Déflagration, donc, plutôt que détonation : l’écrivain rend compte, sur
deux strophes (des couples dizain-distique) habitant une même page déclinées en
une vingtaine de tableaux, d’un voyage estival en Australie. On découvre des
paysages, des animaux, des lieux, un océan qui font souffler/surfer sur sa
langue de nouvelles perspectives. Dépaysement, en effet, qui devient aussi
l’expérience de l’habitation mobile d’un paysage détonant qu’un corps
dépouillé, sans doute plus léger, (ouverture : « on a volé mes
sandales/je suis pieds nus »), sans doute plus fragile (« aujourd’hui
je tombe/ne cesse de tomber », « me suis fracassée l’épaule »),
découvre sans foi ni loi. L’écrivant oublie l’Europe, mais se souvient de ses
écrivains (Sebald, Bachmann, Du Bellay…) et de ses musiciens (Ravel) pour
certains eux-mêmes voyageurs. On retrouve Paris après une journée à survoler la
terre, et il reste à constituer l’herbier, tâche d’autant plus difficile que
les pétales des coquelicots ne se laissent pas arracher, et encore moins
conserver. Au rouge floral succède le « jaune » : la couleur des
murs parisiens, la nuance du papier, celle, peut-être, de l’image
photographique et du souvenir. Rouge, jaune, les lueurs de l’explosion que
l’écriture — idées et sensations, flux de rétention et de protension —
réfléchit.
Une déflagration, alors, qui touche au repère social que constitue ce temps que
Ricoeur a pu qualifier de « monumental » dans Temps et récit. Retrouver la France, c’est se reconvertir à une
temporalité qui est celle du travail, de l’écriture, de la conscience réflexive.
Qu’est-ce que « remettre les pendules à l’heure » ? Ce n’est pas
simplement un travail d’horloger. Après le temps intérieur de la durée, celui
du voyage et de la traversée, celui qui pose, entre autres, la question de la
liberté, ici incarnée par la silhouette d’un félin, vient celui d’une expansion
du tempo descriptif et narratif : l’écriture est aussi le sens du temps,
de la maturation et de l’éclosion des fleurs signes, ces indices qui, sur la
page, constituent un bouquet en noir et blanc dont le lecteur peut approcher les
intensités désormais arrêtées.
[Anne Malaprade]
Catherine Weinzaepflen, Ô l’explosion des
poppies, Édition de l’Attente, 2013, 46 p., 5,60 euros.
sur
le site de l’éditeur