Salut à toi, Hâpy, issu de la terre
venu pour faire vivre l’Egypte, (...)
Qui inonde les champs que Rê a créés
pour faire vivre tous les animaux, (...)
Qui a fait l’orge et produit le
blé,
approvisionnant les temples.
Tarde-t-il que le nez se bouche,
et que chacun est démuni ; (...)
lui qui a pris possession des Deux Pays (...)
Hymne à la crue du Nil
dans Bernard MATHIEU
Etude de métrique
égyptienne, II,
RdE 41
Paris, Peeters, 1990
pp. 137-41
Avec pour ligne de conduite la découverte des antiquités égyptiennes "invitées" à Mariemont par Arnaud Quertinmont, Docteur en égyptologie attaché au Musée, désireux, par son choix de pièces, - notamment celles exposées dans cette vitrine -,
d'accompagner l'exposition itinérante Du Nil à Alexandrie. Histoires d'eaux aux fins de lui apporter un judicieux complément d'informations, j'ai la semaine dernière, amis visiteurs,dans un premier temps, quelque peu attiré votre attention, sur l'importance du fleuve nourricier, colonne vertébrale d'un pays qui ne vivait que grâce aux inondations, phénomène absolument unique en son genre, qu'il prodiguait quatre mois l'année.
Cette première d'une série d'interventions intitulées Hommages à Hâpy n'avait évidemment d'autre finalité que vous permettre de comprendre l'immense nécessité pour le quotidien du peuple égyptien de cette manne liquide dispensatrice de vie et qui, entre autres, suscita grand nombre de croyances, d'oeuvres littéraires, tel l'extrait que je viens de vous proposer en guise d'incipit et dont, je le souligne, je vous avais jadis donné à lire l'intégralité.
Parmi ces textes ressortissant peu ou prou au domaine de la mythologie, il m'agréerait ce matin, - et ce sera mon second temps -, de synthétiser pour vous les diverses occurrences de celui que les philologues nomment le Mythe de la Déesse Lointaine.
Fille du démiurge, Hathor, s'ennuie.
Aussi, d'un coup de tête, décide-t-elle de fuguer le plus loin possible, bien au-delà des cataractes, où elle se transforme en Sekhmet, lionne sauvage et redoutable, perpétuellement en chasse.
Dans le pays, son éloignement provoque stupeur et tremblements : l'on ne peut admettre l'absence de celle qui était la générosité même, de celle qui avait visage d'abondance.
Toutes les objurgations paternelles l'enjoignant à revenir vers les siens échouent jusqu'à ce que, de guerre lasse, Rê mande l'intervention du dieu Chou. Les Égyptiens le nommeront "In-Héret", et les Grecs "Onouris", comprenez : "Celui qui ramène La Lointaine", souvent représenté sous l'aspect du cercopithèque Thot tentant de raisonner la lionne qu'anime un courroux toujours ravivé.
Bien qu'initialement rétive à toute ambassade, la fougueuse Sekhmet finit néanmoins par se laisser convaincre.
Le récit nous apprend alors qu'elle plonge dans le Nil impétueux à hauteur de la première cataracte et, apparemment purifiée de toute velléité excessive, en ressort rassérénée, sous les traits de la placide chatte Bastet.
Et dès lors de se réconcilier avec son père, Rê ; de devenir la bienfaisante protectrice des foyers, des parturientes et de prendre place, en tant qu'uraeus, sous le nom de Ouadjet, cobra femelle, au front du démiurge.
Il existe dans la deuxième des trois portions de l'immense salle 12 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre, disposé du côté gauche en venant de la salle 11, une pièce tout à fait particulière (E 26023), véritable carte d'identité mythologique qui reflète les quatre avatarsde la divinité : au centre, la vache d'Hathor avec, sur sa droite, une femme assise - Nebet-Hétépet ou Iousas -, symboles des relations amoureuses de la déesse ;
sous le museau de l'animal, le cobra Ouadjet, à tête de femme et, sur sa gauche, Sekhmet, à tête de lionne.
