A force de répéter, contre toute évidence, que la courbe du chômage va s’inverser d’ici à la fin de l’année, le Président Hollande doit certainement croire aux vertus de la prophétie auto-réalisatrice. Mais quelle est la portée réelle de cette théorie ?
Par Michel Ghazal.
A force de répéter, contre toute évidence, que la courbe du chômage va s’inverser d’ici à la fin de l’année, le Président Hollande doit certainement croire aux vertus de la prophétie auto-réalisatrice. Il nous en avait d’ailleurs donné la preuve irréfutable à propos de la croissance, n’est-ce pas ?
En réalité, je dois lui en être reconnaissant car son attitude m’a ouvert les yeux sur combien ma compréhension de cette théorie était réductrice par rapport à sa portée réelle. Depuis les nombreuses années que je l’enseigne dans mes séminaires de négociation, je n’en voyais que le côté sombre et négatif dont il fallait alerter mes clients.
Comment fonctionne-t-elle ?
La prophétie, appelée aussi oracle, est, selon le sociologue américain Robert Merton, une prédiction qui modifie les comportements de telle sorte que l’événement annoncé finit par advenir. En d’autres termes, il s’agit d’une croyance qui se réalise parce que nous agissons comme si c’était déjà vrai : « une fausse définition d’une situation suscite un nouveau comportement qui fait passer pour vraie la fausse conception ».
Prenons l’exemple de ce que certains États appellent « les guerres préventives ». Ils prétendent que leur ennemi voisin ou lointain fomente une agression à leur égard. Du coup, dans le but de mettre cet agresseur potentiel hors d’état de nuire, ils le précèdent en lançant une attaque contre lui. Ceci provoque, bien sûr, une contre-attaque de sa part. Du coup, l’État qui a déclenché la guerre s’auto justifie en dénonçant le comportement belligérant de son ennemi, alors qu’en réalité il avait provoqué la soi-disant hostilité qu’il craignait.
Paul Watzlawick, l’une des figures principales de « l’École de Palo Alto », explique comment les attitudes agressives de certaines personnes engendrent les situations contre lesquelles elles veulent précisément se protéger mais, qu’ainsi, elles confirment leur conception de la vie d’être une bataille permanente. Il illustre, dans un exemple devenu un classique, les mécanismes de la prophétie auto-réalisatrice avec la rumeur qui se propage annonçant, pour une raison indéfinie, un risque imminent de pénurie d’essence. Les automobilistes se ruent alors dans les stations-service pour faire le plein dont ils n’ont pas forcément besoin et font même des réserves en en remplissant des jerricanes. Du coup, en moins de temps pour le dire…la pénurie survient confirmant ainsi la prédiction.
Il en est de même de la bourse. Si une rumeur annonce que la valeur d’une action va baisser, ses détenteurs, donnant en masse des ordres de vente, finissent par faire baisser effectivement le cours de cette action et valident ainsi la prédiction.
Un autre exemple d’application de ce mécanisme en créativité : si une idée nouvelle surgit et que des membres qualifiés d’un comité de direction disent qu’elle ne marchera pas, autant y renoncer tout de suite. En effet, ces derniers feront tout afin qu’elle échoue rien que pour démontrer qu’ils avaient raison.
Lien de la prophétie auto-réalisatrice avec la pratique de la négociation
En négociation, il faut être conscient que si une des parties s’attend à ce que son interlocuteur agisse d’une manière donnée, elle finira par faire en sorte que l’autre agisse ainsi qu’elle le suppose. Concrètement, si, par exemple, vous anticipez que votre vis-à-vis va être compétitif ou agressif, vous vous préparerez à l’être vous-même. Dès lors, votre corps, gestes, attitudes, ton de la voix … finiront par le convaincre que vos intentions sont d’être compétitif. Du coup, il agit de la sorte … confirmant ainsi que votre hypothèse initiale était vraie. Alors, qu’en fait, vous l’avez rendu compétitif ou agressif en agissant vous-même ainsi en premier.
Fisher alerte sur le fait que, face à un négociateur même retors, « il y a peut être plein de raisons de raccrocher le téléphone, mais (il recommande) de ne jamais couper les fils ». Car, si vous le faites, vous vous fermez définitivement à la réalité et à l’opportunité de tester vos hypothèses par la confrontation de vos croyances avec l’autre partie.
Faut-il croire en l’effet magique des mots ?
Comme nous pouvons le constater, dans les cas cités, la prophétie auto-réalisatrice alerte sur des comportements dont la portée, sur une situation ou sur la relation, est plutôt négative. Or, grâce à M. Hollande, je réalise que s’il persiste autant dans sa croyance, c’est qu’il espère faire fonctionner ce mécanisme à l’envers. S’il insiste dans son affirmation de réduction du chômage, c’est qu’il espère que la courbe finira par s’inverser, provoquant ainsi l’effet positif qui confirme sa prédiction. CQFD.
Au-delà de l’ironie, en cherchant un peu, j’ai découvert que des expériences conduites dans les milieux scolaires ont montré que dans une classe plutôt moyenne, si l’enseignant conspue ses élèves sur leur médiocrité, leurs résultats sombrent. En revanche, si celui-ci croit en eux et « surnote » délibérément ses élèves, ces derniers finissent par améliorer concrètement leurs résultats. Ceci démontre à nouveau, qu’une croyance, même fausse au départ, peut contribuer à forger la réalité.
Malheureusement, concernant M. Hollande, quand bien même comme les 3.264.000 chômeurs j’aimerais qu’il en soit ainsi, je crains plutôt qu’il s’agisse d’une autre version de la méthode Coué. Car, suffit-il de répéter comme d’une incantation une espérance pour qu’elle advienne ?
D’ailleurs, qu’est ce que cela veut dire inverser la courbe du chômage ? Une fois que tous les records seront battus, la descente aux enfers s’arrêtera par la force des choses mais pas grâce aux mesures prises par le Gouvernement. Mais, n’en doutons point, ce dernier n’aura aucun scrupule à s’en prévaloir.
Et vous, et afin d’éviter qu’elles ne vous jouent des tours, avez-vous repéré de quelles manières des prophéties auto-réalisatrices sont opérantes dans votre mode de négocier ou de manager ?
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