Si le lieu saint est périlleux à atteindre il comporte un centre spirituel qui fait toute sa valeur, à l'instar de « l'omphalos », le nombril du monde, de Delphes (lieu symboliques et géographique d'où partaient les fils et trajets de l'empire maritime grec).Ces centres furent souvent des villes, comme Rome et bien sur Jérusalem.
L'image d'un centre ne peut manquer, sous une forme ou sous une autre, dans le complexe mythique et religieux du labyrinthe (peut-être sous une forme oublié et refoulée dans les jeux labyrinthiques « profanes »). Centre sacré, lieu du « mystère », il peut être la chambre où vivrait le dieu ou le monstre, comme aussi le lieu géographique d'intersection entre la Terre et les Enfers. Il est au point d'arrivée qui peut se situer en plaine comme chez les Egyptiens, ou sur la cime d'une montagne cosmique, «point le plus haut de la Terre » (chez les Hindous et souvent aussi dans les contes populaires), ou en bas, dans une caverne ou dans un lieu souterrain « liminal » entre lumière et obscurité, entre vie et mort (dans de nombreux récits religieux ou populaires
Suivant le tracé de voies compliquées dessiné par un destin crypté, la vie humaine est donc proposée comme un pèlerinage vers le centre. Un pèlerinage initiatique : le non initié dans cette perspective, ignorerait le sens de son labyrinthe d'existence, la fonction des rencontres et des obstacles. Il les considèrerait comme des phénomènes externes dus au hasard ou à sa propre imagination : seul celui à qui il est accordé de lire et d'interpréter les combinaisons chiffrées du labyrinthe apprendrait à connaître la direction et la signification du voyage, son sens : et celui-là seul saurait prendre pleinement conscience de la valeur spirituelle du parcours.
Dans sa fonction imaginée par les religions ou les ésotérismes, le centre du labyrinthe serait le siège d'une mutation ,le passage d'une vie à l'autre, du monde des apparences à celui des essences, de la bestialité charnelle (le Minotaure) à l'humanité spiritualisée. Un double pèlerinage, physique, celui du voyage à la Jérusalem terrestre ou dans d'autres sanctuaires ; l'autre, spirituel, celui du chemin de l'âme, semé d'embûches, de tribulations, de monstres, de tentations et de chutes, pour arriver en état de grâce dans la Jérusalem céleste. L'homme serait donc appelé à une confrontation avec lui-même au cœur même du labyrinthe, et à un duel avec lui-même. Celui qui sort du labyrinthe ne serait pas le même que celui qui y est entré. D'ailleurs, la sortie est souvent très facile, même dans les labyrinthes végétaux du XVIIème siècle; ce n'est qu'une simple formalité, car les deux événements importants sont la marche le long des sentiers tortueux, de l'entrée jusqu'au centre, et le séjour au centre .Dans les religions à mystères cette nouvelle naissance était l'initiation; dans la vie chrétienne, c'est le baptême. C'est pourquoi le baptistère, les fonts baptismaux se trouvent au centre du labyrinthe, de l'enchevêtrement, du « lieu de Jérusalem ». Lorsque ce centre a un dessin circulaire, il rappelle la forme de la matrice où se développe l'individu pour sa naissance. Lorsqu'il est hexagonal, c'est que dans la symbolique antique et chrétienne qui en est l'héritière, l'hexagone est le chiffre de la mort... Octogonal, il symbolise la résurrection etc.
« II est un centre, qui peut bien se situer sur une montagne, qui dans son essence comporte toujours un antre, une voûte, une caverne. Le templum, avant d'être symboliquement découpé dans le ciel augurai, est le rectangle, l'enceinte magique que la charrue trace et creuse sur le sol.(ce que fait Romulus pour Rome) Si la notion de centre intègre rapidement des éléments mâles, il est important de souligner ses infrastructures obstétricales et gynécologiques : le centre est nombril, omphalos, du monde. Et même les montagnes sacrées ont droit, comme Gerizim et le si bien nommé Tabor, à l'épithète de « nombril de la terre ». Le paradis des Sémites, comme plus tard la Jérusalem ou le Golgotha, étaient eux aussi nombrils mystiques du monde s. C'est pour ces raisons utérines que ce qui sacralise avant tout un lieu c'est sa fermeture : îles au symbolisme amniotique, ou encore forêt : dont l'horizon se clôt lui-même. La forêt est centre d'intimité comme peut l'être la maison, la grotte ou la cathédrale. Le paysage clos de la sylve est constitutif du lieu sacré. Tout lieu sacré commence par le « bois sacré ».
