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Spike Lee et Kickstater portent-ils atteinte à la philosophie du Crowdfunding?
Publié le 25 août 2013 par Shadlaw @rachadlawSource www.lemonde.fr
Son plus grand succès a rapporté 184,4 millions de dollars (137,6 millions d'euros) de recettes dans le monde entier. C'était en 2006, le film s'appelait Inside Man. Aujourd'hui, le réalisateur Spike Lee vient de rassembler exactement 1 348 971 dollars par l'intermédiaire du site Kickstarter, afin de financer son prochain long-métrage. Les généreux donateurs s'engagent un peu à l'aveugle, puisque le metteur en scène de Do the Right Thing a été avare de détails sur le scénario. "Des humains victimes d'une addiction au sang. Drôle. Sexy et sanglant. Une histoire d'amour inédite (et ce n'est pas un remake de Blacula)", se contente-t-il d'expliquer sur la plate-forme de financement collaboratif. La démarche de Spike Lee semble aller à l'encontre de la philosophie du crowdfunding (le "financement par la foule") en général, et de Kickstarter en particulier. Le site, qui est une entreprise à but lucratif et prélève un pourcentage sur les sommes rassemblées, a été fondé pour mettre le pied à l'étrier à de jeunes entrepreneurs, dans le domaine de la culture ou de l'innovation technologique.
Ceux-ci se fixent un objectif de financement qui peut aller de quelques centaines à plusieurs millions de dollars, s'engageant à rembourser les contributeurs s'il n'est pas atteint dans les délais. En échange des sommes versées, les participants reçoivent des produits liés au projet. En quatre ans d'existence, Kickstarter a drainé 753 millions de dollars, qui sont allés à 110 841 projets, dont 47 158 ont atteint leur objectif. Spike Lee s'était donné jusqu'au 21 août pour réunir 1,25 million de dollars, il ne lui reste donc plus qu'à réaliser ce mystérieux film.¸ Dans le domaine des arts, ce mode de financement semblait d'abord destiné aux obscurs, à ceux et celles qui se tiennent à l'écart des grands circuits de financement, ce qui n'est pas précisément le cas de Spike Lee. Celui-ci a profité de sa campagne sur le site de Kickstarter pour justifier sa démarche. "J'ai dû mener une campagne pré-Kickstarter pour arriver à faire mon premier long-métrage, She's Gotta Have it, en 1985, déclare-t-il. Le budget était de 175 000 dollars. J'ai dû faire une autre campagne pré-Kickstarter pour terminer Malcolm X en 1991, quand les producteurs ont été à court d'argent." A l'époque, Lee avait fait appel à Prince, Janet Jackson, Oprah Winfrey, Michael Jordan ou Magic Johnson Aujourd'hui, la quasi-totalité des mécènes du nouveau Spike Lee Joint (c'est ainsi qu'il désigne ses projets) sont anonymes, à l'exception de Steven Soderbergh. Le réalisateur de Sexe, mensonges et vidéo, qui vient d'abandonner le cinéma (il prépare actuellement une série télévisée), a apporté une contribution de 10 000 dollars, ce qui lui permettra de passer une journée sur le plateau (pour cinq dollars, on reçoit un autocollant autographié de la main de Spike Lee). Steven Soderbergh est un opposant farouche aux méthodes financières et créatives actuellement en vigueur à Hollywood et son soutien public à Spike Lee peut être pris comme un pied de nez à une industrie qui ne parvient plus à accompagner non seulement les nouveaux talents, mais aussi les projets hors norme de créateurs confirmés. De plus en plus de mécènes Comme de nombreux autres cinéastes, la carrière de Spike Lee oscille entre de gros projets produits avec l'argent de studios américains ou européens et des films aux budgets plus modestes mais, paradoxalement, plus difficiles à financer. Le réalisateur a lancé sa campagne sur Kickstarter alors qu'il terminait le remake du film sud-coréen Old Boy, qui sera distribué par Universal hors des Etats-Unis (d'ailleurs, pour une contribution de 200 dollars, on recevra une affiche d'Old Boy signée des mains de Spike Lee et de l'acteur Josh Brolin). Le succès de la campagne de Lee intervient après que le comédien Zach Braff (interprète principal de la série "Scrubs") a réuni plus de 3 millions de dollars pour réaliser son second long-métrage et que les producteurs de la série "Veronica Mars" ont mobilisé, au printemps, plus de 5 millions de dollars pour la réalisation d'un film, alors même qu'ils disposaient déjà de la garantie d'être distribués par la Warner. Aux premiers temps de Kickstarter, l'économie des projets cinéma était bien différente. Il s'agissait le plus souvent pour des cinéastes inconnus de réunir les quelques milliers de dollars nécessaires à la réalisation d'un court-métrage. Les tenants de cette économie reprochent aux célébrités qui recourent au crowdfunding d'assécher les ressources dont les débutants ou les obscurs ont besoin. Spike Lee leur répond : "J'attire l'attention de certains de mes contributeurs sur Kickstarter alors qu'ils n'en avaient jamais entendu parler, c'était aussi vrai de "Veronica Mars" et du film de Zach Braff. La musicienne britannique Amanda Palmer (qui a réuni 1,2 million de dollars pour enregistrer un album, alors que son objectif affiché était de 100 000 dollars) ou l'artiste Spencer Tunick (qui photographie des foules dans le plus simple appareil dans des lieux inattendus, en l'occurrence la mer Morte) ont aussi eu recours avec succès au crowdfunding. A une époque où les multinationales culturelles sont dirigées par les comptables et où de plus en plus de mécènes (individus ou entreprises) se conduisent dans les arts comme ils le font en affaires, avec l'oeil rivé sur le résultat annuel, le crowdfunding ouvre quelques espaces de liberté aux créateurs, fussent-ils des célébrités.