C'est un combat brutal, et même une guerre qui n'est pas terminée. Elle a commencé au milieu de la décennie précédente, elle est presque gagnée: la République, c'est-à-dire cet ensemble politique qui repose sur une devise, des principes, et une organisation politique, est en passe de perdre une large fraction de sa droite.
Quelques évènements de plus, cette semaine, ont révélé que le mal était profond.
A défaut d'agir pour le pays, Nicolas Sarkozy a cassé, une à une durant son quinquennat quelques-unes de ces digues qui séparaient la droite de l'extrême droite: remise en cause du droit du sol et des droits sociaux, assimilation de l'immigration à la délinquance, affirmation du leadership chrétien dans l'organisation culturelle du pays. Le compromis républicain, conforté après la dernière guerre, existe encore dans les faits. Il n'existe bientôt plus dans les esprits d'une droite radicalisée.
La "lutte" contre les mariage gay fut un exemple de cet échauffement. Des "fous de Dieu" - ces gens qui ne supportent pas que d'autres n'agissent pas suivant les préceptes de leur croyance, forme ultime de l'intolérance religieuse - se sont montrés dans des recoins de la société auxquels on ne pensait pas, chez des bourgeois, peu suspects de fragilité sociale ni d'inquiétude économique. La participation d'une (large) fraction de la hiérarchie catholique à cette entreprise anti-républicaine est quelque chose de troublant.
L'agitation, microscopique mais virulente, de quelques fanatiques anti-Hollande prend des tours inattendus: certains, pétition à l'appui, espèrent "destituer" le président élu. Leur motif - Hollande n'aurait pas signé un papier officiel - prête à sourire. Leur obstination sur un prétexte aussi futile mérite une assistance psychologique D'autres, emmenés par un millionnaire exilé fiscal en Suisse (sic!) et quelques soutiens d'une droitosphère idéologiquement désemparée, ne supportent pas que le couple présidentiel ne soit pas marié. Plutôt que de porter le combat sur le terrain politique - sur lequel même la gauche trouve matière à critique - ces gens-là sont coincés sur cette situation pourtant si commune dans la France d'aujourd'hui.
Plus grave car plus sérieux, la surenchère idéologique à l'oeuvre entre les rivaux de la droite anciennement classique, en vue des élections de 2017, démontre comment la droite a craqué.
Car le plus étonnant dans cette évolution dramatique, est la consistance idéologique que ces gens-là donnent à un positionnement politique qui n'a bientôt plus grand chose de commun avec la République que nous connaissons.
Le Front National, depuis plus de quarante ans, n'était qu'un mouvement protestataire et parallèle, la petite entreprise du leader Jean-Marie qui dansait sur toutes nos lignes jaunes sans jamais vouloir travailler pour réellement exercer le pouvoir. Sa fille Marine à qui fut donné le parti oeuvre, certes, à normaliser son mouvement pour mieux prétendre au pouvoir. Mais son programme économique et social est si incohérent et crétin qu'il ne convainc personne; et contraint les dirigeants du FN à rester sur le terrain habituel de la protestation bruyante.
A l'UMP, la situation est toute autre. On observe, effaré, François Fillon, Laurent Wauquiez, puis Jean-François Copé s'échiner à donner du corps à ce qui devrait être un programme ultra-libéral, anti-fiscal, conservateur, chrétien, sécuritaire et réactionnaire. Quelque chose qui ferait paraître de Gaulle pour un laxiste, Jean Monnet pour un gauchiste... et le le Tea Party pour un lointain cousin.
Après les 35 propositions-choc de François Fillon, puis les déclamations antisociales de laurent Wauquiez, Jean-François Copé s'est livré à son tour à l'exercice, ce vendredi dans les colonnes du Figaro-Magazine: retraite à 65 ans, "baisse massive des impôts", réduction de 130 milliards d'euros des dépenses publiques, augmentation de 20 milliards d'euros de la TVA, suppression du RSA,
dégressivité des allocations sociales, etc.
A droite, le politiquement correct a changé. Les bobos de la pensée sont ces staliniens réacs, comme les appelait l'hebdomadaire Marianne le 17 août dernier, qui trouvent normal, légitime, inévitable et nécessaire de traquer les Roms, les Musulmans, les "pédés", les "Noirs", les athées, les impôts et les "assistés". Et de multiplier les surenchères verbales (écoutez Copé parler de l'ultra-égalitarisme de la gauche hollandaise...). Après le site "antigitan" réalisé par quelque décérébrés, le dossier anti-Rom de l'hebdomadaire Valeurs Actuelles en est une belle illustration. Dévier l'attention populaire et politique vers quelques boucs-émissaires et/ou des sujets sensibles mais marginaux... ça ne vous rappelle rien ?
A gauche, le spectacle est à peine plus reposant, mais il est républicain.
Hollande a ouvert la semaine avec un séminaire sur la France d'après, en 2025. Il s'agissait de regarder plus loin. L'exercice, qui durera quelques mois, était vertueux. Il n'empêchait pas l'action plus immédiate, comme cet improbable projet de loi de Sylvie Pinel pour "moderniser" le statut d'autoentrepreneur. Nous y reviendrons. C'était aussi la rentrée politique des écologistes - Université d'Eté à Marseille; et du Parti socialiste - rencontres à La Rochelle.