Certains ont raffiné sur ce symbolisme du centre, se demandant quelle différence sémantique existait entre les figures fermées circulaires et les figures angulaires. Bachelard fait une bien subtile nuance entre le refuge carré qui serait construit et le refuge circulaire qui serait l'image du refuge naturel, le ventre féminin. Et quoique très souvent, comme dans le Mandala, le carré soit inextricablement joint au cercle, il semble cependant que ceci doit être prise en considération . Les figures fermées carrées ou rectangulaires, font porter l'accent symbolique sur les thèmes de la défense de l'intégrité intérieure. L'enceinte carrée,est celle de la ville, c'est la forteresse, la citadelle. L'espace circulaire est plutôt celui du jardin, du fruit, de l'œuf ou du ventre, déplace l'accent symbolique sur les voluptés secrètes de l'intimité. Il n'y a guère que le cercle ou la sphère qui, pour la rêverie géométrique, présente un centre parfait. Arthus semble avoir pleinement raison de noter que « de chaque point de la circonférence le regard est tourné en dedans. L'ignorance du monde extérieur permet l'insouciance, l'optimisme... ». L'espace courbe, fermé et régulier serait donc par excellence signe de « douceur, de paix, de sécurité », et le psychologue insiste sur ce caractère « en boule » de la « pensée digestive » de l'enfant . Certes il faut bien se garder de confondre cette sphéricité avec la perfection parménidienne. La sphéricité, ici, est plutôt la puissance emblématique du rond, le pouvoir de centrer l'objet, de vivre « une rondeur pleine », et c'est à cette rotondité que la phénoménologie de Bachelard s'intéresse à travers des visions aussi diverses que celle de Jaspers, Van Gogh, Joe Bousquet, La Fontaine, Michelet ou Rilke…. »Gilbert Durand.Structures anthopologiques De L'imaginaire Dunod
Les labyrinthes mystiques s'effaceront à partir de la Renaissance. La Raison humaniste, redécouverte chez les auteurs anciens, s'opposera à la foi dans le discours dominant. La ligne droite devient le critère du vrai ; la transparence s'installe comme exigence éthique ; l'une et l'autre s'imposent comme idéaux esthétiques. Sur mer, la découverte du Nouveau Monde, même si elle est le résultat d'une erreur, marque la fin du voyage-errance et du labyrinthe des côtes, illustré par Ulysse et les Argonautes. Les marins d'Ecosse et de Suède avaient pour habitude de passer par un labyrinthe de pierres sur le rivage, avant de monter à bord de leur vaisseau, afin de conjurer les dangers de la mer en mimant un voyage au long d'un chemin en dédale. Le marin cherche maintenant à emprunter le trajet le plus court, le plus économique, le plus rectiligne, et, pour cela, doit s'éloigner des côtes, ce que permettent enfin sextant et chronomètre. Dorénavant, le raisonnable va chasser le courbe le complexe, sera divisé en unités simples et évidentes par Descartes. On réfute l'obscur, le trouble, le tourbillon, la spirale, l'écoulement, le multiple, l'ambigu, le redondant. Le sage selon les élites doit rechercher ou réinventer la ligne droite, la raison, le progrès, le transparent, l'unique, le logique, le certain. La ligne droite triomphe aussi dans la plupart des formes d'expression artistique cour à compter de la Renaissance : en architecture et en peinture avec la perspective, en littérature avec le drame classique, les prescriptions de Malherbe et Boileau, comme en musique avec Haydn et Haendel.
Significatif à ce propos est ce passage du discours de la méthode où Descartes marque la limite entre L'ancien Et Le Nouveau. Marcher droit devient la marque de la raison dans une pensée de l'ordre et de la mesure. Dans Le Discours De La Méthode, Descartes recommande aux voyageurs égarés en quelque forêt ,(c'était une des figures du labyrinthe) de ne pas « errer en tournoyant tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, ni encore moins s'arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu'ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons (...). Car, par ce moyen, s'ils ne vont justement où ils le désirent, ils arriveront vu moins à la fin quelque part où, vraisemblablement, ils seront mieux que dans le milieu une forêt»
Il existe un marqueur culturel de ce passage et de la transformation du sens de la métaphore : on n'est pas encore dans une symbolique de la transgression mais déjà en présence de la figure d'un errant qui n'est plus celui des pèlerinages spirituels, qui n'est plus la recherche des chevaliers à la poursuite du Graal, tous signes que la quête labyrinthique avait un centre et une finalité.il s'agit ici de la figure de Don Quichotte.
Un homme d'âge mûr décide un beau jour de quitter tout ce qui faisait sa vie jusque-là pour s'en aller courir les routes, apparemment au hasard, en tous sens, mais en réalité à la poursuite d'un but bien défini, qui est simplement de mettre en pratique ce qu'il a lu dans les livres de chevalerie. Imiter les chevaliers à la poursuite du Graal ou d'une « Dulcinée ». Il lui arrive des aventures dont la plupart tournent mal, mais ni les souffrances qu'il endure, ni les moqueries, les déconvenues ou les coups, ne le détournent du dessein qu'il a formé, (bon et serviable ,il devient fanatique dès lors qu'on contredit le Livre). Pour accomplir cette mission qui l'emporte à ses yeux sur toutes les autres tâches humaines, Don Quichotte renonce ce qu'il possède, et consent sans hésiter au sacrifice de sa personne et de sa vie. Intraitable, impossible à convaincre, sourd aux enseignements de l'expérience, infatigable et mélancolique, il est promis à une continuelle défaite, mais ne se décourage pas, car au fond il n'espère rien, sachant bien que son projet est aussi irréalisable que nécessaire-..
