My Dark Angel – Epilogue

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

— Angel !! On est en retard. Dépêche-toi !

La voix tonitruante et exaspérée de Charlène traversa l’appartement et tira brutalement Angel de sa rêverie.

— J’arrive ! lui répondit-elle sur le même ton.

Pourtant, debout devant le miroir en pied de sa chambre, Angel ne bougea pas, fixant son reflet sans vraiment le voir. Elle replaça machinalement une mèche de cheveux derrière son oreille et balaya du regard sa tenue pour la soirée. Hannah avait qualifié l’endroit où elle les emmenait de « chic » et « tendance », ce qui était à traduire, maintenant qu’Angel connaissait mieux la pétillante avocate, par « improbable » et « ostentatoire ». Tout ce qu’elle détestait. Mais après d’âpres négociations, elle avait fini par capituler. Pour la première fois depuis vingt ans, elle ne fêterait pas son anniversaire dans SON restaurant. Une manière de tourner la page, s’était-elle dit. Même si depuis le départ d’Elijah, elle avait la sensation d’en avoir tourné un nombre incalculable volontairement ou non. Elle s’était laissé guider par les opportunités, le hasard, les coïncidences, en un mot par tout ce qui l’empêchait d’anticiper et de réfléchir à l’avenir. Elle avait accepté l’offre d’emploi que Derek lui avait proposée, accepté la demande du Professeur Brooks de reprendre les cours à la rentrée universitaire, accepté un rendez-vous arrangé par Hannah avec un inconnu. Dans ce dernier cas, elle s’en était mordu les doigts et avait rayé de sa liste ce genre d’acceptations irréfléchies. Se laisser porter par les événements était une chose, supporter les rites de rendez-vous codifiés des célibataires new-yorkais était encore au dessus de ses forces.

Pour l’heure, c’était sa soirée d’anniversaire qu’elle avait laissée aux bons soins de Charlène et d’Hannah. Elle y avait consenti, trop heureuse de s’affranchir de cette corvée mais s’attendant malgré tout au pire. Son précédent anniversaire lui semblait si loin. Elle avait l’impression d’avoir vieilli bien plus que d’un an au cours de ces derniers mois. Tant de choses avaient changé. ELLE avait changé, « grandi » s’amusait-elle parfois à penser. Elle se trouvait si différente qu’elle se surprenait quelques fois à plisser les yeux devant le miroir comme si l’image qu’il lui renvoyait appartenait à une autre. Comme à cet instant. Ses yeux clairs soigneusement maquillés balayèrent son reflet sans indulgence. Ses cheveux blonds, presque roux par moments, encadrait un visage aux expressions toujours un peu froides et graves mais surtout déterminées. Son regard glissa sur sa tenue qu’elle avait elle-même choisi, ne laissant plus à quiconque le loisir de décider à sa place, passant outre les conseils plus ou moins judicieux de ses deux amies. Elle lissa de ses deux mains le tissu soigneux de sa robe au buste ajusté et au jupon évasé. Elle suivit les courbes de ce corps qui semblait lui-aussi être sorti de sa réserve. La jeune femme prisonnière d’un corps d’adolescente n’était plus.

— Tu es belle, commenta une voix derrière elle.

Elle croisa le regard bleu de Derek dans le miroir. Appuyé au chambranle de la porte de sa chambre, il la contemplait depuis sûrement un bon moment déjà. Sa remarque, emprunte d’une sincérité un peu gênée, lui arracha un sourire bienveillant.

— Tu te joins à nous finalement ? lui demanda-t-elle.

— Non, je passais en coup de vent : j’ai un rendez-vous important ce soir. Et puis passer la soirée avec vous trois me donne souvent l’impression d’être dans un épisode de Sex and the City. Je préfère m’abstenir.

Derek se décolla de l’encadrement de la porte pour s’approcher d’elle. Il lui prit des mains le collier qu’elle tentait en vain de fermer à l’aveugle derrière son cou et s’acquitta de la tache. Elle le laissa faire et ne se dégagea pas lorsque ses mains s’attardèrent sur ses épaules. Il les ôta de lui-même sans qu’elle n’ait besoin de le lui dire. Il n’avait jamais tenté de profiter du départ d’Elijah, tout juste quelques regards appuyés, des gestes d’affection vite réprimés. Angel lui en avait été secrètement reconnaissante. Elle ne se voyait pas avoir ce genre de conversation avec lui.

— Bon anniversaire, lui souhaita-t-il simplement. Tu me réserves malgré tout une soirée pour qu’on puisse le fêter sans les deux autres harpies ?

Elle se contenta d’acquiescer de la tête avec un sourire sincère quand la voix rocailleuse de Charlène se fit à nouveau entendre.

— J’ai entendu sale petit avocaillon de mes deux ! jura-t-elle en pointant le bout de son nez dans l’encadrement de la porte. Dépêche-toi Angel, Hannah a déjà appelé deux fois ! Ça t’arracherait d’être à l’heure au moins une fois dans ta vie !

— Les bonnes habitudes ne se perdent pas, répliqua ironiquement Angel avec haussement d’épaule fataliste.

