Commencer sans visionUn jour de 1907, au fonds d’un garage, Eugène Schueller, jeune chimiste de vingt-six ans, met au point une formule de synthèse à base de composés chimiques inoffensifs permettant de teindre les cheveux. Le fait-il parce qu’il sait que c’est la première étape nécessaire à la naissance du futur leader mondial de la beauté ? A-t-il, des heures durant, rempli des feuilles et des feuilles de calcul sur son cahier – malheureusement pour lui, la magie des tableurs excel n’existait pas encore, et c’est à la main qu’il aurait dû les faire… – pour identifier précisément quel serait le marché à cinq et dix ans, et son besoin de trésorerie ? Je ne crois pas … En 1929, il achète Monsavon. Avait-il compris alors que cette base était nécessaire pour lancer avec succès en 1936 le shampooing Dop et Ambre Solaire, puis, grâce à la trésorerie dégagée par sa vente au début des années soixante-dix, pour permettre à L‘Oréal d’investir dans le développement de Lancôme ? Non, n’est-ce pas…Sautons maintenant à l’ère contemporaine, celle qui est peuplée de spécialistes en stratégie et de financiers aguerris qui savent lire de la boule de cristal des tableurs excel, et des modèles mathématiques sans cesse plus perfectionnés.
Attraper le futur plus par instinct que par logiqueJe pourrais multiplier les exemples à l’infini : à chaque fois, quand un entrepreneur se lance, ce n’est ni au vu d’une stratégie claire, ni d’un business plan détaillé. Non, c’est parce qu’il en ressent le besoin en lui, et qu’il saisit l’idée qui se présente, celle à laquelle il croît. Pourrait-il expliquer pourquoi il agit ainsi ? Très probablement pas. Mû par ses pulsions, poussé par ce qui émerge de ses processus inconscients, il sait qu’il doit le faire. Bien sûr, il n’avance pas tête baissée, et mobilise ses processus conscients pour trouver les moyens d’avancer, mais ce n’est pas ce qui l’a fait démarrer.
Croire au futur au-delà des analyses immédiatesSavez-vous qu’en 1927, Harry Warner, un des quatre frères Warner à l’origine des studios Warner Bros, affirma : « Qui pourrait bien avoir envie d’entendre les acteurs parler ? », et qu’en 1943, Thomas Watson Président d’IBM dit : « Je pense qu’il y a la place pour peut-être cinq ordinateurs dans le monde entier ». Pourtant quelques années plus tard, leurs entreprises devenaient des leaders mondiaux grâce à ces innovations jugées au départ par eux sans potentiel.
(Article paru en 4 parties entre le 4 et 10 juin)