Les mots ne sont plus les choses : les fondements de la pensée médiévale autour de la ressemblance l'imitation, l'analogie, la similitude, la copie (on parcourait le labyrinthe des églises à la place de pélerinages réels), font place à une problématique de la représentation qui pose la question de son rapport au réel. Le livre n'est plus la Vérité. Don quichotte ressemblerait à bien des égards à l'Odyssée d'Ulysse par les aventures, les embuches, le parcours sinueux mais cette ressemblance est fausse. Les grecs naviguaient dans une mer connue parce qu'enchantée. Les navigateurs antiques face à l'angoisse de l'inconnu bénéficiaient du secours mythique et littéraire des dieux et des héros, tels Ulysse et Jason. Au tournant de la Renaissance, les ordres divins et humains ne coïncident plus comme chez Homère, où tout prend sens par l'intervention des dieux ou, comme dans les romans bretons. Ulysse revient de Troie (forteresse labyrinthique aux sept murailles, un des centres mythiques du monde antique) et retrouve Penelope après « un beau voyage ». Don quichotte sombre dans la folie et brule ses livres.
Un autre incendie pourrait présenter un sens similaire, celui du Nom De La Rose D'Umberto Eco que l'auteur place à une époque intermédiaire, le XIVe siècle. Son héros Guillaume De Baskerville, moine franciscain, donc errant, annonce déjà le monde à venir. Pour lui le savoir n'est pas seulement le Livre mais les signes sensibles de l'expérience, traces ou indices(au sens policier) dont il faut retrouver le rapport au réel par une enquête qui est d'ailleurs la traque d'un meurtrier ( intégriste de la vérité) .Guillaume est confronté au monde clos d'un monastère bénédictin, qui conserve les livres, les recopie sans fin mais les tient enfermés dans un labyrinthe forteresse, « L'Edifice » dont le centre recèle un livre interdit et qui tue , parce que contredisant le dogme. Le savoir y est concédé avec parcimonie à quelques initiés et l'hérésie guette. La quête du livre sera vaine ; Guillaume parviendra pourtant au centre pour trouver livre et meurtrier mais ce sera pour assister impuissant à l'embrasement final du labyrinthe /bibliothèque. Marthe Robert, dans un ouvrage consacré à Don Quichotte et Kafka, précise ainsi le passage entre L'ancien Et Le Nouveau.
« Ici, le voyageur passe du réel à l'imaginaire sans transition, sans effort, par une opération magique, quoique rationnelle, qui supprime son itinéraire et ôte par conséquent à ses jugements une bonne part de leur gravité. Là, il suit un chemin où sa simple apparition provoque un conflit grandiose d'où ni l'imaginaire qu'il force à descendre dans la vie, ni le réel qu'il ensorcelle avec son rêve ne sortent tout à fait indemnes; un chemin labyrinthique et raboteux où il ne rencontre pas l'extraordinaire, pas de géant, pas d'îles flottantes, pas de monstres, mais l'incompréhensible et le familier, l'énigme du schéma quotidien, le mystère jamais conté du connu. Sur cette route où il est seul, quoiqu'elle grouille de monde, Don Quichotte a une affaire plus pressée que la raillerie : il questionne, regarde, décrit; désespéré espérant toujours, il fait avec entrain, quoique sans illusions, le tour impossible des choses et des mots…
« car, pour lui, ce qui est ne va pas de soi, c'est un fouillis d'apparences dont le dessin premier est méconnaissable, un écheveau embrouillé de possibilités, de causes et d'effets, de croyances et de jugements dont les fils s'entrecroisent et se nouent, quand ils ne sont pas déjà cassés. Dans ce monde compliqué où l'unanimité de la foi, rompue depuis longtemps, n'est plus qu'un souvenir dévotement entretenu par la culture et les livres, il faut tenir les belles certitudes homériques pour frivoles ou mensongères, la conformité, pour paresse d'esprit et conformisme, le beau, le vrai, le juste, pour des lieux communs ou d'hypocrites façons de parler. L'ordre n'en reste pas moins urgent à dire, mais à cause de cette confusion qui donne encore le change sur sa solidité, on ne peut en toute bonne foi l'énoncer simplement, il est tout juste possible de le forcer à se démasquer, en décrivant à sa place le chaos et l'anarchie. jusqu'au moment où le Chevalier, exténué par les horions qu'il a reçus de tous côtés, rompt le cercle infernal des répétitions en quittant à la fois le Livre et la Vie ».