Datant de Basse Époque, d'une facture relativement grossière, ce monument taillé dans du quartzitemesure 67 centimètres de hauteur, 73 de longueur et 33 de largeur.
Vache, femme, lionne et serpent, tels furent les quatre "visages" d'Hathor que voulut nous signifier d'un seul coup d'oeil l'artiste qui le réalisa.
Du syncrétisme à l'état pur !
A Mariemont, ce sont d'autres types d'objets antiques, plus petits, plus délicatement ouvrés surtout, qu'Arnaud Quertinmont a choisis aux fins de nous initier aux différents aspects de La Lointaine et qu'il a regroupés dans la vitrine que nous venons de très rapidement apercevoir.
Véritables gloses réalisées dans différents matériaux, ils nous permettront de comprendre que ce mythe, que l'on pourrait également appeler de l'Éternel Retour, notion si chère à Nietzsche, ne traduit en définitive rien d'autre que l'arrivée récurrente de la crue annuellement souhaitée, à l'origine, j'y reviendrai, des fêtes du Nouvel An ...
Sans nous soucier d'exhaustivité, nous observerons, au long de nos rendez-vous à venir, quelques-unes des plus belles pièces de ce long meuble vitré.
Et aujourd'hui déjà, à gauche, parmi ces visages hathoriques dotés d'oreilles de vache ornant différents sistres dont deux sont la propriété de la Wallonie (à chaque extrémité du cliché ci-dessous)
je retiendrai plus spécifiquement pour vous celui du milieu, superbefragment de faïence d'à peine 10 centimètres de hauteur,
dans la mesure où il est très peu connu : il appartient en effet à un collectionneur privé qui, toutefois, l'avait déjà prêté à Mariemont pour l'exposition Pharaons noirs - Sur la piste des Quarante Jours qu'en 2007 Madame M.-C. Bruwier, Directrice scientifique, y avait organisée pour mettre en évidence les relations qu'à l'Antiquité entretinrent l'Égypte et la Nubie, toutes deux opportunément traversées par le même Nil, par le même fleuve nourricier.
Permettez-moi de très brièvement rappeler qu'un sistre était un "objet-bruiteur", sorte d'instrument de musique initialement en métal, symbole de la déesse Hathor, et dont les sons produits en l'agitant se devaient de l'apaiser.
Il était également porteur d'une connotation érotique avérée dans la mesure où sa caisse de résonanceen forme d'arceau - ici perdue - évoque le sexe féminin et que les mouvements impulsés aux tiges métalliques pour produire les sons symbolisent l'acte créateur. C'est d'ailleurs ce que nous avions déjà vu - d'où le verbe "rappeler" que je viens de sciemment employer -, dans le treizième et dernier épisode du roman de Sinouhé - que je vous avais proposé le 2 octobre 2012 -, avec la scène où, rentré au pays après un long exil en terres asiatiques, le héros est reçu par le roi Sésostris Ier et son épouse ; ainsi que dansmes quelques propos explicatifs à la note 2 de cette intervention d'alors.
Enfin, j'attirerai particulièrement votre attention sur les deux cobras dressés que vous distinguez de part et d'autre des oreilles qu'encadrent la typique coiffure hathorique : vous aurez remarqué que si celui de gauche sur la photo porte la couronne de Basse-Égypte, celui de droite arbore celle de Haute-Égypte. Détails évidemment non anodins : les débordements du Nil dont Hathor en tant que "La Lointaine" constitue, je l'ai ci-avant laissé sous-entendre, l'incarnation allégorique, n'apportent-ils pas chaque année l'abondance alimentaire aux deux parties du pays ?
Avec ces visages de femme aux oreilles de vache, nous avons d'ores et déjà croisé un des aspects de la déesse au sein même du mythe.
La semaine prochaine, le 3 septembre très exactement, je vous convie, amis visiteurs, si d'aventure nos déambulations au second étage du Musée royal de Mariemont vous tentent, à nous pencher sur un autre de ses avatars : celui de la fougueuse lionne Sekhmet.
A mardi ?
(Bruwier : 2007, 136-7 ; Desroches Noblecourt : 2000, 21-44 ; Quertinmont : 2013, 22)