La série 7 métamorphoses est constituée de 7 photographies de grand format, dont un diptyque. Elle décline diverses situations et forme une boucle, avec un début et une fin.
Mises en scène de manière théâtrale, les images montrent le photographe et son modèle – toujours le même – dans un décor austère et des poses hiératiques. Les lieux se réduisent à des signifiants architecturaux : un mur, une porte, une fenêtre, un balcon, un couloir et les accessoires se retrouvent d’image en image : une chaise, un rideau, une balustrade, un paysage, le cordon déclencheur de l’appareil. Nulle volonté de réalisme. Au contraire, l’abstraction des lieux semble plus de l’ordre d’un espace mental.
Néanmoins, très vite, on se heurte à des incohérences spatiales et narratives. L’impossible rencontre entre l’artiste et son modèle nous entraîne vers des situations troublantes. Le regardeur et le regardé, dont les positions parfois s’inversent, ne se voyant pas et pourtant l’un en face de l’autre dans l’image, ou dos à dos se voyant, par miroirs interposés. Ce que montre l’image n’est pas ce qui a été. L’illusion du début fait place à un délitement de la représentation qui s’accélère d’image en image. Au-delà du portrait, c’est la question du corps photographié que pose l’artiste. Un rapport érotique à trois composantes : le photographe, le modèle et l’appareil photographique. Ce qui rend la présence du modèle si désirable, c’est qu’il est le corps d’une image à venir.
Il suffit, par une métamorphose du désir, de traverser le réel pour l’obtenir.
Ce passage d’un monde à l’autre, Sabine Meier l’évoque ou plutôt le retrace :
« De mes parents, j’ai hérité de deux nationalités […] il m’a souvent été donné de passer la frontière. Outre que ce passage, enfant, me posait la question de mon identité […] je ne comprenais pas ce qu’était […] ce lieu du passage. Mes questions se résolvaient d’elles-mêmes lorsque j’étais de l’autre côté de la frontière. Il avait suffi de traverser. J’étais là-bas, et je suis là. La traversée de mon corps d’un pays à l’autre résolvait des questions que je ne sais même pas poser. De même, ce corps qui m’a fait face dans l’atelier se trouve à présent dans le lieu de l’image. Dans cette traversée impossible, il m’a pris avec lui car il est le véhicule de cette étrange métamorphose : l’accomplissement de la représentation, qui aura fait de nous des ombres capables de traverser le temps ».
Sabine Meier travaille en argentique. Aucun montage numérique. Ce qui suppose ici un long processus : les décors des photographies incluent d’autres photographies préalablement tirées sur bâche qui nous perdent dans un labyrinthe dont nous cherchons la sortie. Nous sommes dans la métamorphose de l’espace et l’illusion devient image.
Les photographies, de grands formats, sont encadrées d’un épais cadre brun. Ce choix a son importance : il permet à l’artiste d’insister sur l’intensité des vides et aux personnages de prendre appui sur le cadre, nous impliquant dans le processus de la représentation et de ses ambiguïtés.
Sabine Meier, née en 1964, vit et travaille au Havre. Diplômée de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris (ENSBA), licenciée en histoire de l’art (esthétique de la photographie) et agrégée d’Arts plastiques, elle s’inscrit dans le champ de la création artistique contemporaine.
Son travail photographique est régulièrement exposé dans des institutions et galeries en France et à l’étranger ; il figure dans diverses collections publiques et privées (FNAC, FRAC Haute-Normandie, Goethe Institut de Bordeaux, le MuMa du Havre…) Sabine Meier a effectué plusieurs résidences en France, en Allemagne, en Finlande et dernièrement aux Etats-Unis (New-York). Son travail a longtemps tourné autour de l’autoportrait. Plus récemment, elle a produit une série de photographies à partir du roman de Dostoïevski, Crime et châtiment : Portrait of a man (Rodion Romanovitch Raskolnikov).