« Après avoir échoué en tout, Don Quichotte en vient à se renier et sombre finalement dans la mélancolie. C'est que les questions qui l'ont préoccupé toute sa vie sont insolubles, comme son Livre est sans conclusion. Une chose toutefois est sûre : l'épopée est devenue impossible aujourd'hui sans imposture, car l'ordre épique, jadis relié à un ordre réel du monde, ne tient plus au présent que par des fils ténus, à demi ou complètement cassés. Il n'y a pas de littérature « éternelle », mais seulement un travestissement du temporel en éternel, du relatif en absolu, du fait particulier en généralité, c'est-à-dire un mensonge d'autant plus grave qu'il est habile à se dissimuler. En soi, le désir d'éternité est indestructible et parfaitement respectable, mais il devient suspect s'il n'a le courage de se montrer franchement avec son désarroi et son impuissance, ses peurs et ses regrets infantiles. La vraie réconciliation de l'Ancien et du Nouveau, qui est en un sens celle du désir du cœur et de la lucidité de l'esprit, de l'enfance et de l'âge adulte, Don Quichotte la poursuit avec une grandeur comique, à travers les péripéties de son odyssée, en sachant bien, au fond, qu'il mourra avant qu'elle ait eu lieu ». Marthe Robert. L'ancien et Le Nouveau. Payot.
La pensée philosophique va désigner désormais et péjorativement ce qu'elle nomme « pensée labyrinthique », un discours qui serpente, revient sur ses pas, ne progresse pas par une succession de démonstrations logiques. Ils le dénoncent comme une « pensée à la Aristote ». Dans toutes les langues d'Europe, le mot labyrinthe revient comme synonyme de complexité artificieuse, d'obscurité inutile, de système tortueux, de forêt impénétrable. « Clair » devient synonyme de logique. Le mot « labyrinthe » n'est lui-même apparu en français , en 1418, que pour désigner d'abord un inextricable enclos de bois coupés ;en 1553, chez du Bellay ,il ne signifie plus que complexité, complication, enchevêtrement, confusion ; on ne l'emploie que pour désigner une ruse impossible à dénouer.
Au sortir du Moyen Âge, la théologie opère la même révision. Le labyrinthe n'est plus la glorieuse métaphore de la destinée humaine, mais le lieu maudit de la luxure, de l'erreur, du péché, antre du Mal. Les voies sinueuses - labyrinthiques - du péché s'opposeraient en chacun de nous à la voie rectiligne de la vertu. Et l'Église enjoint à l'humanité de refuser d'entrer dans les méandres inextricables et tortueux du paganisme, pour choisir de cheminer sur une voie simple, droite, conduisant à la perfection voulue par Dieu…La nature de l'homme est dénoncée comme naturellement labyrinthique et mauvaise. L'Enfer lui-même est décrit comme un labyrinthe : en châtiment de ses fautes, le pécheur risque de se retrouver emprisonné pour l'éternité dans un dédale dont il ne pourra être extirpé. .Les hommes d'Église comprennent le parti qu'ils peuvent tirer du plan en lignes droites et de la transparence des cathédrales. Physiquement, à partir du XIVe siècle, les labyrinthes commencent ainsi à s'effacer du sol des églises. On en organise même parfois la destruction systématique : on les gratte, on les descelle, on les recouvre de marbre blanc On les détruit et, s'ils restent en place, ce n'est plus que comme des prétextes à jeux dérisoires. Avec la fin des pèlerinages et raréfaction des processions, on les oublie sous des tapis ou des sièges.
Le labyrinthe disparait pour renaitre, mais dans une autre logique et sous la forme du divertissement. Dans un univers qui entend faire triompher raison et logique il prend la forme des jardins et des forets domestiquées.
Dans l'inconscient collectif, la forêt faisait jusque-là figure d'ennemie, de repaire du Mal, du danger, où vivaient dragons et sauvages, voleurs et lépreux ; refuge des bandits et des gueux, des nomades menaçant les sédentaires. Le labyrinthe de jardin vient la domestiquer, rassurer le puissant, mettre en ordre la menace, transformer la nature hostile en jeu maîtrisé. On peut jouer à s'y perdre sans autre risque que le frisson du simulacre .
Pour avoir visité récemment le jardin de Villandry(reconstitution d'un jardin à la française du XVIe siècle),j'ai été frappé par la cohabitation de trois lieux qu'on peut parcourir successivement : l'ordre rigoureux et l'ordonnancement du jardin, comportant aussi tout un symbolisme du Tendre ;l'existence d'un petit labyrinthe de charmille, réminiscence du parcours sacré et qui ne pose aucune difficulté ; des bois « sauvages », autour et qui jouxtent l'ensemble. Au XVe siècle, on commence donc à aménager des labyrinthes dans les parcs des châteaux, lieux du nouveau pouvoir. Ils se présentent principalement sous trois formes : le dessin est tracé au ras du sol, par des massifs de fleurs et d'herbes; il est constitué par des buissons bas et s'élève à faible hauteur; c'est enfin, une véritable construction de murs végétaux; de couloirs d'arbres aux troncs élancés, dépassant la taille d'un homme qui déambulerait dans les allées. En Angleterre il prend la forme du turf, terre de prairie recouverte d'une herbe courte et fine, fréquemment tondue et prend le nom de Maze(dérivé de s'étonner).