Pour réorienter la fiscalité et décourager les comportements polluants, le nouveau ministre de l'écologie, annonce à Marseille qu'une Contribution Climat/Energie sera proposée et votée l'an prochain. Le concert des critiques reprend... à gauche. On accuse le gouvernement de faire du sarkozysme fiscal. La belle affaire ! Ils avaient oublié qu'en 2009, la taxe carbone prétendument sarkozyste avait déjà causé des débats. En 2013, le projet n'est pas détaillé mais ça couine très fort déjà. Cécile Duflot (Logement) applaudit, Stéphane Le Foll (Agriculture) est "réservé". Il pense à ses ouailles agricoles qui n'apprécieront pas un renchérissement du diesel.
Il y avait aussi ceux qui couinaient du matraquage fiscal. BFM TV, vendredi, demandait aux internautes si leur fiche d'impôt avait augmenté. Les Echos promettaient un "nouveau tour de vis" l'an prochain pour l'impôt sur le revenu.Mélanger les contribuables modestes et fortunés pour rassembler un front anti-impôts qui comme souvent ne profitent qu'aux plus riches... Belle manoeuvre...
Quelques socialistes, même des ministres, s'inquiètent ainsi d'un ras-le-bol fiscal. Une inquiétude toute ... néo-libérale ? Qui réclamait il y a quelques mois encore de sabrer davantage dans les niches fiscales (une autre façon d'augmenter les impôts) ? Qui se plaignait de ses incroyables déséquilibres fiscaux entre travail et capital, revenus et patrimoine, que nos gouvernants de ces dernières décennies - et cruellement depuis 2000 - avait laissé prospéré ? En 2010, le député UMP Gilles Carrez se plaignait qu' "entre 2000 et 2009, le budget général de l'État aurait perdu entre 101,2 milliards d'euros (5,3 % de PIB) et 119,3 milliards d'euros (6,2 % de PIB) de recettes fiscales". Et pour moitié à cause d'une réduction de l'impôt sur le revenu des plus riches entamée par la gauche, amplifiée par la droite !
Contre les déficits, chacun a sa formule magique qu'il résume parfois en slogans de salon: sabrer dans nos dépenses publiques (sauf bien sûr les policiers quand il y a encore un coup dur à Marseille ou ailleurs; les matons puisque nos prisons débordent; les cheminots quand un train déraille faute d'entretien; les infirmières quand une canicule menace nos hôpitaux; les militaires puisque l'indépendance nationale est en jeu; etc); ponctionner nos "grandes" entreprises de quelques-uns de leurs milliards de bonus, profits, dividendes - ajoutez-y le chiffre d'affaires tant que vous y êtes; relever la TVA puisque l'assiette est si large; chasser la fraude (fiscale, sociale et autres), mais sans recruter davantage d'inspecteurs, cela coûterait trop.
Contre les déficits, chacun a sa formule magique.
A gauche, le spectacle fut surtout éprouvant à cause d'un improbable duo, Manuel Valls et Jean-Luc Mélenchon. Le premier fut bruyant et surexposé, trop proche de nos écrans. L'autre était carrément silencieux, trop loin de notre continent. Les deux se sont retrouvés, involontairement, pour une double clash de rentrée. Comme Mélenchon, Valls a excédé davantage encore ... à gauche. Les deux sont confrontés à une question: au-delà des idées qu'ils défendent, et qui ne sont pas politiquement compatibles, leur stratégie politique est-elle la bonne ?
Jean-Luc Mélenchon a fait sa rentrée par une interview tonitruante dans les colonnes du JDD le 18 août, superbe illustration du "Parler cru et dru" si cher au leader du Parti de Gauche. Valls y fut accusé d'être contaminé par Marine Le Pen. Le lendemain, Manuel Valls provoque une ire plus large encore. Sa déclaration n'est pas publique, mais rapportée par des témoins anonymes, dans les colonnes du Parisien et de Libération: lors du séminaire gouvernemental de rentrée, on lui prête d'avoir remis en cause le regroupement familial, de s'être inquiété de la compatibilité de l'Islam avec la République et de la surpopulation africaine.
Mardi, Valls en remet une couche, à peine plus légère sur les ondes de BFMTV. Les responsables écologistes, ministres ou pas, lui tombent dessus. Mardi, Jean-Marc Ayrault et 4 ministres encadrent Valls lors d'un déplacement à Marseille, après un énième règlement de comptes entre malfrats. Mercredi, François Hollande siffle la fin de la récrée, "le regroupement familial n'est pas un sujet." Valls rétropédale. Christiane Taubira, dont la future réforme pénale fut mise en cause par Valls dans un courrier révélé la semaine précédente, est accueillie en star à l'université d'été d'EELV à Marseille. Elle a la formule qui claque, moqueuse et déterminée à souhait. Les sourires de circonstances, mardi dans la cité phocéenne, avec son collègue Valls, n'y ont rien changé.
De son côté, Mélenchon souffre. Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, lui apporte une critique cinglante dans les colonnes de Libération: "Pour convaincre, nous ne devons pas confondre la colère et la radicalité nécessaire avec la provocation et l’invective". Le patron du PG fait mine de ne pas comprendre, avant de reconnaître sa "déception" aux Estivales de son parti, à Grenoble.
Finalement, c'est à Christiane Taubira que nous devons la devise de la semaine.
"Nous n’allons pas céder face aux discours aux airs martiaux, aux grandes menaces, et à la virilité intimidante".
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