On peut certes considérer qu'Angela Merkel aurait pu faire preuve d'un peu plus de finesse dans l'organisation de son emploi du temps qui l'entraîne à commettre une erreur de communication.
Difficile cependant de donner des leçons de ce côté du Rhin quand notre précédent président de la République s'était illustré par son instrumentalisation répétée des commémorations au plateau des Glières ou encore sa présence imaginaire lors de la chute du mur de Berlin.
Cette polémique devrait plutôt faire réfléchir sur la place et le rôle des cérémonies commémoratives dans nos sociétés contemporaines. On ne peut pas sans cesse dénoncer une forme d'instrumentalisation politique de l'histoire et de la mémoire alors que ces manifestations sont justement l'apanage de la dimension politique dans l'acte commémoratif.
Au contraire, repenser les commémorations dans leur dimension politique et civique serait probablement l'un des meilleurs moyens de les moderniser et d'en renouveler les participants en attirant les nouvelles générations qui ne parviennent pas toujours à comprendre la signification des rassemblements actuels à la codification complexe et surannée.
Malgré les innombrables efforts du ministère de l’Éducation nationale qui ne cesse d'appeler les enseignants à encourager leurs élèves à participer aux cérémonies commémoratives, force est de constater que les rangs s'amenuisent d'année en année tandis que les survivants de la résistance et de la déportation disparaissent.
Nous avions déjà soulevé ce problème en 2011 à l'occasion du lancement du "Passeport pour la mémoire" par l'Office national des Anciens Combattants et Victimes de guerre (Onacvg) et la mairie de Saint-Maur-des-Fossés. A l'époque, je soulignais déjà la désaffection progressive des cérémonies par un jeune public qui connaît de moins en moins les évènements commémorés et qui ne comprend plus la signification et les codes de telles rencontres :
Cette initiative, aussi louable soit-elle, s’accroche désespérément aux attentes des plus anciens qui entretiennent une dimension quasiment sacrée autour des cérémonies commémoratives. Il serait peut-être préférable, quitte à faire grincer quelques dents chez les habitués, de réformer nos commémorations pour les rendre plus attractives, plus participatives et plus éclectiques.
Histoire, Mémoire et Société
Bien que la France soit restée très traditionnelle dans ce domaine (rassemblement, minute de silence, discours, pose d'une gerbe...), d'autres pays tentent progressivement d'instaurer d'autres formes commémoratives qui ne sont pas sans intérêt.
C'est le cas par exemple de l'Homomunument d'Amsterdam étudié par Régis Schlagdenhauffen dans le cadre de sa thèse sur la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme.
Ce lieux de mémoire est inauguré en 1987. Il est composé de trois triangles équilatéraux dirigés vers des lieux symboliques : la maison d'Anne Frank, le Nationaal Monument, le siège du COC, une association homosexuelle néerlandaise.
Chaque année s'y déroule une commémoration qui s'inscrit dans le cadre du Dodenherdenking, la cérémonie nationale qui commémore toutes les victimes néerlandaises du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale.
A l'Homomonument, la cérémonie rassemble des militaires de l'HSK (Fondation Homosexualité et Armée), des policiers en uniforme, des élèves de l'académie de police, une élue de la ville d'Amsterdam, le président du COC Amsterdam accompagné de membres de l'association et le public.
Plusieurs discours se succèdent avant d'opérer le dépôt de gerbes par les autorités locales, les association, les militaires, les policiers et les pompiers et des membres de partis politiques. Une attention particulière est accordée à la présence des forces de police qui ont été accusées de passivité face à la persécution des homosexuels et à qui il est désormais rappelé qu'ils doivent contribuer à leur protection.
A priori, cette cérémonie commémorative ressemble donc à celles que l'on peut observer en France... sauf qu'elle s'inscrit ici dans une temporalité plus large qui commence par la fête de la Reine le 30 avril et se termine par le jour de la Libération le 5 mai.
Lors de la fête de la Reine, l'esplanade mémorielle se transforme en lieu de sociabilité où est installé une buvette et où sont organisés des jeux. Au soir du jour de la libération du pays, le monument se transforme en piste de danse pour l'organisation d'un bal qui rassemble plusieurs centaines de personnes.
A l'exception de cette commémoration nationale, le monument est susceptible d'accueillir d'autres manifestations au cours de l'année (lors de la Gay Pride ou pour commémorer d'autres évènements liés à l'histoire gaie et lesbienne). Il est d'ailleurs aussi devenu un lieu inscrit dans le patrimoine de la ville où les habitants et les visiteurs peuvent venir s'installer pour manger une gaufre, acheter des souvenirs et se renseigner au Pink Point sur la vie gaie et lesbienne d'Amsterdam.
Les vidéos ci-dessus illustrent les différentes facettes de l'utilisation de ce mémorial qui n'a pas été pensé uniquement comme un lieu de recueillement, mais aussi comme un lieu de sociabilité ancré dans le quotidien et voué à évoluer avec la société qu'il accueille en nombre.
L'expérience n'est probablement pas transposable en l'état dans un pays comme la France mais pourrait néanmoins permettre aux acteurs publics et aux associations liées à la mémoire d'entamer une réflexion sur le renouvellement de l'acte commémoratif à l'échelle locale et nationale.