« Ces paysages artificiels existaient déjà dans le monde celte ; dans les camps de soldats romains, ils servaient de parcours d'entraînement et de protection nocturne. Le chemin en était bordé par une tranchée, un muret de terre ou une rangée de buis. Au XVe siècle, on commence à en aménager dans les parcs des châteaux, lieux du nouveau pouvoir. Chaque grand seigneur en veut un chez lui, comme si tout pouvoir avait aussi besoin d'afficher son propre labyrinthe pour être reconnu comme légitime par le commun des mortels ; comme si la complexité de l'énigme était signe de la sophistication de ses propriétaires ; comme si la capacité à piéger le Mal était propre à rassurer les sujets du prince.
Henri II Plantagenêt en aurait fait édifier un devant son château de Woodstock, il permettait de rejoindre sa maîtresse Rose-mond Clifford. La reine Éléonore d'Aquitaine, découvrant le passage secret reliant le chemin du labyrinthe à la chambre de la belle, la tua.
Charles V de France se fait construire une maison de Dédale dans les jardins de Saint-Paul, à Paris, et François Ier un dœdalus dans le parc Louise-de-Savoie. René d'Anjou en fait aménager un dans le parc du manoir de Bauge. Charles-Quint, empereur nomade, aime à en avoir dans les parcs de tous les châteaux où il séjourne, de Bruxelles à Séville, de Vienne à Prague. D'innombrablesseigneurs se font représenter avec un labyrinthe sur leur pourpoint, signe d'appartenance mystique. En 1583, à Anvers, Hans Vredeman de Vries dessine, dans son livre Historia viridiarorum formœ, une série de jardins labyrinthiques qu'il a pu observer dans l'Europe entière. Mme de Sévigné en fait aménager un aux Rochers, sa résidence de Bretagne. Buffon en conçoit un pour le Jardin des Plantes. L'architecte Gabriel en dessine un pour Choisy-le-Roi ; le jardinier Le Nôtre pour Chantilly; Mansart pour Versailles [49], animé de vingt-neuf statues hydrauliques illustrant les fables d'Ésope", que Marie-Antoinette fera détruire en 1774. On en aménage aussi en Grande-Bretagne, à Arley Hall, à Somerleyton Hall, à Belton House ; celui de Swainton était connu comme la « course de Robin-des-bois » ; celui de Sneinton, dans le Nottinghamshire, détruit en 1797, était particulièrement célèbre, et celui de Hilton, dans le Hunting-donshire, créé en 1666, existe toujours ; enfin, celui de Hampton Garden, construit en 1690, décrit par Jérôme K. dans Trois hommes et un bateau, reste le plus célèbre. » SANTARCANGELI Paolo Le Livre des Labyrinthes. Gallimard.
Ces jardins vont triompher à l'époque baroque. Le goût scénographique s'impose partout, depuis les façades des églises jusqu'à la vie quotidienne, de la vie de cour aux processions solennelles ;partout règne la fameuse ligne serpentine. Conformément à ce goût, le dessin des labyrinthes tend à rompre avec la traditionnelle simplicité et la géométrie linéaire du tracé. Le parcours se plie en des courbes fantaisistes et s'orne de statues, de vases, de bancs, de fontaines, de symboles allégoriques de toutes sortes. Au centre, qui devient de moins en moins « mystique » — tout au moins à la surface de la conscience — trouvent place les sujets les plus étranges et disparates : un petit temple, une pergola couverte de fleurs, une petite coupole sur colonnes, un banquet d'amour, des figures allégoriques.
Ces tracés vont bientôt se combiner avec les jeux amoureux, Labyrinthes D'amour ou Carte Du Tendre, alors que le mariage réel reste parcours simple et droit, affaire de familles et de dots. L'objet du désir de l'amoureux ne peut être atteint que par mille ruses, au cours de mille détours imposés par les codes sociaux : manipuler une duègne ou un confesseur, éloigner un mari, un père ou un tuteur, corrompre des domestiques et, lorsque la belle est à portée de voix et de vue, faire savoir sans dire, dire autre chose pour désigner, parader pour arriver au paradis, comme le font toutes les espèces vivantes - cela a été dit plus haut - et sans cesse, être astucieux et subtil. D'ailleurs l'essentiel est de différer l'objet du désir au dépens de son accomplissement : ainsi la Princesse de Clèves. L'image du labyrinthe d'amour sera ainsi présente dans la pensée pétrarquisante des XVe et XVIe siècles. «En mille trois cent vingt sept, précisément, à la première heure, le six avril, dans le labyrinthe j'entrai et ne sais en sortir». Ainsi commence l'histoire de l'amour de Pétrarque pour Laure.
