La folie
Dans la tragédie latine, la folie est nommée furor. C’est un état extrême dans lequel se trouve le personnage. La furor va le pousser à commettre l’irréparable. Le personnage de Médée va être atteint de cette furor : par jalousie, elle va tuer Créüse, la nouvelle femme de Jason pour qui il l’a délaissée. Elle va aller plus loin dans l’acte horrible et impensable en tuant ses propres enfants pour faire souffrir Jason.Chez les Grecs, la folie se retrouve notamment à travers le personnage d’Œdipe qui se crève les yeux car il ne supporte plus de voir la vérité : il a tué son père et commis l’inceste avec sa mère. La folie est toujours liée à la démesure (hybris/hubris).
La folie -et notamment la crise passionnelle- est redondante en littérature stigmatisant ainsi l’état démentiel qui vise à montrer que la folie n’est pas nécessairement innée et que chaque homme peut sombrer dans ses abimes. C’est très souvent la blessure d’amour (amour propre ou amour de l’autre) qui est à l’origine de la folie.
I. La folie : entre répulsion et attiranceDans la plupart des romans médiévaux, l’image du fou apparaît. Le fou est celui qui a perdu le sen (le sens, la raison), suite à un déshonneur, une blessure d’amour. La folie est un topos de la littérature médiévale développant l’image du fou, dresse un portrait-type de ce fol. Il vit reclus dans la forêt, se conduit comme un animal, mange cru, se dévêt. Dans certains cas, il a la marque d’une tonsure soit irrégulière marquant ainsi son allure singulière soit en forme de croix indiquant alors que le fou es placé sous la protection de Dieu. Il peut avoir une massue (arme rustique non sculptée symbolisant l’agressivité, la sauvagerie), une marotte (un bâton sculpté… D’où l’expression « A chaque fou sa marotte »), le burel (chaperon). Le fou, c’est l’homme revenu à l’état primordial. Dans Yvain ou le chevalier au lion,Yvain devient fou quand Laudine le rejette puisqu’il n’a pas respecté le délai de son retour. Yvain fuit la cour de honte et s’abandonne dans la forêt où il se conduit de façon bestiale. Personne ne le reconnaît du fait de sa transformation, et il fait fuir les êtres humains tant il est effrayant. Le fou est une sorte de paria, l’objet de répulsion. On retrouve ce même motif dans Amadis et Ydoine.
Chez Schnitzler, avec Mademoiselle Else, on a aussi la représentation de la folie à travers l’hystérie du personnage principal. Sa folie se caractérise par son rire, son état de transe et on retrouve aussi le thème de la nudité. Ce rire apparait comme un rire diabolique qui effraie les autres personnages et les repousse en même temps. Le fou devient en quelque sorte un double diabolique, un avatar de Satan, celui qu’il faut fuir.
Dans le roman de Cervantès, le fou est représenté par le personnage de Don Quichotte. Don Quichotte ne fait pas peur comme Yvain puisqu’il ne se transforme pas, ne rit pas à gorge déployée comme les hystériques, mais il est fou car il divague et perd toute notion de réalité. En revanche, Don Quichotte est seul contre tous puisqu’il est convaincu de vivre une vie chevaleresque. Il confond fiction et réalité et sa réalité n’est pas celle des autres personnages. Il ne repousse pas les autres, il n’est pas abject, il correspond plus au « fou du roi », burlesque, atypique, déraisonné dont les autres se moquent ouvertement. Don Quichotte est victime des autres personnages dans la mesure où aucun d’eux ne va essayer de lui faire entendre raison mais bien de le conforter dans ses chimères. Il est l’objet de railleries, une sorte de bouc émissaire sur qui on tape sans vergogne. Le bouc émissaire est un défouloir des passions humaines, un punching-ball humain. Dans ce roman, en tant que lecteur, une fois que l’on a dépassé le stade de la moquerie, on ressent malgré tout une certaine pitié. Don Quichotte est pathétique.
Comme Don Quichotte, Woyseck–le personnage de la pièce éponyme de Büchner- est un fou qui provoque la pitié. Woyzeck va commettre un acte irréparable suite à l’adultère de sa femme. Tout au long de la pièce, cet homme court comme un forcené comme s’il se sentait prisonnier de sa propre vie. Il est humilié par ses supérieurs. Ses moments de répit, il les trouve auprès de sa femme. Alors quand il apprend la tromperie, il perd le peu de repères qu’il avait et sombre dans une folie meurtrière. Cette pièce est tirée de faits réels : En 1821, Johann Christian Woyzeck poignarde sa compagne. Souffrant d’hallucinations, « confondant temps objectif et temps subjectif », il a été jugé responsable et exécuté. Büchner met en valeur la déchéance de l’esprit humain, le meurtre passionnel qui se trouve être la seule porte de sortie du personnage après une vie d’humiliations, d’aliénations, de souffrances, de tromperies. Büchner ne défend pas Woyzeck, il cherche juste à montrer ce qui pousse un homme à devenir fou et commettre l’abominable. Le lecteur ou le spectateur a en horreur le crime commis, pourtant il reste très touché par ce personnage en souffrance qu’on a envie de sauver.
Cette image du "fou" qui inspire la pitié dans le film italien "Encore un baiser" avec le personnage de Paolo. II. La folie : dangereuse ?
La folie est souvent considérée comme un danger puisque les personnages vont inspirer la crainte, la répulsion. La folie repousse, la folie attire. On a besoin de fous pour bien comprendre à quel point nous sommes raisonnés. Il redore notre blason, cet autre, il gonfle notre égo, ce cinglé.
La folie dérange aussi parce qu’elle fait peur. Le fou nous terrorise. Ce qui nous angoisse davantage lorsque nous nous trouvons face à un fou, c’est de se dire que cela pourrait être nous. Ce n’est pas tant le fou et la folie qui nous tourmentent mais l’idée de devenir un aliéné, un dingue. Un rien peut nous faire glisser de l’autre côté de cette « normalité » (quel mot stupide d’ailleurs) : un bug cérébral, un accident, un traumatisme, un choc émotionnel. La folie est là, elle nous épie, prête à s’abattre sur nous au moindre hic. Et oui, cela n’arrive pas qu’aux autres, et quand cela arrive chez les autres, on est satisfait que cela ne soit pas tombé chez/sur nous.
Le fou ne me fait pas peur. Il y a tellement de synonymes, de vocables que l’on peut mettre derrière ce mot. FOU : idiot, sot, débile, ridicule, dépressif, aliéné…
Le pire danger qui existe en matière de folie c’est le fou dangereux non reconnu comme tel. Celui-là me fait peur… Mais, la littérature n’a pas mis au monde ce genre de personnage. La réalité, oui. Comme par exemple –un parmi tant d’autres- un dictateur à la petite moustache. Son projet mûrement réfléchi, scientifiquement prouvé, scrupuleusement pensé était quand même une pure folie. Il faut être fou pour décimer des peuples et pourtant sa raison était intacte ; personne ne l’a enfermé (à part en prison). Le pire, c’est qu’il n’est pas très certain qu’il aurait été diagnostiqué comme fou. C’est cela qui est surprenant et tétanisant.
OUI, La folie est dangereuse quand elle est haineuse. Ce fou furieux , ce fou du führer (et tous ses avatars) dégoutent, angoissent et tétanisent. Comme dirait Gary Jules: it's a mad world, bande originale du film Donnie Darko, un jeune adolescent quelque peu psychopathe dont le meilleur ami est un gros lapin effrayant qu'il imagine et auquel il croit dur comme fer. Je n'aime pas ce genre de film, celui-ci m'a scotchée.