Paris, son ciel gris, ses pigeons stéroïdés et ses listes de réservations pour acheter du pain. Aurais-je une bonne raison de venir devant vous avec un adipeux délai depuis ma dernière publication ? Autre que des lectures semi-avouables de vacances ? Un énième tome de Dune, comme une évidence (Légendes de Dune Tome 1, Paul le Prophète, immanquable pour tout fan qui ne se respecte pas). Un adorable Stephen King (L’intégrale de « Ça », presque parfait, bien que je commence à douter de la capacité de Mr Bachman à écrire correctement une fin), un polar au final assez moyen, méchant mis à part (« Satan dans le désert » de Boston Teran) et même le dernier Dan Brown (pour avoir mon avis, se référer à la critique d’Emmanuel). Voilà donc où sont passés mes pages, mes mouvements oculaires, ma salive et mon cornage de poignet, j’ai plus fast-foodé avec les mains que lu gastro sur ce mois d’Aout. Mais pour « Dans les forêts de Sibérie », le clin d’œil ne pouvait être plus à propos alors les autres attendront.
L’avis de JB
Into la Sibérie
Après un Goncourt de la nouvelle en 2009, pour « Une vie à coucher dehors », voici le Medicis en 2011, avec « Dans les forêts de Sibérie », pour celui que Wikipédia dépeint comme « écrivain et voyageur français ». On ne doute que très peu du deuxième qualificatif dès lors que l’auteur a choisi de nous raconter six mois de sa vie passés en isolement quasi complet sur les bords du lac Baïkal. Une cabane, des kilos de vivres rudimentaires, beaucoup de vodka, des livres et rien à faire. Beaucoup l’ont fantasmé, dans un cadre plus chaleureux sans doute, mais avouons que c’est ce jusque boutisme qui rend l’expérience littérairement désirable. Remplacez « Baikal » par « Maldives » et « Vodka » par « Champagne » et l’équation vous semble moins alléchante. L’aventurier débrouillard et cultivé perd de sa superbe : on visualise le rentier en léger surpoids, lisant Mishima. Il n’empêche que six mois à lire des livres c’est un programme qui fait fantasmer tous les Pivot en herbe. Surtout quand la sélection est dévoilée, et qu’elle contient plusieurs auteurs forts à mon gout comme Yourcenar, Shakespeare, Camus ou Conrad. Sylvain Tesson lit presque autant qu’il boit, au gré incertain des quelques connaissances passant lui rendre visite. Plongée tout en contraste dans son quotidien, où les beuveries en compagnie de pécheurs locaux côtoient la lecture studieuse d’un ouvrage de Nietzche. S’encanaille, s’encanaille pas, difficile à dire. L’autoflagellation de celui qui sait l’expérience temporaire sonne parfaitement juste :
« Je suis le bourgeois défendant la supériorité du parquet sur le lino. L’esthétisme est une déviance réactionnaire ».
« Des polars de la Série noire : il faut parfois souffler ».
« Le courage serait de regarder les choses en face : ma vie, mon époque et les autres. La nostalgie, la mélancolie, la rêverie donnent aux âmes romantiques l’illusion d’une échappée vertueuse. Elles passent pour d’esthétiques moyens de résistance à la laideur mais ne sont que le cache sexe de la lâcheté. Que suis-je ? Un pleutre, affolé par le monde, reclus dans une cabane, au fond des bois. Un couard qui s’alcoolise en silence pour ne pas risquer d’assister au spectacle de son temps ni de croiser sa conscience faisant les cent pas sur la grève. »
Le syndrome du faux modeste
Je ne suis qu’un intellectuel aux marottes bourgeoise mais je me soigne, déjà vu (prononcé « vous ») my dear. Mais, une fois le terrain préparé et le mea-culpa fait, le ton se fait souvent assez suffisant. On sent que l’auteur est très fier de pouvoir ainsi changer de costume. Il parle avec admiration de « L’ermite », celui qui n’a pas besoin de la société, qui la moque, qui a quelque part trouvé ou retrouvé un lien perdu avec la nature, qui fait de sa situation un acte semi-révolutionnaire. Ce qu’il reproche à Thoreau « son prechi-precha de parpaillot comptable me lasse un peu », Tesson s’y abaisse pourtant. Faire la leçon, émettre un jugement de valeur sur « La laideur des complets-cravate et la pauvreté d’expression de es gens sont pires que leurs malversations. », celui qui n’y touche pas mais que l’on a des chances d’entendre, lire ou voir dans trois média de grande écoute. Sans pour autant affirmer son appartenance à cet absolu temporaire recherché, il s’y identifie suffisamment pour prendre cette posture un peu moralisatrice. Il n’est pas « l’ermite » puisqu’il a emmené beaucoup de produits manufacturés (vivres, vêtements, tabac, alcool ou radio) mais quand même il pêche et fait du feu. Le personnage me laisse un peu la même impression que Nicolas Bedos, intelligent, talentueux mais enclin à beaucoup de fausse humilité, voire de démagogie :
« Etrange, ce besoin de transcendance. Pourquoi la foi en un Dieu extérieur à sa création ? Les craquements de la glace, la tendresse des mésanges et la puissance des montagnes m’exaltent davantage que l’idée de l’ordonnateur de ces manifestations. Elles me suffisantes. Si j’étais Dieu, je me serais atomisé en des milliards de facettes pour me tenir dans le cristal de la glace, l’aiguille u cèdre, la sueur des femmes, l’écaille de l’omble et les yeux du lynx. Plus exaltant que de flotter dans les espaces infinis en regardant de loin la planète bleue s’autodétruire. »
« En ville le libéral, le gauchiste, le révolutionnaire et le grand bourgeois paient leur pain, leur essence et leur taxes. L’ermite, lui, ne demande ni ne donne rien à l’Etat. Il s’enfouit dans les bois, en tire subsistance. Son retrait constitue un manque à gagner pour le gouvernement. Devenir un manque à gagner devrait constituer l’objectif des révolutionnaires. Un repas de poisson grillé et de myrtilles cueillies dans la forêt est plus antiétatique qu’une manifestation hérissée de drapeaux noirs. »
« Le cigare et la vodka, compagnons idéaux de ces moments de repli. Aux pauvres gens solitaires, il ne reste que cela. Et les ligues hygiénistes voudraient interdire ces bienfaits ! Pour nous faire parvenir à la mort en bonne santé ? »
Les vrais gens, l’opinel rouillé, la moustache du papé, ce genre. Chacun ses contradictions, trop de venin jaloux a déjà cependant coulé pour un ouvrage loin d’être exempt de qualité littéraire.
Une très belle œuvre littéraire
Tesson l’écrivain, que je découvre, a une jolie plume et le goût des phrases définitives chères à mon cœur :
« Offrir des fleurs aux femmes est une hérésie. Les fleurs sont des sexes obscènes, elles symbolisent l'éphémère et l'infidélité, elles s'écartèlent sur le bord des chemins, s'offrent à tous les vents, à la trompe des insectes, aux nuages de graines, aux dents des bêtes ; on les foule, on les cueille, on y plonge le nez. A la femme qu'on aime il faudrait offrir des pierres, des fossiles, du gneiss, enfin une de ces choses qui durent éternellement et survivent à la flétrissure. »
Ses descriptions sont belles, son phrasé ciselé et rassurant. Quand il ne cite pas ceux qu’il lit ou qu’il ne parle pas de l’Ermite, il reste de très belles choses, à commencer par son quotidien et ses admirables moments de silence. Au plus fort de ses lignes, on est dans une bulle de silence, au bord du lac, à regarder le paysage en sa compagnie. Ce que je reproche paradoxalement à l’auteur c’est d’avoir fait de son ouvrage une lance plutôt qu’un recueil. Il touche parfois à la superbe, pour retomber dans des considérations moins utiles, sauf peut-être quand il fustige l’attitude parfois douteuses des barons locaux.
A lire ou pas ?
Oui. Soyez moins triste sire que moi, affranchissez-vous de ne pas arriver à discerner le personnage de l’œuvre littéraire. La question de savoir si « Dans les forêts de Sibérie » est un témoignage sincère, une farce ou un caprice ne doit pas altérer votre impartialité littéraire. Tesson écrit avec style, possède une belle écriture, et a ce ton apaisant qui donne envie de sagement tourner les pages. S’il écrivait de la fiction, j’en serais à nouveau, à coup sûr.
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