L'historien Pap Ndiaye, dans un excellent numéro (mars 2008) de la revue l'Histoire, nous apprend qu'après l'assassinat du pasteur King le 3 avril 1968, une autopsie "indiquera que son coeur, épuisé par treize ans de combat pour les droits civiques, ressemblait à celui d'un homme de 60 ans, alors qu'il en avait que 39". Mais on serait très mal inspiré d'en déduire que si King avait échappé à son funeste destin ce jour là, il serait probablement mort d'une crise cardiaque... Je crois plus utile de s'interroger sur son degré de crédibilité en 1968. Autrement dit au moment où il reçoit une balle dans la tête, alors qu'il discute avec un de ses collaborateurs au balcon du motel Lorraine dans le centre de Memphis, n'est-il pas déjà "mort" politiquement ?
La question mérite à mon sens d'être posée afin de comprendre qui pouvait souhaiter sa disparition. Nous n'ignorons pas que le tueur présumé James Earl Ray a, jusque sur son lit de mort (en 1998, à l'âge de 70 ans) toujours clamé son innocence. Ce petit malfrat aurait plaidé coupable pour éviter tout simplement la peine de mort. A ce jour nous confirme Andrew Diamond nul "n'a pu encore prouver que Ray était réellement le meurtrier de King". L'hypothèse reste donc ouverte du complot. King était il gênant à l'époque et pour qui ? Ou était-il comme je le défends (audacieusement, je le confesse) en voie de marginalisation politique ?
L'historien Andrew Diamond, dans la revue déjà cité, dresse une liste de tous les acteurs à l'époque très agacés par l'action de King, mais ne tranche pas. Il commence par la responsabilité de l'Etat autrement dit le FBI dirigé à l'époque par Edgar Hoover et la Maison blanche; puis explore la piste des mouvements racistes blancs comme L'American Independant Party de George Wallace (gouverneur de l'Alabama qui clamait en 1963: "La segregation pour toujours !"); et enfin les Noirs radicaux très hostiles à la non-violence prônée par King. Les trois hypothèses sont plausibles mais si l'on reprend la chronologie, que constate-t-on ? King est à son apogée en 1963 et durant deux années: il prononce son discours historique "I have a dream" le 28 août devant 250 000 personnes, dans le centre de la capitale, Washington, un siècle après celui de Lincoln sur l'abolition de l'esclavage. Le magazine Time l'élit alors "homme de l'année". En 1964 et 1965 sont votées les lois civiques et entre temps il reçoit le prix Nobel de la paix. L'ascension est vertigineuse pourtant les difficultés commencent à partir de 1965...
Désormais, il veut améliorer la situation des noirs dans le Nord des Etats-Unis et spécialement à Chicago où règne une ségrégation de fait. Confronté à une violence inouïe de la part des blancs mais également contesté par les noirs eux-mêmes, il quitte Chicago fin 1966, avec seulement de vagues promesses du maire de la ville. C'est un échec. Force est de constater qu'il paraît de plus en plus isolé, y compris dans son propre camp. Une partie des démocrates ne comprennent pas l'évolution de son discours politique qui se gauchise en fustigeant les méfaits du capitalisme. Il souhaite en effet désormais mettre l'accent sur la dénonciation des inégalités sociales. En 1968 la "campagne des pauvres gens" est également critiqué par d'autres figures des droits civiques qui redoutent, nous explique Pap Ndiaye, qu'elle entraîne le retour des conservateurs au pouvoir.
En résumé, en 1968, King était dans une situation très difficile. Ces succès politiques semblaient derrière lui. En somme, le FBI avait-il besoin de le supprimer alors qu'il suffisait de rendre publique ses liens avec les communistes (ce que l'on n'a pas hésité à faire) pour davantage le discréditer ? D'autre part quel est l'intérêt pour les mouvements racistes blancs de l'assassiner alors qu'il opère lui-même un glissement de son discours racial vers la question sociale ? Et par ailleurs ne risquait-on pas d'en faire un mythe ou un martyr (ce qu'il est d'ailleurs devenu) ? Reste donc la piste des mouvements radicaux noirs comme les Black Panthers qui voulaient substituer leurs méthodes au discours pacifique de King... Après tout Gandhi auquel King se référait, ne fut pas assassiné par un britannique ni Rabin par un palestinien...
Je signale que j'avais déjà publié cet article en avril 2008 sur EQuinOX, mais j'ai eu envie de le soumettre à nouveau à la sagacité de mes lecteurs pour au moins deux raisons: d'abord afin de saluer à ma façon l'anniversaire du discours, mais aussi parce que j'ai trouvé qu'à cette occasion, on parlait essentiellement du bilan du célèbre pasteur noir en éludant la question de sa mort.