Après la médiatisation surprise au tout début des eighties, puis le retour de bâton underground (l’épisode du terrain vague de La Chapelle en 1985-86), le hip-hop français connaît depuis la fin de la décennie une belle pente ascendante : question rap, les Lionel D, Lucien, EJM, Destroy Man, Jhonygo, NTM, Solo, Assassin, Soon E MC, Timides Et Sans Complexes, MC Solaar, Sages Poètes De La Rue, Princess Erika, Ministère ÄMER, Iam ont défriché, non sans difficultés, aidés en cela par Sidney, Olivier Cachin, Bernard Zekri, par les adeptes du smurf et du break, par les graffeurs, par les DJs (notamment Dee Nasty). Certains maîtrisent leur art, sont signées chez des majors, et vendent des pelletées d’albums de haute qualité, dont certains sont désormais des classiques. Les collectifs se multiplient, le Complot des Bas Fonds se constitue, même s’il sera peu prolifique en tant que tel, et réunit Fabe, Koma, Lady Laistee, Sleo, L.S.O., DJ Stofkry, DJ Kead, et Bo Prophet (Bobo Stara et Loss Lechar).
En 1996, j’ai 12 ans, c’est le collège, et c’est entre la fin de ma 6e et le début de ma 5e que je mets un pied dans le hip-hop. On se fournit en K7, on les refile à notre pote Vinz, qui copie ses disques et nous fait même parfois des compils pour les pauvres en K7. Il faut savoir qu’on était très peu instruit niveau rap, et qu’on ne suivait pas un artiste en particulier : on prenait tout ce qui venait ! Vinz m’a comblé, cette fois-ci : du NTM, du Raggasonic et quelques morceaux choisis de la compil de Jimmy Jay. Ce DJ a commencé en 1985, est devenu champion de France DMC en 1989, et a produit l’album de Claude M’Barali en 1991, notamment. On n’a pratiquement aucune info concernant les Bo Prophet, sinon qu’ils ont fait de rares titres, sur divers albums (Fabe) et compils, jusqu’en 1999. Voilà Les Kisdés est une attaque en règle et sans subtilité contre les flics, dans la droite ligne du conflit entre le rap et la maréchaussée depuis le début des nineties (Brigitte et Sacrifice de poulet du Ministère, Police de NTM à la Seyne-sur-Mer, Nique la Police de Cut Killer). Le beat est lourd, l’atmosphère sombrement jazzy, les lyrics hors-la-loi, un clin d’œil au Suprême et un duo de flows chaloupés/saccadés comme il faut : tout ce qui fait jouir un ado ! Le mot « kisdé » a plusieurs origines : soit le verlan déformé de flic « déguisé » (guise-dé, kisdé), ou une origine tangi déformée (« clisté » veut dire « flic »). Malgré les années, ce titre reste emblématique du diptyque nécessité/tentation de l’économie illégale de la jeunesse hip-hop, du ressentiment envers la police que ce mode de vie engendre, et de l’importance de l’imagerie gangsta du rap français mid-90s. Culte.
A l’écoute après le break
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Informations complémentaires
- Titre: Voilà les Kisdes
- Durée: 4min 50s
- Artiste(s): Bo Profet
- Album: Les Cool Sessions
- Label: Virgin
- Date de sortie: Mars 1996