C’est au détour d’un statut Facebook puis via le site Société.com que notre équipe a appris mercredi matin que le groupe Anime Manga Presse (AnimeLand, AnimeLand X-tra, Role Playing Game et Japan LifeStyle) était en redressement judiciaire depuis le 08 août 2013. Alors que nous épluchions les comptes du groupe de presse, le site internet d’Animeland enfonçait le clou quelques heures plus tard en annonçant le passage du magazine de mensuel en bimestriel. Un coup dur pour ce symbole de la presse papier spécialisé dans le manga et les j-loisirs.
Depuis quelques mois le magazine faisait parler lui pour son contenu, entrainant quelques vives réactions de l’éditeur Akata, mais aussi de manière plus positive lorsque ses deux nouveaux rédacteurs-en-chef, Carla Cino et Nicolas Penedo sont venus expliquer leur façon de travailler et leur nouvelle vision pour le magazine, dans le podcast Mangavore de début juillet. Une émission sous le signe de la bonne humeur où l’on était loin de se douter que la situation était aussi… compliquée !
Avec toutes ces annonces et ces informations, votre serviteur a essayé d’en savoir un peu plus : quid du pourquoi, quid du comment… quid du après ? Il ne s’agit pas là de tirer ou de troller sur un convalescent mais plutôt d’essayer de comprendre comment cet ex-leader en est arrivé là après 193 numéros et plus de 20 ans de carrière, et une société naguère florissante. La nouvelle soulève donc autant de questions que d’inquiétudes… sans compter que cette éventualité pend un peu au nez de tous les professionnels du milieu. Voici quelques éléments de réponse.
Le redressement judiciaire…
Tout d’abord qu’est-ce qu’un redressement judiciaire ? C’est une procédure collective dans laquelle se place une entreprise qui est en cessation de paiement. La situation d’endettement est alors trop grande pour être gérée par l’entreprise. C’est d’ailleurs le plus souvent les gérants de cette entreprise qui initient la procédure, afin qu’on les aide à faire face à cette situation. Cela peut aussi être une demande des créanciers qui veulent être payés. Dans un cas comme dans un autre, un tribunal étudie alors le dossier et décide de placer l’entreprise en redressement s’il estime que l’on peut la sauver, ou en liquidation s’il juge que non.
Pour le redressement, le but de la démarche est simple : faire face aux dettes, trouver un modèle économique viable sur le long terme et se pencher sur la masse salariale pour redresser l’entreprise. Le tribunal nomme un administrateur pour évaluer la situation et mettre en place le plan de relance. Pour cela, sur rapport des mandataires de justice, le tribunal possède plusieurs armes à son actif : il peut imposer la cession d’actifs, imposer aux créanciers un échelonnement du remboursement de la dette, etc. Ce redressement peut durer de 6 à 18 mois.
Dans le cas d’Anime Manga Presse maintenant… On ne sait pas qui a initié la procédure mais on peut comprendre plus ou moins pourquoi en regardant les différents bilans de l’entreprise. En préambule notons qu’Anime Manga Presse publie ses résultats. Ça peut paraitre bête à dire, surtout que c’est une obligation légale (du moins jusqu’en avril 2013, pour certains), mais beaucoup d’autres ne le font pas, quitte à payer une amende plutôt que de rendre ses comptes publics (Coyote, qui appartient aux Studio Venezzia Editions, par exemple). Merci donc pour l’effort de transparence.
Et donc, si l’on remonte au bilan de 2009 on constate qu’Anime Manga Presse a réussi à largement se désendetter et affiche l’un des meilleurs bilans de son histoire : 2,4 millions de CA (chiffres d’affaire), un résultat net positif de 100 000 euros, des actifs disponibles à auteur de 254 000 euros et une dette globale qui tourne aux alentours de 307 000 euros. Ce n’est pas la fête au village, mais ça va !
2010 ? Passe encore là aussi, même si le chiffre d’affaire baisse de plus de 10% à 2,1 millions d’euros : la dette est stable, les actifs disponibles augmentent sensiblement et le résultat net est encore positif… De justesse cependant, à + 5 000 euros environ. De 2011, on retient une petite baisse du CA de 5% et surtout des actifs disponibles qui commencent à fondre de plus d’un tiers, de 318 à 208 000 euros. Heureusement le résultat net est encore positif, de 3 000 euros.
C’est en 2012 que cela se corse et que le redressement judiciaire se profile … les actifs disponibles ont été torpillés : il ne reste que 27 000 euros, 1/10 de la somme de 2010. L’autre gros problème reste le résultat net de l’entreprise : il est dans le rouge de 58 000 euros et le chiffre d’affaire continue de s’amoindrir, à 1.9 millions d’euros. Les dettes, comme les années précédentes, sont restées stables. Anime Manga Presse perd donc de l’argent et a utilisé ses actifs disponibles pour tenter, sans doute, d’y palier. Début 2013 on suppose donc que sa trésorerie n’a pas franchement la banane.Avec ce constat faut-il pour autant crier à une mort programmée ? Non, car en fouillant dans les comptes on voit que d’autres années ont été elles aussi difficiles. En 2004 par exemple, où le déficit battait des records à 185 000 euros, avec un endettement d’un million d’euros. Mais, comme à l’époque sans doute, des changements sont nécessaires dans le groupe… Où, comment, sur quel magazine ? Telle est la question…
Animeland : fond du trou ou nouveau départ ?
