siècle plus tard lorsque le mercure a été reconnu responsable et n’a plus été utilisé.
Sachant que la responsabilité du mercure a été établie en 1948 , j’y reviendrai, je vous demande de lire avec attention ces deux extraits du dictionnaire des termes techniques de médecine de Garnier et Delamare chez Maloine, l’un de 1967 et l’autre de 2012.
- En 1967, à propos de l’acrodynie : « Après l'avoir attribuée à une intoxication, puis à une carence alimentaire, on tend actuellement à la faire dépendre d'un virus neurotrope ayant une affinité particulière pour le système nerveux végétatif ».
- Et en 2012 : « Ses causes sont mal connues et on l’a attribuée successivement à une carence alimentaire, à un virus neurotrope, à une intoxication mercurielle ».
Ainsi en 1967, le dictionnaire parlait d’une intoxication mais sans citer le mercure et il évoquait une chronologie : « Après l’avoir attribuée… puis… on tend actuellement… », si bien que le produit responsable de l’intoxication n’était pas cité et que l’hypothèse de l’intoxication appartenait au passé puisque disait ce dictionnaire en 1967 : « On tend actuellement à la faire dépendre d'un virus neurotrope ayant une affinité particulière pour le système nerveux végétatif ».
En 2012, la chronologie change : en 1967, c’était une intoxication puis une carence alimentaire puis un virus neurotrope ayant une affinité particulière pour le système nerveux végétatif, cela devient « successivement... une carence alimentaire, un virus neurotrope, et une intoxication mercurielle », et le tout est précédé de « ses causes sont mal connues ».
On peut remarquer que le virus neurotrope qui avait une affinité particulière en 1967 n’en a plus en 2012, mais que 45 après, il reste toujours sans nom. Il est neurotrope, mais on n’en saura pas plus !
La responsabilité du mercure a été établie par la publication de l’article de Warkany et Hubbard (1) en 1948. Mais cette responsabilité n’a pas été reconnue rapidement ni pleinement au sein du corps médical. Dans le livre de Debré et Lelong (2) en 1957, soit 9 ans après cette publication, l’auteur écrivait : « Il est peut être prématuré de conclure à l’origine mercurielle de l’acrodynie et il faut distinguer celle-ci des accidents hydrargyrique ».
Ann Dally a décrit l’histoire de l’acrodynie (qui en anglais se dit Pink Disease) dans son texte intitulé “The Rise and Fall of Pink Disease” (3). Elle décrit la lenteur et les réticences du corps médical à accepter la responsabilité du mercure et donc la responsabilité des médecins l’ayant prescrit, elle écrit : “The resistance to the evidence of mercury poisoning is typical of resistance to new medical knowledge and declined only when the opponents and sceptics grew old and disappeared from the scene”. Phrase que l’on peut traduire par : " La résistance à accepter l’évidence d’une intoxication au mercure illustre la résistance aux acquis scientifiques nouveaux et ne décline que lorsque les opposants et les sceptiques prennent de l’âge et disparaissent progressivement de la scène ".
Je crois qu’elle a raison. Tant que les responsables d’une erreur collective sont encore en activité, il est difficile d’en parler sereinement. Mais il y a un autre facteur. Si le public avait été informé de l’histoire de cette maladie, si les étudiants en médecine avaient été invités à y réfléchir, les réticences et résistances du corps médical auraient été de peu de poids.
Concernant le grand public, le mot acrodynie est absent de nombreux dictionnaires. Il ne figure pas notamment dans le dictionnaire historique de la langue française ni dans le dictionnaire culturel. Il ne figure pas non plus dans l’Encyclopedia Universalis. On peut citer deux exceptions :
- Le Larousse médical 2009. "Acrodynie. Maladie vasomotrice des extrémités qui s'observe chez l’enfant entre 6 mois et 5 ans. L’acrodynie est due à une intoxication, le plus souvent médicamenteuse, par le mercure. Les mains et les pieds sont tuméfiés, rouges, douloureux. L'enfant est fatigué, il maigrit, se gratte, transpire beaucoup, souffre de paresthésies (sensations de fourmillements) et de tachycardie. Il n'a pas de fièvre. Le dosage de l'élimination urinaire de mercure permet de confirmer le diagnostic. La suppression des traitements en cours, à base de mercure (vermifuges, gammaglobulines, pommades mercurielles) assure la guérison de l'acrodynie."
- Et le nouveau Littré 2007 " Maladie infantile due à une intoxication au mercure qui se caractérise par des extrémités enflées, douloureuses et cyanosées et un état de grande fatigue. "
Concernant l’enseignement aux étudiants, cette histoire d’un produit probablement peu efficace, donné pour des troubles parfois imaginaires et entraînant une maladie, pas chez tous, mais chez certains (un sur 250 environ) pourrait donner à réfléchir. Cette maladie a de très nombreux points en commun avec la maladie de Kawasaki (4) et cela aussi pourrait donner à réfléchir.
Mais souhaite-t-on que le public soit informé et que les médecins et futurs médecins réfléchissent ? A lire les dictionnaires, les encyclopédies et les livres de médecine, il semblerait que l’information et la réflexion ne soient pas des urgences, 65 ans après l’article établissant en 1948 la responsabilité du mercure !
Jean-Pierre LELLOUCHE
(1) Warkany J, Hubbard DM. "Mercury in the urine of children with acrodynia". Lancet. 1948 May 29;1(6509):829.(2) Robert Debré et Marcel Lelong. Pédiatrie tome 1 et 2. Flammarion, 1957(3) Dally A. “The Rise and Fall of Pink Disease”. Soc Hist Med. 1997 Aug;10(2):291-304. (4) Mutter J, Yeter D. "Kawasaki's disease, acrodynia, and mercury" Curr Med Chem. 2008;15(28):3000-10.