Nous sommes au début de la Grande Perspective. Descendre quelques marches et voici ce que l’artiste intitule Anatomie, blocs de marbre où affleurent branches et veines, entre végétal et animal, encore une histoire de peau (comme l’était déjà l’écorce du cèdre) ; au milieu, un rouleau comme un épiderme décollé et roulé sur lui-même, révélant veinules et réseaux d’irrigation. L’aspect de colonne couchée me rappelle celle que j’avais vue aux Tuileries, en mars, en sortant de l’exposition d’Adrian Paci au Jeu de Paume (et que vous pourrez retrouver ici). La peau, donc, comme celle qu’on voit sur le tambourin de cette jeune musicienne dont la statue est à deux pas en allant vers le Bassin de Cérès. Un des blocs de marbre évoque une empreinte digitale, me rappelant que l’artiste, y voyant sans doute une façon d’interroger l’identité individuelle, avait déjà réalisé une autre œuvre sur ce thème, avec des tuiles et des branches (photo trouvée sur Strange Stuff And Funky Things, cliquer sur la photo de l'oeuvre, intitulée Ombre de Terre, pour atteindre ce site).
Marbre, pierre, bronze, végétal, cette alliance se multiplie chemin faisant, cherchant toujours le lien entre la terre et le ciel (qui parfois foudroie les arbres, l’artiste le sait bien), jusqu’au Bosquet de l’Etoile. Là, Penone pose assez frontalement la question des racines, non seulement avec son Elévation (qui me fait penser à une danseuse), mais aussi avec ces pierres, prises au sol mais aussi dans les airs, comme si l’arbre avait poussé avec elles, comme si elles avaient niché au creux de ses branches. Mon regard montant ainsi vers le ciel de ce jour-là s’interroge de surcroît sur la capacité d’équilibre de ces troncs déjouant les pièges de la pesanteur pour atteindre les nuages, « les merveilleux nuages ».
Je m’arrête, sur le chemin du retour, devant l’œuvre qui m’avait accueilli, l’Espace de Lumière creusé dans un tronc, disposée dans le sens de la Grande Perspective et révélant le cours de la sève, le cours de l’eau là-bas, vers le Bassin d’Apollon et le Grand Canal. Ce tronc creusé ressemble au diaphragme d’un appareil photo, saisissant de l’image la profondeur de champ (les premiers diaphragmes étaient en bois). Les jardins de Versailles deviennent ainsi un appareil photo dont le Château serait la chambre noire.
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