Au XIXe siècle, le glissement continue : les labyrinthes deviennent innocents passe-temps, distraction populaire. D'abord dans les fêtes foraines où ils connaissent aussitôt un immense succès, ils remplissant une fonction voisine de celle des manèges animaliers : apprivoiser des masses transplantées dans les banlieues ouvrières en leur donnant à voir ici des simulacres d'animaux, là des ersatz de forêts.
À la fin du XIXe siècle, le labyrinthe n'est plus présent que dans les jeux de société et les attractions foraines. Il n'est plus qu'un ironique défi ludique. Or en devenant jeu, il change encore de sens. Tout jeu s'oppose au sérieux de l'existence auquel il a toujours affaire pourtant, et dont il symbolise d'une certaine façon l'être au monde. Il n'y a plus de « nombril du monde » ; il ne s'agit plus d'atteindre un centre, de rechercher un salut. Moins de providence, de destin, de sens de l'histoire mais un arbitraire auquel chacun doit faire face et s'adapter. Le jeu va justement combiner le hasard et de la nécessité.
« Le jeu, de nouveau, apparaît comme une notion singulièrement complexe qui associe un état de fait, une donne favorable ou misérable, où le hasard est souverain et dont le joueur hérite par heur ou malheur, sans qu'il y puisse rien, une aptitude à tirer le meilleur parti de ces ressources inégales, qu'un calcul sagace fait fructifier et que la négligence dilapide, enfin un choix entre la prudence et l'audace qui apporte une dernière coordonnée: la mesure dans laquelle le joueur est disposé à miser sur ce qui lui échappe plutôt que sur ce qu'il contrôle…
Tout jeu est système de règles. Celles-ci définissent ce qui est ou qui n'est pas de jeu, c'est-à-dire le permis et le défendu. Ces convenions sont à la fois arbitraires, impératives et sans appel Elles ne peuvent être violées sous aucun prétexte, à peine que le jeu prenne fin sur-le-champ et se trouve détruit par le fait même.
Car rien ne maintient la règle que le désir de jouer, c'est-à-dire la volonté de la respecter. Il faut jouer le jeu ou ne pas jouer du tout. Ce qu'on appelle jeu apparaît cette fois comme un ensemble de restrictions volontaires, acceptées de plein gré et qui établissent un ordre stable, parfois une législation tacite dans un univers sans loi.
Le mot jeu évoque enfin une idée de latitude, de facilité de mouvement, une liberté utile, mais non excessive, quand on parle de jeu d'un engrenage ou quand on dit qu'un navire joue sur son ancre. Cette latitude rend possible une indispensable mobilité. C'est le jeu qui subsiste entre les divers éléments qui permet le fonctionnement d'un mécanisme. D'autre part, ce feu ne doit pas être exagéré, car la machine serait comme folle. Ainsi cet espace soigneusement compté empêche qu'elle ne se bloque ou ne se dérègle. Jeu signifie donc la liberté qui doit demeurer au sein de la rigueur même, pour que celle-ci acquière ou conserve son efficace. D'ailleurs, le mécanisme entier peut être considéré comme une sorte de jeu en un autre sens du mot que le dictionnaire précise de la façon suivante : « action régulière et combinée des diverses parties d'une machine. » Une machine, en effet, est un puzzle de pièces conçues pour s'adapter les unes aux autres et pour fonctionner de concert Mais à l'intérieur de ce jeu, tout d'exactitude, intervient, qui leur donne vie, un jeu d'une autre espèce. Le premier est strict assemblage et parfaite horlogerie, le second élasticité et marge de mouvement. »R.Caillois.les Jeux et les Hommes.Foilio.Essais.
Il faut faire ici une place particulière à cette figure ancestrale du labyrinthe qu'est le Jeu De L'oie.
Le jeu de l'oie, (Giinzespiel en allemand, game of goose en anglais) se joue aux dés sur un parcours en spirale qui représente le chemin de la vie. Issu peut-être de la Pierre de Phaistos,ci dessus,on le dit aussi d'origine allemande parce qu'il est mentionnné sur des almanachs qui circulaient dans le Saint Empire au XVe siècle. L'une des plus anciennes mentions du jeu de l'oie date de 1617 et provient de l'ouvrage de Pietro Carrera, consacré aux échecs où l'auteur affirme, pour sa part, que ce jeu fut inventé à Florence une génération auparavant. Au XVIe siècle, ce jeu devint très populaire dans toute l'Europe. De nombreuses variantes furent créées à cette époque pour les enfants et pour les adultes. Tous y jouaient avec le plus grand sérieux, comme si l'enjeu était leur destinée. Sur le plan symbolique, l'oie renvoie à un animal qui annonce le danger. Ce mot aurait les mêmes racines que « oreille » et « entendre ». Le jeu de l'oie permettrait ainsi de mieux comprendre le monde. Ponts, puits, prison, mort sont autant de figures du parcours qui font référence à la mythologie et ont leur correspondance ésotérique dans les images du tarot. La mort n'est pourtant pas mortelle, elle contraint | seulement à retourner à la case de départ. Il y a toujours une autre chance et tout peut toujours arriver. Le joueur plus avancé peut tomber dans des pièges, être contraint de reculer ou de passer son tour. A tout moment, chaque joueur, même s'il est le plus éloigné du but, peut gagner. La chance dépend des dés. Y a-t-il des recettes pour gagner ? Qui peut savoir ? En tout état de cause, chacun, quel que soit son état, a une chance égale à celle des autres joueurs. C'est le jeu de l'espérance légitime pour tous.Il faut noter que dans les formes traditionnelles,la case 42 était le "labyrinthe".
