La Rochelle demeure le rendez-vous mythique du PS en fin d'été, lieu de toutes les contradictions mais aussi de toutes les affirmations péremptoires. Cette mise en scène n'est d'ailleurs pas réservée aux socialistes, toutes les formations politiques passent par cette case, maintenant obligatoire, des " Universités d'été " tellement utiles aux journalistes ayant épuisé les " marronniers " des plages avant d'attaquer ceux des cartables.
Il n'est guère important de s'étendre sur les récitals Rochelais avec des partitions aussi opposées que celles d'une Taubira ou d'un Valls, non plus que sur la parfaite insipidité du premier secrétaire Harlem Désir. Comme on pouvait s'y attendre, Jean-Marc Ayrault fait semblant de siffler la fin de la récréation en ironisant sur les couacs ministériels : "chaque fois que le débat est sur la place publique avant même d'avoir été posé entre nous, c'est une faute contre notre collectif". "Je vois des clubs et parfois des miniclubs se créer. J'entends des prises de position (...) qui donnent quelques secondes de célébrité ou de visibilité à leurs auteurs" [...]des ministres qui recherchent "leur minute de célébrité". Selon lui, "il n'y a pas deux approches, deux lignes, deux politiques, mais qu'une seule ligne au sein du gouvernement qu['il] condui[t] : la ligne, c'est celle de l'efficacité".
Ainsi il a rappelé que l'objectif de la future réforme pénale devrait à la fois abolir l'automaticité des peines mais aussi éviter toute libération automatique de détenu. Comprenne qui pourra, mais il n'a toutefois pas évoqué la peine de probation annoncée la veille par Mme Taubira.
Le plus important semble ailleurs, à la recherche d'une motivation, d'une réelle volonté, d'un esprit " perdu " C'est à l'occasion d'un entretien accordé par Edgar Morin à Edwy Plenel qu'on approche des seules questions qui vaillent.Edgar Morin avait dialogué avec François Hollande lors de son élection en 2012. Un an après, il confie son inquiétude face à un Parti socialiste qui " a perdu ses idées " et, plus largement, à un monde politique aveuglé et somnambule parce qu'il vit " dans des idées obsolètes et inadéquates ". " On ne peut rétablir confiance et espérance que si l'on indique une voie nouvelle, lançait Edgar Morin en 2012 : " pas seulement la promesse de sortir de la crise, mais aussi de changer de logique dominante. "
Dans l'entretien qu'il accorde à Plenel on peut mesurer sa désillusion et notamment lire :
Le président Hollande, nourri dans le sérail du Parti socialiste, vient d'un parti qui a perdu sa pensée, celle qu'il avait hérité des grands réformistes du début du XXe siècle. Nous avons besoin d'une repensée politique et les obstacles à cette repensée politique sont énormes. Cela tient d'abord à l'éducation, pas seulement celle de l'ENA mais aussi l'éducation antérieure, du lycée, de l'université, où les connaissances sont compartimentées et dispersées alors qu'évidemment, on a besoin aujourd'hui d'une pensée complexe qui puisse relier les connaissances et affronter les problèmes. Manquent les capacités d'avoir une pensée globale sur les problèmes fondamentaux. [...] Or nos hommes politiques ne se cultivent plus, ils n'ont plus le temps, leur connaissance du monde est fournie par des spécialistes et des experts dont la vue est évidemment bornée à un domaine clos et il n'y a personne pour faire la synthèse. Ils vivent au jour le jour, pressés par l'événement. [...]
C'est un gouvernement composé par dosage de tendances alors qu'aujourd'hui, il faudrait une équipe qui ait, au moins, une passion commune, une vision et une visée communes. [...]