La rousse disparut dans un grognement d’exaspération.

— Je vais y aller. Je dois me préparer mentalement à mon rendez-vous de ce soir, reprit Derek avec une moue contrite.

— Blonde, rousse, brune ? railla Angel en enfilant enfin son manteau.

— Je préfèrerai mais ce sera nettement moins drôle.

Il l’embrassa sur la joue en lui faisant promettre de le laisser l’inviter un autre soir et prit congé rapidement.

~*~

Comme elle s’y attendait, Angel détesta le restaurant à peine avaient-elles mis un pied dans l’entrée. Là, pas de lustres d’un autre temps qui pendaient au dessus de la grande salle, pas de miroirs qui tapissaient les murs reflétant à l’infini les tables dressées avec goût et simplicité mais un décors froid, épuré, monochrome, éclairé par des néons de couleur verte agressifs et une musique beaucoup trop forte qui les obligeait à hausser exagérément la voix pour se faire entendre. Hannah, installée à une table près de la baie vitrée, se leva à leur arrivée, manifesta son mécontentement d’avoir poireauté aussi longtemps et rappela qu’il fallait réserver dans cet endroit des semaines à l’avance pour obtenir une table. Elle entama avec Charlène une discussion animée sur la décoration du lieu. Mais Angel n’écoutait plus depuis longtemps.

Perdue dans ses souvenirs, elle jeta un vague regard sur la salle avant de le perdre sur la circulation dense de ce début de soirée. Elle tacha de se couper du brouhaha ambiant et de se concentrer sur les lumières multicolores de la ville sans prendre garde aux détails qui les entouraient. Sans prendre garde à cette silhouette immobile de l’autre côté de la rue qui ne la quittait pas des yeux.

Elijah se surprit l’espace d’un bref instant à souhaiter qu’elle tourne légèrement son visage angélique vers lui et qu’elle l’aperçoive mais se sermonna aussitôt. Il n’était pas là pour cela.

— Elle a changé, n’est-ce pas, commenta une voix familière dans son dos.

Derek se posta à ses côtés, le regard lui-aussi rivé sur la devanture du restaurant pour ne pas croiser le sien.

— C’est le moins que l’on puisse dire.

Un long silence s’abattit entre les deux hommes alors qu’autour d’eux le chaos de la ville faisait un vacarme assourdissant. Les moteurs et les klaxonnes des voitures, collées pare-chocs contre pare-chocs se chargeaient de meubler une discussion que le départ soudain d’Elijah quelques mois plus tôt leur avait épargné. Le vampire avait longuement hésité à le recontacter. Il avait fini par le faire juste avant de prendre l’avion pour New-York. Maintenant qu’ils étaient à nouveau face à face, il commençait à le regretter. Il était trop tard pour des excuses ou des explications. Le temps, et son départ surtout, avaient atténué les rancœurs.

 Ce fut Derek qui brisa le premier le silence :

— Je vous avoue que je ne m’attendais pas à votre appel.

— « N’espérais pas » conviendrait mieux je suppose.

Ce dernier coula dans la direction de l’avocat un coup d’œil sarcastique. Derek l’ignora, faussement accaparé par les trois jeunes femmes. Charlène et cette avocate qu’Elijah n’avait aperçue qu’une fois lors de la soirée organisée par Derek s’étaient lancées dans une conversation animée et ponctuée par les éclats de rire peu discrets de Charlène.

— Détrompez-vous : vous êtes parti avant que je n’aie eu le temps de vous expliquer…

— C’est inutile. Je n’ai aucune envie de revenir sur cette histoire.

Un silence à nouveau : pesant, lourd et embarrassé.

— Il y a juste une question qui me taraude, reprit le vampire. Tu connaissais les projets de Delanay me concernant bien avant que j’arrive à New-York, n’est-ce pas ?

— Il est effectivement venu quelques temps avant votre retour pour me menacer de faire couler le cabinet et de dénoncer mes petits accotés financiers si je ne coopérais pas.

Il s’interrompit et remonta du regard la file de voitures immobiles devant eux pour ne pas d’affronter celui qu’il sentait pesé sur lui.

— Tu as essayé de me prévenir. Tu m’as répété de partir  à plusieurs reprises et je ne t’ai pas écouté, admit soudainement Elijah.

L’originel l’avait maudit pendant des mois après son départ, regrettant presque de ne pas avoir cédé à cette envie d’aller lui demander des comptes avant de rejoindre Klaus. Mais il avait fini par comprendre. Il avait ressassé pendant des semaines sa dernière dispute avec Angel. Ses paroles revenaient sans cesse à son esprit et il avait  bien dû admettre une évidence que son amour propre avait eu beaucoup de mal à accepter. Sa responsabilité dans toute cette histoire était indéniable. Il avait toujours décidé pour Derek. Jamais ce dernier n’avait eu à répondre de ses actes parce que, d’un commun accord, Elijah couvrait ses arrières comme l’avocat le faisait pour lui. Le jeune homme irresponsable n’avait jamais rendu de comptes qu’à lui-seul et s’était finalement conduit comme un adolescent rebelle qui l’avait toujours défié pour pouvoir exister. En quittant New-York, Elijah lui avait retiré la gestion de ses biens. Derek avait dû se débrouiller seul pour une fois et assumer les conséquences de ses actes.