Reprenons, je vous prie, ses vignettes ou ses emblèmes. Le pont, le puits, le labyrinthe, l'hôtel, la prison et la mort. Laissons la mort, pour le moment, qui se différencie, dans la suite, par ceci, au moins, qu'elle n'est pas un artefact. Différence, bien sûr, significative : la mort est, mais n'est pas, tout cela. Bref, la série des obstacles, dans la circulation du jeu, expose des passages, des relais, des stations.
Le pont est un chemin qui connecte deux berges, ou qui rend une discontinuité continue. Ou qui franchit une fracture. Ou qui recoud une fêlure. L'espace du parcours est lézardé par la rivière, il n'est pas un espace de transport. Dès lors, il n'y a plus un espace, il y a deux variétés sans bords communs. Si différentes qu'il est besoin d'un opérateur difficile, ou dangereux, pour connecter leurs bords. Difficile puisqu'il faut un pontife, au moins, dangereux puisque, le plus souvent, quelque diable le garde, ou que les ennemis d'Horatius Codés l'y assaillent. La communication était coupée, le pont la rétablit, vertigineusement. Le puits est un trou dans l'espace, une déchirure locale dans une variété. Il peut déconnecter un parcours qui y passe, et le voyageur tombe, la chute du vecteur, mais il peut connecter des variétés qui se trouveraient empilées. Des feuilles, des feuillets, des formations géologiques. Le pont est paradoxal, il connecte le déconnecté. Le puits l'est plus encore, il déconnecte le déconnecté, mais il connecte aussi le déconnecté. L'astronome y tombe, la vérité en sort. Le dragon assassin y habite, mais on y puise l'eau d'immortalité
Ce puits est-il un trou dans les variétés riemaniennes, un puits de potentiel où, à la cote basse, apparaît le germe, chez Thom, ou celui de Plassans, ou celui de Jacob? Non, je n'ai plus le choix, et c'est le même puits. Dans tous les cas, et tant pis pour les classes, il y va de connexion et de non-connexion, il y va de l'espace, il y va du parcours. Et donc l'essentiel n'est plus cette figure, ce symbole ou cet artefact, l'invariant formel est quelque chose comme un transport, une errance, un voyage à travers des variétés spatiales séparées. La circumnavigation d'Ulysse ou de Gilgamesh et la topologie.
Je puis recommencer, le long de la série. Démontrer cette affaire stable sur la prison, enceinte close, ou sur l'hôtellerie, seuil, relais ou relance, et sur le labyrinthe enfin qui est la somme des emblèmes. Dédale de connexion et de non-connexion, fermé tout autant qu'ouvert, où le transport est un voyage autant qu'une immobilité. Tous opérateurs paradoxaux de l'espace, signalant qu'on en a trop vite fini avec l'espace, qu'on n'en finit jamais avec les espaces, opérateurs au travail à la fois aux mythes fabuleux de la Crète, aux récits de ce que nous nommons littérature, et dans la théorie ou topologie des graphes, des jeux et réseaux de transport.
D'où ce bilan temporaire. Je dispose d'opérateurs, tirés de symboles naïfs, qui travaillent sur un non-dit, au moins par la philosophie, savoir les accidents ou catastrophes de l'espace et sur la multiplicité des variétés spatiales. Qu'est-ce qu'un fermé? Qu'est-ce qu'un ouvert? Qu'est-ce qu'un chemin de connexion? Qu'est-ce qu'une déchirure? Qu'est-ce que le continu et le discontinu? Qu'est-ce qu'un seuil, une limite? Programme élémentaire d'une topologie. Ce n'est plus donc ma mère l'Oye qui, stable, raconte tous les mythes possibles, ou reste invariante par leurs variantes, c'est désormais l'espace ou les espaces qui sont la condition de ses vieux racontars. Les espaces pour qui j'ai la chance de disposer d'un savoir neuf. Et les mythes sont écrits sur eux.
Or, justement, dans le deuxième Hermès, j'avais dessiné le programme d'une esthétique, au sens large du terme, qui chercherait à tenir compte de ces proliférations multiples d'espaces. Mon corps, je n'y peux rien, n'est pas plongé dans une variété unique et spécifiée. Il travaille dans l'espace euclidien, mais il y travaille seulement. Il voit dans un espace projectif, il touche, caresse et manie dans une variété topologique, il souffre dans une autre, entend et communique dans une troisième. Et ainsi, tout autant qu'on voudra. Et l'espace euclidien fut élu dans nos cultures du travail parce qu'il est l'espace du travail, du maçon, de l'arpenteur ou de l'architecte.
