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Opéra, opérette, opéra-comique, opéra-bouffe...

Publié le 30 août 2013 par Porky

Pour ce retour en fanfare, justement, pas de fanfare ; désertons le grand Opéra bien sérieux pour une série de trois œuvres, trois opérettes, qui feront l’objet de prochains « articles » (va pour ce nom.)

Ce n’est pas la première fois que j’aborde ce genre un peu particulier, qui fait grincer les dents de certains trop sérieux, parce que, justement, par tradition, une opérette, « ce n’est pas sérieux » ; et puis, ce n’est pas de « la grande musique ». (Si quelqu’un peut me dire précisément ce qu’est « la grande musique », qu’il n’hésite surtout pas à parfaire ma culture.)

Puisque nous avons retrouvé l’ardeur de nos premiers billets lyriques, donnons dans l’érudition, sans modestie. Qu’est-ce que l’Opérette par rapport à l’Opéra, l’Opéra-Comique et l’Opéra-bouffe ?

Déjà, une première remarque  s’impose : le terme « Opérette » n’est qu’un diminutif de « Opéra », et signifie « petit Opéra léger ». Certes, l’Opérette se distingue de l’Opéra traditionnel par l’alternance de parties chantée et dialoguées. Mais cette caractéristique appartient également à l’Opéra-Comique –qui n’a d’ailleurs rien de comique soit dit en passant. Cet adjectif doit être pris dans le même sens que celui utilisé dans L’Illusion comique de Corneille (= illusion théâtrale) ou Le Roman comique de Scarron (= le roman des comédiens). « Comique » renvoie donc à la notion de théâtre, d’où Opéra-comique pour un ouvrage qui comporte des dialogues parlés.

L’Opéra-comique est censé être un genre noble ; l’Opérette, un genre mineur. Est-ce donc une simple question de légèreté et de sérieux qui ferait la différence entre les deux ? Je suis sûr de vous avoir déjà servi la boutade de Camille Saint-Saëns : «  L’Opérette est une fille de L’Opéra-Comique qui a mal tourné, mais qui est quand même charmante. » Si on s’en tient à cette définition certes amusante, mais un peu superficielle, alors oui, il semblerait que cette différence soit bien dans le degré de sérieux.

Et pourtant, l’Opérette est bien la digne et légitime héritière de l’Opéra-comique. Comme le dit David Rissin (1) « à regarder de plus près l’histoire de la famille lyrique (2), on s’aperçoit que ses avatars ne tiennent pas seulement aux caprices conjugués d’Euterpe et de Thalie, mais aussi à des raisons sociales, voire politiques. L’évolution des genres de l’Opéra, de l’Opéra-comique, de l’Opéra-bouffe, de l’Opérette, c’est surtout l’évolution des fonctions de représentation sociale que ces formes ont remplies. »

Le grand Opéra est aristocratique : il présente des sentiments nobles, des situations dignes de celles imaginées par Corneille ; il voue au passé un véritable culte : en un mot, il met en scène une Humanité supérieure, loin du vulgaire et du quotidien.

L’Opéra-comique, lui, au contraire, a une origine populaire et petite-bourgeoise. Apparu peu avant la Révolution, il ne s’adresse pas vraiment au même public que l’Opéra et n’a donc pas le même genre. Les sujets et sentiments ne sont plus héroïques mais plus humains, plus proches de la vie de tous les jours, bref, bourgeois. La machinerie théâtrale est également beaucoup moins complexe, car l’Opéra-Comique ne requiert plus de décors luxueux, des ballets, etc… Enfin, comme son nom l’indique, l’Opéra-comique est un mélange de musique et de comédie : le parler convient mieux que le chant à des dialogues familiers, proches du réel.

