- France
L’actualité syrienne a marqué le traditionnel discours aux ambassadeurs. La plupart des médias n’ont retenu que les passages consacrés à l’affaire damascène. Pourtant, il est intéressant de lire le reste du texte, accessible ici
Egéa essaye chaque année de lire et commenter cet exercice : pas simplement un exercice de style, mais aussi un exercice de style. Non seulement énoncé des priorités extérieures de la France, mais aussi exercice de communication, où la façon dont c’est dit compte autant que ce qui est dit, et que ce qui est tu.
D’emblée, donc, le PR commence par la question syrienne. Il faut lire tout le texte pour comprendre qu’il est articulé en trois parties : l’une consacrée aux crises, la deuxième aux changements planétaires (dans une perspective régionale), la dernière aux questions de gouvernance et aux problèmes transversaux. Mais l’urgence des crises permet d’échapper au formalisme un peu convenu de ce type de discours. Du coup, l’exercice de cette année est bref et vif, et donc agréable à lire.
I Les Crises
Les crises, donc, et tout d’abord la Syrie. On a certes le sentiment de la fermeté, mais d’une fermeté maîtrisée, comme si le PR se méfiait de l’animal qu’il allait libérer. Ainsi, il s’agit de « punir ». Au fond, le signal est exclusivement politique et on s’intéresse assez peu à l’objectif militaire : personne ne croit que les frappes vont gêner durablement Damas. Les Frappes ne sont là qu’à l’appui d’une rhétorique stratégique, visant à favoriser « une solution politique », même si le PR ne mentionne pas le processus de Genève. Cela emporte donc quelques affirmations : la désignation de la responsabilité du régime (« tout porte à croire que c’est le régime qui a commis cet acte abject »). Cela sous-entend qu’on se passera de « preuves », puisque le faisceau d’indices suffit à forger la conviction qui préside au jugement du juge.
Le juge ? mais quel est-il, et selon quelle loi ? On discerne dans le discours deux lignes : la notion de violation « des conventions internationales » liées aux armes chimiques (nous avons déjà évoqué, sur égéa, le fait que ce point soulevait débat et n’était pas aussi évident qu’on l’entend) ; et le placement sous le R2P (« je reconnais le principe de la responsabilité de protéger que l’AG des NU a voté en 2005 »). Autrement dit, même s’il y a blocage au CSNU, nous auront des voies de droit pour justifier notre action. Un point au passage : le PR évoque les propagations de l’affaire syrienne à toute la région : Jordanie, Liban, Turquie, mais aussi « l’Irak par le déchainement de violences meurtrières ». Je ne savais pas que les troubles irakiens actuels prenaient leur source en Syrie. L’argument est ici un peu forcé.
Le discours continue : pour faire transition, le PR évoque l’outil de défense (LB, LPM) ce qui le mène au cas malien (hommage aux morts de Serval, satisfaction devant le succès de l’opération et ses suites politiques). On passe ensuite à l’Afrique (qui arrive donc assez vite dans les priorités), aux pays arabes (sur le sujet, le PR rappelle le sommet 5+5 -Méditerranée occidentale où il a évoqué une « Méditerranée des projets »), Iran (où il remarque l’arrivée du président Rohani mais en attend des gestes concrets et rapides).
Ainsi, cette première partie des crises permet simultanément de bien montrer les priorités françaises : le voisinage, d’abord. Je crois que ce n’est pas seulement dicté par les circonstances, mais traduit une vraie priorité.
II Les « changements planétaires »
Pour évoquer ces changements, le PR commence par : « Les nouvelles puissances se comptent désormais par dizaines ». J’aime beaucoup cette expression de « nouvelles puissances », plus figurative que « l’émergence ».
Toutefois, la première sous partie insiste sur l’économie (diplomatie économique), la suivante sur le rayonnement, la dernière sur les partenariats. Avec la Chine, un long développement est consacré aux investissements à l’étranger. Sur l’Inde, le PR mentionne « l’amplification (…) de notre coopération de défense (…) ». Sont mentionnés le Japon, l’Afrique du sud, la Russie (mention du respect des droits de l’homme).
III Gouvernance.
La 3ème partie évoque les questions de gouvernance. Il s’agit d’abord des problèmes transversaux (évasion fiscale, déséquilibres globaux, climat, financement du développement).
Puis, et seulement à ce moment, l’Europe. « Il est temps de tirer les conclusions des rapports différents qu'entretiennent les pays membres par rapport à l'Union Européenne. » D’où la promotion d’ « une « Europe différenciée ». Et si les rapports avec l’Allemagne sont rappelés, la partie se conclut sur un constat sec : « Ou l'Europe est capable de se redessiner un projet, ou lentement mais sûrement elle connaîtra un processus de désintégration ».
Cette dernière place donnée à l’Europe, cette dernière remarque assez pessimiste donnent un ton assez nouveau, qui change de l’euro-cabrisme qui régnait jusque là.
A cet égard, ce discours des ambassadeurs est instructif, au-delà des remugles liés à l’actualité syrienne.
O. Kempf