D'où l'idée culturelle de l'origine praxique de la géométrie qui est une tautologie, puisque le seul espace reconnu est justement celui du travail, du transport. Mon corps n'est donc pas plongé dans un espace unique, mais dans l'intersection difficile de cette famille nombreuse, dans l'ensemble des connexions et raccordements à pratiquer entre ces variétés. Cela n'est pas donné, ou n'est pas, comme on dit, toujours déjà là. Cette intersection, ces raccordements sont toujours à construire. Et l'on dira malade en général qui manque cette construction. Son corps explose par la déconnection d'espaces. Ceci n'est qu'un début, ou n'est point le début réel, s'il existe.
Mon corps habite, une fois encore, autant d'espaces qu'en ont formé la société, le groupe ou le collectif. La maison euclidienne, la rue et son réseau, le jardin ouvert et fermé, l'église ou les espaces clos du sacré, l'école et ses variétés à point fixe, et l'ensemble complexe des organigrammes. Ceux du langage, de l'usine, de la famille, du parti politique, et ainsi de suite. Dès lors, il est plongé, non plus dans un espace, mais dans l'intersection ou les raccordements de cette multiplicité. On dira, de nouveau, désadapté, ou délinquant, ou désorienté, celui qui manque ou qui refuse de passer, comme tous, dans l'échangeur de ces multiples connexions.
Qui demeure dans un des espaces ou, à l'inverse, répugne à tous. Celui qui, par exemple, reste gelé, perdu, dans l'arbre familial. Ou qui craint de sortir du paradis fermé, entre deux bras de fleuve. Celui qui veut déchirer le réseau, souffert comme prison, ou carcan d'esclavage. Ceci nous amène au début. C'est qu'une culture, en général, construit, dans son histoire et par elle, une intersection originale entre de telles variétés, un nœud de connexions bien précis et particulier. Cette construction, je crois bien, est son histoire même. Ce qui différencie les cultures, c'est la forme de l'ensemble des raccordements, son allure, sa place, et, aussi bien, ses changements d'états, ses fluctuations. Mais ce qu'elles ont en commun et qui les institue comme telles, c'est l'opération même de raccorder, de connecter. Voici que se lève l'image du tisserand. De lier, de nouer, de pratiquer des ponts, des chemins, des puits ou des relais, parmi des espaces radicalement différents. De dire ce qui se passe entre eux. D'inter-dire ».M.Serres Séminaire De Levi-Strauss Sur L'identité.
Devenu jeu, le centre du labyrinthe a perdu son pouvoir initiatique. Nos labyrinthes seraient il devenus « insensés » ? V. Segalen écrit Simon Leys, un roman initiatique,(ou plutôt sa parodie ), où le narrateur veut pénétrer dans Pékin et dans la Cité Interdite qu'il voit comme des labyrinthes. « D'abord, la grande muraille noire, la muraille babylonienne, les remparts souterrains d'une ville de plus de dix lieues de tour... Ensuite une seconde muraille, peinte en rouge sombre de sang... Ensuite une troisième muraille, plus magnifique, mais de la même couleur sanglante - muraille du grand mystère celle-ci, et que jamais, avant ces jours de guerre et d'effondrement, aucun Européen n'avait franchie »...
Il veut parvenir au centre de la cité interdite, lieu où réside le « Fils Du Ciel », « LA PRESENCE ». Il croit y parvenir grâce à un guide, beau jeune homme qui fascine par sa faconde et ses possibilités mystérieuses (ce serait un agent secret.)« Voici mes entrées promises : le mur rouge, le mur jaune, le mur violet infranchissable me deviennent ton d'un coup faits de réseaux délicats, transparents, que je perce et passe en jouant, sous des costumes ». Espoirs, projets, manœuvres, rêves de pérégrinations, tout s'écroulera par la mort du guide qui n'était qu'un mythomane et un mystificateur. La quête n'est peut-être que « fumée dansant sur une écume de non-sens ». D'ailleurs le centre existe-t-il ? « Au milieu, dans le profond du milieu du Palais, visage ». Mais ce visage demeure énigmatique. Segalen dira en effet dans Stèles, ce qu'est la réalité du fils du ciel et de son pouvoir
« Je ne prétends point être là, ni survenir à l'improviste, ni paraître en habits et chair, ni gouverner par le poids visible de ma personne,
Ni répondre aux censeurs, de ma voix ; rebelles, d'un œil implacable ; aux ministres fautifs, d'un geste qui suspendrait les têtes à mes ongles
Je règne par l'étonnant pouvoir de l'absence. Mes deux cent soixante-dix palais tramés entre eux de galeries opaques s'emplissent seulement de mes traces alternées. »
(A suivre)