Vers le milieu du 19ème siècle, la bourgeoisie a pris le pouvoir et remplace l’ancienne aristocratie décimée par la Révolution. Ce n’est plus la naissance qui compte, mais la réussite matérielle, l’argent. Cette bourgeoisie veut adapter la Culture noble à ses propres valeurs. Elle va donc démocratiser l’Opéra et en même temps anoblir l’Opéra-comique. Finalement, les deux vont se confondre. « En 1875, Carmen n’a déjà plus rien du ton gentiment sentimental de l‘Opéra-comique traditionnel ; […] la formule familière et un peu simplette de l’alternance chanté/parlé apparaît comme un anachronisme et c’est pourquoi on a éprouvé le besoin, après la mort de Bizet, de remplacer les dialogues parlés de Carmen par des récitatifs chantés. L’ancien Opéra-comique a été absorbé par l’Opéra, mais le genre original n’a pas disparu, il a seulement changé de nom. » (3)

Certaines œuvres du genre s’appelleront « Opérettes », d’autres « Opéra-Bouffe » : ce dernier genre se distingue par son ton comique qui n’est pas celui de l’Opéra dit « comique » ; si l’Opéra-Bouffe est d’origine italienne, il a acquis en France ses lettres de noblesse avec Offenbach, dont la plupart des œuvres sont bien autre chose que des Opérettes au sens diminutif du terme. D’autres œuvres, quel que soit le genre indiqué par le compositeur ou donné par le public, sont bel et bien dans la tradition de l’Opéra-comique, comme les ouvrages de Chabrier ou de Messager. Ce dernier, comme Offenbach, a souvent varié la désignation du genre de ses œuvres : c’est sans doute dû au style du théâtre auquel elles étaient destinées. Ainsi, Véronique, dont je parlerai plus tard, est désignée comme « Opéra-comique » par Messager, alors que nous avons tendance à la considérer comme une « Opérette ».

Ces questions de terminologie reflètent en fait une réalité plus générale et notamment une réalité sociale. Certains compositeurs choisissent des sujets plus « distingués » que ceux traités par l’Opérette ; d’autres, au contraire, comme Messager, composent des œuvres qui perpétuent une fonction sociale : offrir un miroir idéalisé à la bourgeoisie (et surtout à la petite bourgeoisie) grâce à ce que David Rissin appelle « la mythologie du brassage des classes sociales. »

Il prend Messager comme exemple : toutes ses œuvres comportent ce mélange des classes sociales : Dans Véronique, deux aristocrates se font passer pour de simples fleuristes alors qu’un vrai fleuriste se fait admettre aux Tuileries. Dans Monsieur Beaucaire, un barbier se fait passer pour un duc et la Lady amoureuse de lui finit par admettre, une fois la supercherie découverte, qu’elle aime un roturier qui se révèlera à la fin être le Duc Philippe d’Orléans, frère du roi Louis XVI !

« Ce mythe –un psychanalyste dirait avec plus de précisions ce fantasme- de réalisation imaginaire d’un renversement ou d’un nivellement des rapports sociaux est omniprésent non seulement chez Messager mais chez Lecoq, Planquette, Offenbach… […] De nos jours il n’a rien perdu de son pouvoir, à en juger par le succès de la littérature journalistique où il est démontré que la Reine d’Angleterre ou le Prince de Monaco ont au fond les mêmes soucis domestiques et sentimentaux que vous et moi tout en les vivant d’une manière qui nous parait plus romanesque et excitante. » (3)

Mais des compositeurs tels que Gounod, Bizet ou Massenet, soit les grands auteurs d’Opéra-comique, négligeront volontairement ce thème du brassage social. Lorsqu’il interviendra, ce sera avec une signification  totalement opposée à celle d’un beau rêve : Dans Mireille, par exemple, la différence sociale est vue comme un obstacle rédhibitoire : l’amour est impossible et conduit à la mort.

C’est donc bien une fonction cathartique qu’a, à partir d’un moment donné, revêtu l’œuvre lyrique dite « légère ». C’est peut-être pour cela que l’Opérette ne peut pas mourir…

(1) – Livret de présentation des œuvres de Messager, coffret vinyle  comportant La Basoche, Les Pt’ites Michu, Véronique, Fortunio, Monsieur Beaucaire.

(2) – En France. En Italie ou en Allemagne, ce fut différent.

(3) – David Rissin.


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