"Je m'habitue à l'idée d'être là, d'avoir une place, même si ma place a changé. J'accepte d'avoir à nouveau une présence, une épaisseur, un corps qui n'est pas fait que de lignes brisées, qui évite les pierres sur le chemin, qui transpire en haut du col. [...] Je sens comme cohabitent le petit animal en short de l'enfance qui escalade le toboggan, la gymnaste marchant sur la poutre, l'adolescente qui danse sur Imagine, l'amoureuse qui monte derrière la moto, la libraire en équilibre sur un escabeau, la mère qui maintient Yoto contre sa hanche. Je marche sur le sentier et cette sensation devient concrète, je suis faite de toutes ces pièces, comme si mon corps était une maison où vivent ensemble le vif de l'existence, fait de désirs, de force et de pulsations, mais aussi l'absence. Tous ces corps de fille évoluent sous le même toit et tissent une mémoire serrée. Je suis ici mais aussi là."
Par le prisme de l'évolution d'un corps, Brigitte Giraud nous emmène dans Avoir un corps à la découverte d'une petite fille qui devient grande, puis mère. Et c'est toute l'aventure de la vie qui nous est contée ici, quotidienne, faite d'expériences, de blessures, de douceurs, de pudeur et d'impudeurs. La conscience de soi passe sans transition de l'illusion de la maîtrise du corps, frôlant l'annorexie, à cette infinie confiance/ inconscience qui mène chaque femme à la maternité.
Cette petite fille que Brigitte Giraud regarde grandir, et dont elle s'approprie les rêves et les désirs par le "je" est un peu nous, un peu elle sans doute, et est très ancrée dans une époque. Et c'est là que l'auteure excelle, quand elle raconte l'enfance, la naissance du frère, les jeux, les premiers émois, l'envie d'enfanter contre lequel on lutte d'abord puis se soumet. J'ai aimé que règne dans son roman une réflexion sous-jacente sur le libre arbitre, et qu'elle souligne combien la féminité est une valeur sociale avec ses codes. Etre un corps d'enfant, se transformer, puis être une femme, être une mère, et tout cela sans jamais perdre la conscience de soi, de sa peau, sans se perdre, s'oublier, oublier de se regarder, de se voir... tout cela est parfois si difficile, fragile, sur le fil.
En tournant les pages de ce livre, j'ai pensé constamment à cette autre auteure qui écrit tellement bien aussi sur ce sujet, Emmanuelle Pagano. Malgré la comparaison, Avoir un corps est une lecture coup de coeur en cette rentrée littéraire, il serait étonnant qu'il en soit autrement.
Editions Stock - 18.50€ - 21 Août 2013
La lecture de ClaraChallenge 1% rentrée littéraire : 1/6
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