Depuis peu la figure et surtout les films de Cecil Blount DeMille sont réapparus auprès des cinéphiles sous un éclairage plus favorable.
Une rétrospective de ses films muets à Pordenone, il y a déjà quelque temps, une autre de tous ses films accessibles à la Cinémathèque française et deux livres dans la langue d’Alexandre Dumas ont marqué le retour en grâce de celui qui fut dans les années 1920 le tsar du cinéma américain, ou comme le rappelle Luc Moullet (1),
celui qui est resté jusqu’au bout de sa longue carrière (quarante ans) le roi du box office.
On sait ce qui s’est passé et ce que les deux auteurs, Moullet et Jean-Loup Bourget des deux excellents petits livres sur DeMille (1) nous remémorent:
A lire de multiples ouvrages sur les cinéastes américains, on s’aperçoit que DeMille n’est pas pris en considération pour la qualité de ses films, mais en tant qu’homme public. La même chose s’est produite d’une manière un peu différente pour Elia Kazan ou Claude Autant-Lara…
écrit Moullet dans L’empereur du mauve.
Et Jean-Loup Bourget dans Le gladiateur de dieu de noter plus précisément.
…mégalomane, tyrannique avec ses acteurs, sexiste, couvert de femmes qui pose en mari fidèle et au père de famille modèle, Barnum hypocrite qui met en scène des spectacles bibliques pour flatter les goûts érotiques et les instincts sadiques de son public, anticommuniste obsessionnel, xénophobe, raciste et antisémite, j’en passe et j’en oublie…
Dans ce catalogue de vices et autres tares (surtout au regard de la correction politique d’aujourd’hui), c’est l’anticommunisme qu’on a le plus reproché au réalisateur de Male and female, The Squaw Man, Les Dix Commandements, ou Sous le plus grand chapiteau du monde.
Avec la célèbre histoire de la réunion de la Guilde des réalisateurs en 1950, que retrace dans ses détails et ses obscurités Jean-Loup Bourget:
Il y a d’abord évidemment la fameuse altercation de C.B. avec Joseph Mankiewicz alors président du syndicat jugé trop mou… Mais, attention!, pas suspecté de tendresse à l’égard des rouges car Mankiewicz est lui même à l’époque, et contrairement à ce qu’il racontera plus tard, membre du parti républicain… Ce qui à la fin des années Truman signifie quelque chose.
Il y eut ensuite durant cet épisode l’intervention légendaire de John Ford en faveur de Mankiewicz (« My name is John Ford… I make westerns »)
Qu’en fut il de tout cela ? Bourget reprend à peu près ainsi…
Nous sommes en 1950, la chasse aux rouges prend à Hollywood une nouvelle ampleur. Profitant d’un voyage en Europe du président de la Screen Directors Guild of America, DeMille réussit à faire passer la constitution d’une liste noire élargie à tous ceux qui en signeraient pas un serment de loyauté attestant qu’ils n’ont jamais été membres du PC. La motion DeMille est adoptée à une écrasante majorité (à peu près 85% de oui, 3% de non et le reste d’abstentions) .
Le 22 octobre, de retour dans la métropole du cinéma américain, Mankiewicz a réuni au Beverly Hills Hotel une assemblée générale, qui sera houleuse.
Certains, Mankiewicz lui même, ont raconté combien le réalisateur de Samson et Dalila a indigné l’assistance, ou au moins certains des members de cette assistance, en prononçant à l’allemande les noms de Wilder, Wyler et Zinnemann, soulignant ainsi leur origine non américaine et accessoirement leur judéité (2).
Et c’est donc à ce moment que le dénommé John Ford serait intervenu de façon décisive. Il est alors (3) tout aussi conservateur que DeMille et tout aussi anti communiste. Il lance cette fameuse phrase :
Je m’appelle John Ford, je suis réalisateur de westerns
et écrit Bourget « il s’en prend avec vigueur à DeMille, assurant admirer ses films mais n’aimer ni l’homme, ni aucune des valeurs qu’il représente. La tentative de putsch échoue. » Mankiewicz est conforté et DeMille débouté.
« Dans le détail, ajoute Bourget, les versions diffèrent. Telle que la résume Joseph McBride (4), la teneur de l’intervention de Ford est plus « soft » et plus habile: il insiste sur son admiration pour DeMille et sur le droit qu’il a de s’exprimer, mais conclut que la loyauté de Mankiewicz est au dessus de tout soupçon et que celui-ci a été injustement mis en cause. »
Le lendemain de l’AG, raconte McBride cité par Bourget, Ford couvrira DeMille de louanges pour le courage qu’il a montré face à une « meute de rats » et lui assurera qu’il sortira grandi de l’incident , un sentiment que selon lui partagent de nombreux cinéstes à commencer par Mankiewicz.
Manifestement, Ford n’a pas été un bon prophète
Plus radical est le « révisionnisme » de Scott Eyman, rarconte toujours Bourget: s’appuyant sur le compte rendu de l’assemblée générale et sur le caractère tardif et indirect du témoignage de Zinnemann (qui n’était pas présent à l’A.G.), il doute que DeMille ait prononcé les noms de Wyler, Wilder et Zinnemann; il pense que ce qui a perdu DeMille lors de l’AG est justement qu’il a porté des accusations vagues (laissant entendre que Mankiewicz était soutenu par des cryptocommunistes) mais qu’il n’a nommé personne ; il suppose que le propos a pu être tenu par DeMille lors d’une réunion antérieure, en comité restreint, ou plutôt qu’il a été imaginé ou « reconstruit » à partir d’une réaction de Mamoulian (lors de la même AG), disant que pour la première fois de sa vie, il avait l’impression d’être coupable parce qu’il avait un accent… »
En conclusion, Bourget rappelle que d’abord ce serment demandé par DeMille était en complète contradiction avec l’attachement à la liberté de conscience dont a fait preuve le réalisateur dans d’autres circonstances. Et ensuite que la victoire de Mankiewicz n’a rien changé à la situation des proscrits de Hollywood. Qu’au contraire le réalisateur d’All About Eve fut très rigoureux dans l’application de la liste noire.
De plus cette histoire a servi de prétexte à une sous estimation radicale de la filmographie de DeMille, une conséquence fâcheuse qu’heureusement Luc Moullet et Jean-Loup Bourget ont commencé à contrecarrer. Comme nous le verrons plus tard.
A suivre
Simplement un grand cinéaste baroque.
1) Luc Moullet Cecil B. DeMille L’empereur du mauve Capricci et Jean-Loup Bourget Cecil B. DeMIlle Le gladiateur de Dieu, PUF
2) On se souviendra qu’il y a une composante antisémite, certes secondaire mais parfois décisive, dans ce qui va devenir le maccarthysme.
2) Ford ne l’a pas toujours été. Durant les années 36-38, il est même devenu l’une des composantes les plus remarquables de la gauche hollywoodiennes… Pro-républicain en Espagne et Pro-Roosevelt aux Etats Unis.
3) Dans sa biographie Searching For John Ford, en français A la recherche de John Ford ( Institut Lumière, Actes Sud).
* Nous reproduisons ici, avec son autorisation, l’article d’Edouard Waintrop, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs dans sa chronique Cinoque : Réflexions et informations sur l’actualité cinéphilique. Qu’il en soit remercié.