— Comment t’en sors-tu ?

Derek réprima une grimace à l’idée de devoir exposer son piètre bilan de ces derniers mois.

— J’ai dû vendre mes parts du cabinet à mes associés pour payer mes dettes si bien que maintenant je travaille pour …mon ex, me confessa-t-il en accompagnant ses propos d’un  geste du menton en direction de la jeune avocate volubile qui attirait tous les regards par les grands gestes dont elle accompagnait son récit.

Le visage de Derek se para d’un air si piteux qu’Elijah manqua d’en perdre son sérieux. C’était sans aucun doute pour ce séducteur invétéré la pire des humiliations. Un juste retour des choses estima-t-il.

— Et Angel ?

— Il n’y a rien entre nous et il n’y a jamais rien eu ! Nous sommes justes amis, se défendit vivement Derek comme s’il venait d’être accusé de quoi que ce soit.

— Ce n’est pas ce que je te demande crétin ! Je veux savoir comment elle s’en sort, reprit Elijah avec agacement même si en son for intérieur il n’était pas mécontent de l’apprendre.

— Beaucoup mieux que moi. Elle a repris les cours à la fac et travaille au cabinet. Elle est restée avec Charlène mais a refusé l’argent que vous aviez laissé pour elle… De manière tout à fait prévisible, je dirais.

Il s’interrompit et hasarda un coup d’œil dans la direction du vampire.

— Comme vous me l’avez demandé, je ne lui ai pas dit que vous étiez à New-York.

— Je suis simplement venu m’assurer que tout allait bien. Je repars ce soir.

Derek lâcha malgré lui un soupir de soulagement qui n’échappa pas à Elijah.

— Disparais maintenant Derek. Laisse-moi seul.

L’avocat ne se fit pas prier. Il s’était attendu à se faire arracher la tête quelques mois plus tôt et y avait miraculeusement échappé : valait mieux ne pas tenter le diable une seconde fois.

~*~

Dans cette ville qui grouillait en permanence, personne ne fit vraiment attention à cet homme qui resta deux bonnes heures debout sur ce trottoir, le regard rivé sur le profil de cette jeune femme blonde, suivant chacun de ses mouvements, les anticipant même parfois. Quand le serveur s’était lancé dans un numéro de charme en prenant la commande des desserts, elle avait baissé la tête, mal à l’aise. Elijah aurait pu le parier et avait souri. Souvent au cours du dîner, alors que les deux autres s’amusaient et n’en finissaient pas de parler, le regard de la jeune femme obscurcissait d’une insondable tristesse. Des moments fugaces, imperceptibles pour n’importe qui d’autre à part lui. Au cours de ces instants, qui se multipliaient au fur et à mesure que la soirée avançait, une furieuse envie de rentrer dans ce restaurant le saisissait. Il se fit violence pour ne pas y céder. Il ne devait pas. Elle ne devait pas le voir.

La fin de leur dîner approchait. Angel trépignait d’impatience d’en finir. Elle en avait assez de faire semblant. Elle se sentait vide et, même entourée de ses amies, un détestable sentiment de solitude s’était abattu sur elle comme une chape de plomb. Le serveur revint avec les desserts commandés par Charlène et Hannah. Elle n’avait rien pris. Elle avait détesté la cuisine de cet endroit autant que son ambiance trop clinquante. Lorsqu’il posa devant elle une assiette qu’elle n’avait pas commandée, elle resta un long moment pétrifiée devant son contenu. Les battements de son cœur s’emballèrent. Elle leva brusquement la tête et dévisagea le serveur.

— On m’a dit de vous apporter cela…Je ne sais pas qui d’ailleurs, s’embrouilla le jeune homme manifestement confus.

Elle crut d’abord à une mauvaise farce. Puis elle comprit. L’assiette contenait une part de gâteau au chocolat, surplombé de deux bougies roses aux motifs fleuris en formes de 2 et de 3.  Elle chassa sans s’en rendre compte la main inquiète de Charlène qui s’était posée sur son bras, ignora les interrogations d’Hannah, les maudit presque d’être là et de gâcher ce moment par leurs questions stupides.

Leur moment.

Bien sûr qu’elle allait bien…comment pouvait-il en être autrement ? Il était là, quelque part, continuait à veiller sur elle, tapi dans l’ombre. Il était venu et c’était tout ce qui lui importait. Elle ne le chercha pas. Les flammes des bougies vacillèrent sous son souffle saccadé avant qu’elle ne les éteigne brusquement. Elle murmura un merci du bout des lèvres, un merci qu’il était le seul à pouvoir entendre. Elle devina sans le voir le discret sourire qui releva les lèvres du vampire, de son obscur ange gardien avant qu’il ne s’évanouisse à nouveau dans la nuit.

Voilà, c’est la fin! Merci à ceux et celles qui ont suivi cette histoire.

J’espère que vous avez apprécié la lire autant que j’ai pris plaisir à l’écrire.