Nous avions oublié de
nous poser sept questions fondamentales. Puis vint Emmanuelle Pireyre. Après y
avoir longuement réfléchi, avoir envisagé les conséquences imprévisibles de
réponses trop simples pour être honnêtes, trop aisément vérifiables pour nous
convaincre, elle a mis toutes les chances de son côté avec un casting
extraordinaire : Claude Lévi-Strauss, Umberto Eco, Christine Angot, Russel
Banks, Léon Tolstoï, C.G. Jung, Friedrich Nietzsche, Louis de Funès, etc., y
ajoutant des échantillons représentatifs de la population mondiale – française
et italienne, groupes d’enfants, personnel de l’usine, propriétaires français,
espagnols, danois, américains, etc., artistes genevois, traders français… Elle
n’a pas ménagé sa peine pour tordre ces fameuses questions jusqu’à leur faire
rendre l’ultime goutte de vérité.
Au fait, sur quelles
interrogations se penche-t-elle ? Une liste n’est pas superflue :
« Comment laisser flotter les fillettes ? », « Comment
habiter le paramilitaire ? », « Comment faire le lit de l’homme
non schizoïde et non aliéné ? », « Le tourisme représente-t-il
un danger pour nos filles faciles ? », « Friedrich Nietzsche
est-il halal ? », « Comment planter sa fourchette ? »,
« Comment être là ce soir avec les couilles et le moral ? » Si,
après cela, on n’a pas fait le tour complet de la condition humaine, si vous
n’avez toujours pas compris comment on passe par la fourchette pour en arriver
à la fourche révolutionnaire, c’est à désespérer de tout.
Ce petit traité de
philosophie pratique et amusante met aussi en scène des personnages moins
connus. Par exemple Roxane, petite fille de neuf ans qui peint sans cesse un
cheval sans jamais s’intéresser à ce qui mobilise l’attention des autres
enfants, les spéculations financières ou l’anticipation des marchés. Ou l’homme
qui disait toujours « C’est
joyeux » sans jamais donner l’impression de le penser – il arrive
qu’on lui réplique : « Arrête
de dire tout le temps C’est joyeux.
On dirait que tu vas mal, on dirait que tu vas faire une dépression. »
Ou encore la personne, on ne sait pas très bien qui elle est, collectionneuse
de baisers.
Présenté ainsi, Féerie générale a l’air d’un sacré foutoir. Après tout, disons-le :
Féerie générale est un sacré foutoir.
Mais un joyeux foutoir qui, malgré le titre, contourne les idées générales pour
plonger au cœur de situations particulières proposées sur un ton primesautier
et avec, contre toute attente, un certain esprit de suite. Emmanuelle Pireyre
n’oublie rien en cours de route, même pas ce qu’on pensait qu’elle avait jeté
là pour ne jamais le reprendre plus tard. Les articulations sont discrètes mais
elles sont présentes. Et si, à la fin, on hésite à se dire certain des réponses
à donner aux sept questions fondamentales, une certitude nous habite : ce
fut un moment d’enchantement comme il s’en rencontre peu, un festival de petits
bonheurs qui, ajoutés les uns aux autres, en forment un grand.