Quand on parle de croissance par exemple - laquelle est devenue un mythe contredit par la décroissance qui est un autre mythe -, le vrai problème, c'est de savoir ce qui doit croître et ce qui doit décroître. Faire croître une économie verte, renouveler toutes nos sources d'énergies qui deviendraient propres, faire décroître l'agriculture et l'élevage industrialisés, dépolluer et humaniser nos villes selon de nouveaux critères urbanistiques, etc. Bref il y aurait une grande politique économique à inventer qui correspondrait à ce que fut en son temps la relance du New Deal de Roosevelt. Ce qui signifie aussi que l'État doit restaurer un certain nombre de prérogatives qui sont les siennes et ne doit pas les abandonner au privé. [...]
Hélas, la nouvelle politique que je crois réaliste - et que j'ai définie en détail en 2011 dans mon livre La voie, puis dans Le chemin de l'espérance avec Stéphane Hessel -, elle est vue comme utopiste par ceux qui se croient réalistes alors qu'ils sont emprisonnés dans l'utopie de la compétitivité et de la croissance. [...]
L'opinion est hébétée, privée d'avenir, angoissée du présent, et une partie va de plus en plus se réfugier dans ce qu'elle croit être le passé, c'est-à-dire les racines nationalistes, pseudo-raciales ou religieuses. Même les grandes affaires de corruption ne provoquent pratiquement pas de réaction dans l'opinion comme si c'était devenu normal que la politique soit corrompue.[...]
L'instituteur pensait que la raison telle qu'il la croyait élucidait le monde entier alors qu'aujourd'hui, on se rend compte que la raison a non seulement ses limites mais ses perversions dans la rationalisation et dans la raison instrumentale. Et l'instituteur, il croyait qu'avec le progrès et la raison, la démocratie ne pouvait que s'épanouir, alors que nous voyons bien qu'il y a une crise de la démocratie. [...]Il nous faut retrouver les sources vivantes de la laïcité, celle qui n'a pas peur des religions. Toutes les sociétés ont leur religion. La société la plus technique, la plus matérialiste, la plus marchande, celle des Etats-Unis, c'est aussi la société la plus religieuse du monde occidental. [...]
Ma critique ne vise pas personnellement Hollande, mais elle vise l'ensemble de la classe politique qui est en panne d'idées régénératrices. [...] Bien sûr, au vu de la première année de présidence Hollande, on peut dire : voici un gouvernement d'hommes qui se sont laissés encercler par les intérêts dominants, qui n'ont pas pu les surmonter, qui n'ont pas été assez déterminés. Mais le nœud fondamental, c'est qu'ils ne pensent pas qu'une autre politique soit possible. Leur structure de pensée vit dans ces cadres donnés et, comme ils ne peuvent pas en sortir, ils pensent que toute autre proposition est utopique, aventureuse, impossible. Les pressions que subissent ces gouvernants et ces ministres, ils les subissent d'autant plus qu'ils ne sont pas habités par la pensée qu'on peut faire autre chose. [...]
Nous allons vers des événements qui ne peuvent que s'aggraver. Je ne pense pas seulement à la crise économique, mais à la conjonction sur le plan mondial de fanatismes multiples qui provoquent une série de guerres locales, au cancer du Moyen-Orient qui s'est élargi, à la spéculation financière qui continue à triompher... Je fais toujours la part de l'improbable qui est la part de l'espoir, du changement. Mais seule la prise de conscience des énormes dangers vers lesquels nous allons, nous France, nous Europe, nous humanité, provoquerait des sursauts salutaires. [...]
Ce qu'il faudrait c'est ranimer l'aspiration humaine à la liberté, à l'autonomie et à la communauté qui traverse les siècles et a inspiré socialisme, communisme et libertarisme. Nous sommes victimes du faux réalisme. Ce qui est cru comme réaliste par la classe politique et la classe dirigeante est utopique, et ce qu'ils jugent utopique peut, au contraire, être réaliste. Leur utopie c'est qu'on ne peut pas sortir du néo-libéralisme, de la croissance, de la compétitivité féroce.
La totalité de l'entretien avec Edgar Morin dans Médiapart