Cela faisait dix ans que Marshall "Eminem" Mathers n’était plus revenu en France. Dix ans depuis le furieux The Eminem Show. Dix ans et trois albums, plusieurs overdoses, cures de désintoxication, un régime draconien, une descente aux enfers puis une résurrection. Le Stade de France l’attendait comme le Messie.
En première partie, Earl Sweatshirt, Tyler The Creator, Chance The Rapper et l’incandescent Kendrick Lamar font le job, proprement, les dents et les poings serrés. Mais l’émotion est ailleurs, et cogne dans la gorge dès que se découpe, sur une grande toile blanche tendue devant de la scène, la silhouette presque fragile de Marshall Mathers, comme une façon de projeter sur un écran le personnage qu’il incarne : Eminem, enfant terrible de la White America. Vrai, la respiration est plus courte qu’il y a dix ans et la voix pas toujours juste, assez frêle même, presque féminine dès qu’il cesse de rapper pour s’adresser au public. Pourtant, il se dégage du concert une grande violence, sèche, ardente, une rage bouillante dont il crache chaque mot, courbé comme un rictus, sans jamais ménager à la foule une seconde de répit.
C’est Survival, dernier single en date, qui ouvre un set coupé au couteau (c’est le même qu’en Belgique ou en Irlande), rodé au point qu’il ne permet aucune marge de manœuvre. Au milieu des morceaux plus récents, les medleys s’enchainent et les tubes du passé – du temps où, il le dira lui même, « he used to get fucked up » – sont tronqués, saignés à blanc dès la fin de leur premier couplet, comme si la secousse sismique qui ébranlait le Stade de France au moment de Whitout Me, Slim Shady ou Kill You pouvait s’avérer trop dangereuse et devait être avortée. Pourtant, les percées sont fulgurantes : Criminal, Love The Way You Lie, Business ou le rappel Lose Yourself suintent la fièvre et la hargne, et paralysent, jusqu’à Stan, qu’on aurait voulu éternel où le MC, seul face aux quelques 71500 spectateurs, rappe l’histoire de sa vie et de son rapport à son double. On n’entendra pas le dernier couplet, mais il est dans toutes les consciences. Le taire, c’est dire que c’est fini. Dire que la tempête est passée : « I don’t get fucked up anymore » rappelle-t-il.
On l’a beaucoup écrit : Eminem est, à lui seul, un cirque médiatique. Un cirque donc, avec son lot de mise en scène racoleuse, de bonimenteurs et de tours de passe passe. Mais également avec ses glauqueries et ses freaks, son inquiétante frénésie, son bruit, sa fureur sublime. Un cirque, et donc une arène, enfin, dans laquelle s’est débattu un gladiateur survivant – icône sacrée que la vie n’a pas su détrôner. Source Par Maureen Lepers http://www.troiscouleurs.fr