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Karoo de Steve Tesich

Publié le 23 août 2013 par Chacalito

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Offert par ma meilleure amie (lire aussi Les frères Sister de Patrick DeWitt), Karoo a trôné quelques mois dans ma bibliothèque avant que je me décide à l'entamer... et il m'a fallu quelques mois pour le lire! Dit ainsi, vous pourriez penser qu'il ne m'a pas plu. Ce serait une mauvaise analyse. En réalité, Karoo est un vrai bijou. Dans la forme pour commencer car l'édition (Monsieur Toussaint Louverture) est magnifique et extrêmement agréable à lire. Un bel objet en somme. Mais aussi dans le fond tant le style de Steve Tesich est puissant. Les phrases sont simples, tout est bien expliqué, mais on sent une maîtrise totale de l'écriture, particulièrement dans la dernière partie. Tout se déroule selon un plan minutieusement pensé. 

Alors pourquoi avoir mis autant de temps (disons 2 mois) à le lire? Sans doute parce que Karoo est un livre qui interroge sur la Vérité. Or, la Vérité est un idéal qui m'a toujours tenu à coeur. Comment vous expliquez... ce livre a touché en moi un truc et m'a profondément gêné. Il faut dire que le sous-titre de l'oeuvre (tenez-vous bien) est le suivant: "la vérité, me semble-t-il, une fois encore, a perdu le pouvoir, du moins le pouvoir qu'elle avait, de décrire la condition humaine. Maintenant, ce sont les mensonges que nous racontons qui, seuls, peuvent révéler qui nous sommes". Lecture faite, je sais pertinemment que ma gêne était recherchée par l'auteur. Mission réussie.

Le personnage principal, Saul Karoo, est un "script doctor", autrement dit un scénariste pour le cinéma. Il taille dans les films, remodèle pour transformer des oeuvres d'art en standards cinématographiques. Et dans ce métier, Saul est considéré comme un "génie". Terriblement cynique, Saul est l'image archétypale de l'anti-héros. Gros, fumeur invétéré, menteur (surtout à lui-même), alcoolique mais affublé d'une maladie étrange qui le rend incapable d'être saoûl pour de vrai (ce qui ne l'empêche pas de jouer un rôle, le rôle qu'il croit que la société veut de lui). Karoo est aussi le père d'un fils adoptif, Billy, qu'il aime, mais à qui il est incapable d'avouer le moindre sentiment. Jusqu'à ce qu'il rencontre, par hasard en visionnant un film sur lequel il doit travailler, la véritable mère de Billy. Dans sa tête s'enclenche alors un véritable scénario dont le but final semble-t-être la rédemption: faire se retrouver le fils et la mère biologique. 

Saul Karoo est le narrateur de sa propre histoire durant les deux tiers du livre ce qui rend encore plus crue le déroulé car on sait pertinemment que ce héros est conscient de ce qu'il fait. Volontairement, je ne raconte pas l'histoire même d'autres sites ne se privent pas.

Tout ce que j'ai envie de vous dire, c'est que Karoo est l'histoire d'une chute. La chute d'un être. Humain, va savoir? Saul pourrait représenter l'Homme moderne, l'Homme capitaliste, celui qui a non pas oublié, mais perdu les valeurs qui font des êtres humains des êtres humains. Il analyse tout, froidement, même ses sentiments ce qui fait douter de la sincérité de ces derniers. Durant les premières parties, on ne sait vraiment pas si on doit plaindre le personnage, le haïr ou se moquer de lui. L'humour est noir, reflétant une aversion complète pour la société (d'autant plus que Karoo est riche).

Car tout, dans la société de Karoo, est faux. Ses relations de travail, ses relations avec ses proches, ses relations avec son médecin. Saul est en perpétuelle fuite de l'intimité, il n'a qu'une peur: "que quelque chose de réel se produise". Au fond, il se déshumanise de pages en pages... un peu comme le fait le capitalisme envers nous, si nous n'y prenons pas garde! Jusqu'à la dernière partie, qui, bien qu'hallucinée, m'a paru beaucoup plus claire, beaucoup plus limpide. En perdant la raison, il finit par la retrouver et dans son délire mystique, il livre enfin qui il a été. Sauf que le "je" a disparu!

Quand un roman me plait, je fais aussi quelques recherches sur l'auteur: Steve Tesich, de son vrai nom Stojan Tesic est né en 1942 dans ce qui est aujourd’hui la Serbie. Emigré aux Etats-Unis, à Chicago, il ne parle pas un mot d'anglais ce qui ne l'empêche pas de briller tant en sport (cyclisme) que dans les études. Il abandonne son doctorat pour devenir dramaturge. Bref, l'incarnation de la réussite, de la pertinence du "modèle américain". Avant d'être déçu... Karoo sera publié de façon posthume, en 1998, soit deux ans après la mort de son auteur.

Vous l'aurez compris, ce n'est pas tant l'histoire qui m'a scotché, mais bien la maîtrise absolue de la plume de l'auteur. ça, ça m'impressionne! Car à part Tristan Egolf, j'ai lu peu d'auteurs contemporains avec un tel don. Et en parlant de don, je tire mon chapeau à la traductrice, Anne Wicke. Je ne suis pas en mesure de comparer avec la version américaine, mais le souffle reste. Si vous recherchez l'originalité, n'hésitez pas, vous ne lirez pas deux romans comme celui-là.


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