Première conséquence visible du redressement judiciaire : Animeland passe en bimestriel. Ajoutons à ça l’interview de Mangavore où Carla Cino est assez positive sur la santé de Japan Life Style et un Role Playing Game qui est déjà repassé en trimestriel à l’été 2011 pour survivre et diminuer l’impact des faibles ventes… Il n’y a donc pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour comprendre qu’Animeland porte une lourde part de responsabilité dans les problèmes de la société. On s’étonne finalement que ce passage en bimestriel ne se soit pas fait plus tôt. Néanmoins Animeland est une vitrine du groupe, et un symbole. Annoncer publiquement par ce changement les difficultés de ce magazine n’a pu se faire, finalement, que sous la contrainte.Une autre décision importante a été prise en début d’année cependant, comme en 2004 : arrivé en 2005, Olivier Fallaix a cédé sa place en avril dernier aux deux nouveaux rédacteurs-en-chef cités plus haut, Nicolas Penedo, ancien adjoint d’Olivier si je ne dis pas de bêtise et Carla Cino, qui vient elle de Japan Life Style. Dans l’interview donnée à Mangavore, ses deux derniers ont insisté sur la ligne éditoriale du magazine, qu’ils souhaitent encore plus « pro » : plus d’informations recoupées et moins de verbiage pour améliorer le contenu, y apporter de l’inédit, ajouter une rubrique polémique et un ensemble de papiers avec des angles innovants et attractifs. Voilà pour la théorie en tout cas. Il est encore trop tôt pour voir si cette ligne portera ses fruits et ramènera un public qui a déserté le magazine ces dernières années, au profit du net bien souvent.
En attendant, il y a donc ce passage au format bimestriel, annoncé comme un format double de 116 pages, proche des numéros d’été. On jugera sur pièce en septembre. Au delà du format papier, ce changement est surtout une réelle occasion de meilleures ambitions pour la plate-forme web du magazine, qui au vu de l’historique d’Animeland peut certainement faire mieux qu’actuellement : un classement Alexa (ça vaut ce que ça vaut) qui le place environ 250 000ème, à la hauteur du site Mangavore par exemple, quand un Manga-News est dans les 100 000 premiers, une page Facebook avec moins de 2 400 fans (quasiment comme Paoru.fr, c’est vous dire). Point positif : un compte Twitter en bien meilleure forme avec plus de 4 200 followers, un très bon point. Néanmoins, à l’image de ce qu’il a été sur papier, Animeland mérite d’être dans le trio de tête du web en terme d’audience, et cette restructuration est une occasion à saisir.
Pour en finir avec cet article, j’ai voulu laisser la parole à l’un des intéressés, Nicolas Penedo, que j’ai contacté par mail mercredi, pour lui proposer de réagir et d’intervenir sur le redressement judiciaire et le cas d’Animeland. Bonne nouvelle, j’avais une réponse quelques heures plus tard… La voici : « La presse est en pleine crise de restructuration et en cela devient un marché de plus en plus difficile. Le point critique pour Anime Manga Presse a été atteint fin 2012. La nouvelle formule d’AnimeLand avec un changement assez radical, a été un premier pas de nos équipes pour adapter le magazine à cette situation en constante évolution.
Mais les bouleversements que la presse est en train de vivre sont trop profonds et vont continuer. C’est pour cela qu’une unique modification ne suffit pas à y faire face. Ce redressement est une autre étape à travers laquelle notre société est obligée de passer afin de continuer son activité. Nous sommes confiants, car si la place et le rôle des magazines a indéniablement changé au cours de ces cinq dernières années, le manga et l’animation japonaise sont toujours aussi populaire ! Et nous avons tous, lecteurs comme rédacteurs une passion commune à défendre ! «
Plutôt que l’interview proposée j’ai donc eu une réponse en forme de communiqué de presse, fort d’un élan positif mais qui ne répond pas finalement aux questions que je me posais et que j’ai posé à Nicolas Penedo dans un nouveau mail :
1. Dans l’interview que vous avez donné dans le podcast Mangavore, Japan Life Style semble bien se porter tandis que Animeland passe en bimensuel : porte-t-il donc une part importante de responsabilité dans ce redressement ? Quels sont les éléments du groupe qui souffrent le plus finalement ?
2. Ce redressement a donc eu cet impact visible sur Animeland, mais concrètement, celà implique-t-il d’autres conséquences (réduction de personnel ou de pigistes, fermeture ou réduction d’autres magazines) ?
3. Si la partie papier diminue, est-ce que vous envisagez d’agrandir/intensifier la partie web ?
4. Que peux tu nous dire sur la nouvelle formule double d’Animeland en terme de contenu ?
Pour l’instant je n’ai pas eu de réponse, et je ne sais pas si j’en aurais. Mais je ne suis pas le journal le Monde non plus, donc je me vois mal crier au scandale où au silence douteux. Si j’ai une réponse, ce papier sera bien entendu édité. Je ferai de toute façon le point et un édit à la mi-septembre, quand j’aurai la nouvelle formule en main, pour voir de quoi il retourne !
Et vous, en attendant, vous en pensez quoi de tout ça, du redressement, du bimestriel, d’Animeland papier ou web et de ses évolutions ? Je vous laisse réagir dans les commentaires !