[note de lecture] Catherine Weinzaepflen, "Ô l’explosion des poppies", par Anne Malaprade

Par Florence Trocmé

Ode au coquelicot, dont les noms — corn poppy, Feldmohn, rosolaccio, papavero —, en Europe tout au moins, distillent cette douceur attenant au sommeil ? Non, ici c’est d’explosion qu’il s’agit, comme si Catherine Weinzaepflen transformait ces pétales en autant de micro feux d’artifice qui, comme ce nom l’indique, distillent couleur, chaleur, bruit et éclat. Il sera donc question de passion, de sédition et de révolution discrètement induites par la découverte d’un pays. Ce dernier introduit à d’autres noms propres, des vocables inouïs, des syntaxes étranges. À d’autres solitudes aussi, des chants singuliers, des cruautés bizarres, de mouvants refuges : « inaltérable houle/est ma maison ».  
Déflagration, donc, plutôt que détonation : l’écrivain rend compte, sur deux strophes (des couples dizain-distique) habitant une même page déclinées en une vingtaine de tableaux, d’un voyage estival en Australie. On découvre des paysages, des animaux, des lieux, un océan qui font souffler/surfer sur sa langue de nouvelles perspectives. Dépaysement, en effet, qui devient aussi l’expérience de l’habitation mobile d’un paysage détonant qu’un corps dépouillé, sans doute plus léger, (ouverture : « on a volé mes sandales/je suis pieds nus »), sans doute plus fragile (« aujourd’hui je tombe/ne cesse de tomber », « me suis fracassée l’épaule »), découvre sans foi ni loi. L’écrivant oublie l’Europe, mais se souvient de ses écrivains (Sebald, Bachmann, Du Bellay…) et de ses musiciens (Ravel) pour certains eux-mêmes voyageurs. On retrouve Paris après une journée à survoler la terre, et il reste à constituer l’herbier, tâche d’autant plus difficile que les pétales des coquelicots ne se laissent pas arracher, et encore moins conserver. Au rouge floral succède le « jaune » : la couleur des murs parisiens, la nuance du papier, celle, peut-être, de l’image photographique et du souvenir. Rouge, jaune, les lueurs de l’explosion que l’écriture — idées et sensations, flux de rétention et de protension — réfléchit.  
Une déflagration, alors, qui touche au repère social que constitue ce temps que Ricoeur a pu qualifier de « monumental » dans Temps et récit. Retrouver la France, c’est se reconvertir à une temporalité qui est celle du travail, de l’écriture, de la conscience réflexive. Qu’est-ce que « remettre les pendules à l’heure » ? Ce n’est pas simplement un travail d’horloger. Après le temps intérieur de la durée, celui du voyage et de la traversée, celui qui pose, entre autres, la question de la liberté, ici incarnée par la silhouette d’un félin, vient celui d’une expansion du tempo descriptif et narratif : l’écriture est aussi le sens du temps, de la maturation et de l’éclosion des fleurs signes, ces indices qui, sur la page, constituent un bouquet en noir et blanc dont le lecteur peut approcher les intensités désormais arrêtées.  
[Anne Malaprade] 
 
Catherine Weinzaepflen, Ô l’explosion des poppies, Édition de l’Attente, 2013, 46 p., 5,60 euros. 
sur le site de l’éditeur